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être qu'accessoire. Voltaire, qui juge tout ce dont il parle, a défini l'Opéra un théâtre

Où les beaux vers, la danse et la musique,
De cent plaisirs font un plaisir unique.

Cet éloge de ce qui doit être, fait la satire de ce qui est. Ce théâtre, depuis long-tems, n'aspire. plus qu'aux succès du mélodrame et de l'opéracomique; il n'obtiendra ni l'un ni l'autre ́: on ira de préférence au premier, parce qu'il est moins cher, et au second, parce qu'on y parle, du moins, quand on n'y chante pas. L'Opéra possède, en tout genre, des talens de premier ordre; c'est de bons ouvrages qu'il a besoin; et, quoi qu'on en dise, un bon opéra n'est pas moins rare qu'une bonne tragédie.

L'Opéra - Comique est un spectacle bâtard, que des hommes de génie ont élevé à la dignité d'un genre pour l'y maintenir, il serait à souhaiter qu'on ne s'écartât pas de la route ouverte par les Marmontel et par les Grétry; qu'on n'oubliât pas que sur un théâtre français, même lyrique, le cœur et l'esprit sont les chemins de l'oreille, et que les paroles de MM. tels et tels, fussent-elles réchauffées et brillantées

des sons de la plus délicieuse musique, ne peuvent réussir que sur le théâtre de la rue Favart, en les alongeant de quelques syllabes en i et en o et en les faisant chanter par un instrument vocal.

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NO XXV. 22 décembre 1815.

CONFIDENCES D'UNE JEUNE FILLE.

Fallere credentem non est operosa puellam

Gloria.

OVIDE, liv. 2.

Quel mérite y a-t-il à tromper la crédulité d'une jeune fille?

Il y a des bonnes-fortunes de tout âge; c'en est une bien rare, à près de quatre-vingts ans, que l'amitié d'une jeune fille de quinze, naïve comme l'innocence, jolie comme un ange et spirituelle comme un démon. Cette bonne-fortune-là m'était réservée. Je loge à Paris, à l'hôtel de Mme de Lorys, dans un petit appartement, au rez-de-chaussée. Cette dame (dont la fille aînée est morte littéralement de douleur en apprenant la perte qu'elle avait faite de son mari, officier-général du plus grand mérite, qui fut tué à la bataille d'Austerlitz); cette dame, dis-je, a pris chez elle et fait élever sous

ses yeux, avec toute la tendresse et tous les soins d'une mère, l'intéressante orpheline que sa fille a laissée, et dont je faisais tout-à-l'heure le portrait, en quelques mots.

La jeune Ida est un petit prodige, dans la force du terme. A peine sortie de l'enfance, elle a toute la grâce, toute la beauté de la jeunesse, tout le bon sens, j'ai presque dit toute l'expérience morale de l'âge mûr. Ma chambre donne sur le jardin, et la petite, qui s'y promène toute la matinée, entre souvent par la fenêtre, et vient causer avec son vieil ami, qu'elle appelle son Robinson. Notre dernier entretien lui a donné l'occasion de développer une raison si précoce, des observations si fines, que j'ai pris soin de les mettre par écrit le jour même. Elle était venue frapper à ma fenêtre de meilleure heure qu'à l'ordinaire.

L'HERMITE (en ouvrant la croisée).

Quoi! si matin, ma chère Ida! justement à l'heure de votre maître d'histoire et de géographie !

IDA.

C'est aujourd'hui le mardi-gras; il m'a prévenue hier qu'il n'y avait pas d'affaires, de leçons,

qui tinssent; que, ce jour-là, il ne quittait pas ses enfans, et qu'il avait l'habitude de célébrer cette fête en famille. A son défaut, j'étais entrée chez ma grand'mère, pour étudier avec elle; j'ai vu entrer Mme de Gailleul, et je me suis retirée bien vîte.

L'HERMITE.

Vous n'aimez donc pas cette dame?

IDA.

Beaucoup, au contraire; mais il n'y a pas très-long-tems qu'elle a perdu une fille du même âge que moi, et j'ai craint que ma présence ne lui rappelât trop vivement le souvenir de sa perte.

L'HERMITE.

Comment pouvez d'une pareille douleur ?

vous deviner le secret

IDA.

En me mettant à la place de celle qui l'é

prouve.

L'HERMIT E.

Pour bien apprécier de semblables regrets, il faut pouvoir se faire l'idée du bonheur dont la perte les excite. On apprend à sentir, par expérience, comme on apprend toute autre chose.

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