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coup, décontenança l'orateur, et priva probablement l'auditoire d'une foule de bons mots de même espèce qu'il supprima dans le cours de son plaidoyer, ou sur lesquels il crut devoir passer plus légèrement.

L'avocat Bawler ne manqua pas, selon l'usage, d'alonger son exorde de l'éloge de son confrère, contre l'éloquence duquel il ne trouvait d'appui que dans la justice de sa cause : puis, entrant tout-à-coup en matière par une magnifique prosopopée, il montra la marquise de Savignac « secouant la poussière du tombeau et apparaissant à l'audience pour y réclamer ellemême son patrimoine; patrimoine acquis par les services de ses illustres ancêtres, dont un étranger s'appropriait les nobles dépouilles......... »

Ce mouvement oratoire, dont il crut augmenter l'énergie en agitant avec fureur les grandes manches de sa robe, ne parut pas de meilleur goût que ses plaisanteries; il eut recours alors au genre d'éloquence qui lui est le plus familier à l'abri de six aunes de raz de castor dont il était affublé, d'un rabat couvert de poussière et de tabac, et d'une toque de feutre qu'il ôtait avec respect chaque fois qu'il

s'adressait directement à la cour, ce suppôt de la chicane, abandonnant le point de droit et la discussion du fait, crut pouvoir sé permettre impunément les personnalités les plus offensantes; il me représenta «< comme un homme qui avait eu de bonnes raisons pour aller s'ensevelir au bord de l'Orénoque, parmi les Hurons et les Iroquois, et prétendit que, pour rentrer dans ma patrie, j'avais eu besoin d'invoquer le bénéfice de mon âge. » Je ne pus contenir mon indignation, et, m'approchant de l'oreille de l'orateur, je lui dis qu'il m'en ferait raison au sortir de l'audience. « Je prie la cour, continua-t-il du même ton, d'observer, comme preuve à l'appui de tout ce que j'ai avancé, que le sieur de Pageville vient de provoquer son adversaire en duel dans la personne de son avocat. – J'en demande acte, s'écria Dufain. Ce petit incident n'eut d'autre suite que d'égayer la cour et l'assemblée; Me Bawler reprit la parole, et termina sa plaidoirie comme il l'avait commencée, en demandant que je fusse condamné à payer à la dame de Savignac ou à ses ayant-cause la somme de 122,532 livres tour nois, sans préjudice, etc.*

Voyez page 181.

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Mon avocat prit la parole; un exposé rapide lui suffit pour établir clairement la question que je n'avais jamais bien entendue moi-même: il démontra d'une manière si palpable non-seulement l'injustice, mais aussi l'absurdité des prétentions de mon adversaire, que je lus sur la figure des juges la conviction qu'il faisait entrer dans leur esprit. S'élevant ensuite avec une véritable éloquence. «< contre ce système de diffamation introduit au barreau, il s'étonna surtout que mon adversaire enseignât imprudemment aux autres l'usage d'une arme dont la moindre piqûre pouvait lui devenir si funeste. » Il cessa de parler; les juges allèrent aux voix, et je gagnai ma cause avec dépens.

L'audience finie, je courus à M. Dorfeuil; je ne trouvais pas d'expressions pour lui témoigner ma reconnaissance : « Vous venez de gagner votre procès, me dit-il; si vous m'en croyez, cependant, vous transigerez avec Dufain en payant la moitié des frais. - Quand nous avons un arrêt qui le condamne ? - En première instance; mais n'a-t-il pas l'appel, le recours en cassation? Il peut vous tourmenter encore longtems quelques centaines d'écus ne peuvent

être mis en balance avec votre repos. » M. Dorfeuil m'expliqua ce que j'avais encore à craindre; il me prouva que la Justice, aveugle ainsi que la Fortune, était également sujette à s'égarer sur les pas de ses guides, et finit par me persuader de ne pas m'exposer une seconde fois à gagner mon procès.

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Ce que les Cimbres terribles, le cruel Sarmate, le Breton et l'Agathyrse impitoyables n'osèrent jamais entreprendre, un vil peuple voguant dans ses frêles canots ose l'exécuter.

Je viens d'achever la lecture d'un livre nouveau intitulé Voyage à Tunis, par Thomas Maggil, traduit de l'anglais par M***, avec des notes de ce dernier, qui font regretter que celui qui s'est chargé de traduire cet ouvrage, d'en relever les erreurs, d'en supprimer les injures dictées par les plus sottes préventions nationales, n'ait pas pris la peine de le refaire en entier.

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