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en place qui ne vous connaît pas; il remit son fils à sa gouvernante, et me pria de passer dans son cabinet; tout y inspirait le respect et la confiance une antique bibliothèque en garnissait le pourtour; sur la cheminée, un buste en bronze du chancelier de Lhôpital servait de pendant à celui de d'Aguesseau; un beau portrait de Mathieu Molé se trouvait en regard avec Icelui de M. de Malesherbes. Des mémoires de parties, des rapports, plusieurs dossiers étiquetés avec soin étaient rangés sur un vaste bureau placé au milieu du cabinet.

M. de Laxeuil me parla de mon affaire avec autant de précision que de clarté, et, sans me laisser même entrevoir son opinion, il me dit en souriant que le nom de mon adversaire était de bon augure pour ma cause. En me reconduisant jusqu'à la porte extérieure, par un excès de civilité dont j'étais redevable à mon âge, il s'éleva poliment contre cette coutume abusive des visites en matière de procédure, dont la séduction, en dernière analyse, était toujours le motif, quelquefois même à l'insu de ceux dont elle dirigeait les démarches.

La leçon ne fut point perdue; j'achevai de

payer mon tribut à l'usage, en me faisant écrire chez ceux de mes juges à qui j'évitai l'ennui de ma visite; et tranquille, autant qu'on peut l'être en se reposant sur son bon droit, j'attendis mon jugement.

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No XVI. 19 novembre 1815.

UNE NUIT AU CORPS-DE-GARDE.

Quid est suavius quam bene rem gerere bono publico!
PLAUTE les Captifs, acte 3, sc. II.

Quoi de plus honorable que de bien s'acquitter d'un devoir qui tend à l'utilité publique !

La révolution a produit bien des maux: elle a causé de grands ravages, de grands malheurs, de grandes injustices; tout le monde en convient; la révolution a déraciné de honteux préjugés, d'intolérables abus; elle a amené des réformes indispensables et fondé des institutions utiles; voilà ce qu'on ne saurait nier, et ce dont il importe de convaincre des hommes dont là mémoire est sujette à tromper le jugement, et qui s'arment trop souvent des regrets du passé contre les espérances de l'avenir.

Au premier rang de ces institutions utiles fondées au sein de nos orages politiques, comme

le nid de l'alcyon au milieu des vagues, il faut compter l'établissement de la Garde nationale. Rien de plus noble dans son but, de plus généreux dans son exécution que cette association volontaire des habitans d'une même ville, où chacun, tour-à-tour soldat et citoyen, veille pour le repos de tous, et s'endort le lendemain dans une sécurité dont il trouve à son tour la garantie dans la vigilance des autres.

Je conçois tout ce qu'un pareil état de choses doit avoir eu de pénible, dans le principe, pour cette classe de Parisiens à qui il en coûte tant de se désheurer, comme dit le cardinal de Retz; qui, totalement étrangers à la discipline militaire, n'avaient jamais reçu d'ordres que de leurs femmes, et dont la pendule réglait invariablement les pacifiques habitudes; mais, d'un autre côté, j'ai vécu si long-tems parmi les nations sauvages, pour qui le mot patrie est synonyme de famille; où les charges et les bénéfices de la société sont si également répartis ; où l'intérêt de l'individu est si étroitement lié à l'intérêt de la peuplade, que je n'estime peutêtre pas assez les avantages de cette civilisation européenne à laquelle nous devons ces armées

régulières sur qui reposent au-dehors la défense et la gloire de la patrie, et ces légions de gendarmes, chargées dans l'intérieur du maintien de l'ordre et de la tranquillité publique.

Un petit billet que j'ai trouvé la semaine dernière chez mon portier a donné lieu à ces réflexions et me fournira la matière de ce

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discours : c'était un billet de garde. En achevant de le lire, avec le secours de mes lunettes, je jetai malheureusement les yeux sur une glace en face de laquelle j'étais placé, et où je trouvai la preuve que le sergent-major de ma compagnie, en me commandant de service, n'avait pas consulté mon extrait de baptême. Pour toute réclamation, je résolus de me présenter en personne, et je mis à honneur de passer, à près de quatre-vingts ans, une nuit au corps-degarde. N'ayant pas dû compter sur l'invitation qui m'était adressée, je n'avais pas songé à me faire faire un uniforme; en conséquence, je me rendis au lieu qui m'était assigné, muni de deux ou trois gilets bien chauds, recouverts d'une redingote bleue, laquelle, à l'aide d'un petit chapeau à trois cornes et de deux baudriers en sautoir, me donnait une certaine tournure mi

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