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voiture dont elles ont fait usage pour faire leur première visite au gentilhomme de la chambre, de qui elles sollicitaient un ordre de début.

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Habile à protéger la fortune de celles qui s'élèvent, Mme Dubreuil se permet quelquefois, par compensation, d'aider à la ruine de celles qui se précipitent, et de tirer le meilleur parti possible de leur chute. Personne ne s'entend mieux qu'elle à acheter au plus bas prix ce qu'elle a vendu au plus haut. Son bon cœur ne l'abandonne cependant pas au milieu de ses spéculations: elle est toujours prête à tendre une main secourable à celle dont elle s'est approprié les et ne dépouilles; elle la suit dans sa détresse, manque pas de saisir, pour l'en tirer, l'occasion qui se présente, ou celle qu'elle fait naître."

» Admise dans l'intimité du boudoir, elle sait à-propos faire intervenir la partie mercantile de son art dans ces momens où l'or n'a de prix que celui que l'amour veut bien

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mettre ces instans fort courts, habilement saisis, lui ont souvent procuré le paiement de créances tout-à-fait désespérées. Un talent qui lui est encore tout particulier, c'est celui de se ménager lå faveur des femmes-de-chambre;

elle sait que ce sont les intermédiaires indispensables pour arriver aux maîtresses; et, par une réciprocité de procédés utiles, plus d'une soubrette a vu récompenser, par les honneurs du salon, les services qu'elle lui avait rendus dans l'antichambre. Le rang et la condition ne sont rien pour Mme Dubreuil: elle voit toujours l'étoffe d'une grande dame dans la matière première d'une jolie fille.

» La morale de mon livre (car mon livre a la sienne, tout frivole qu'il paraît être, continua mon historien de ruelles) sera de prouver que les mœurs des femmes galantes, de l'époque où j'écris, ont gagné beaucoup, sinon en pureté, du moins en décence; que le vice a quelque chose de moins scandaleux, et que si Paris compte encore beaucoup de femmes qui font parler d'elles, aucune autre grande ville au monde ne renferme peut-être un plus grand nombre de celles dont on ne parle pas. »

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N° XV.-15 novembre 1815.

MON PROCES. *

Que venit indigne pæna, dolenda venit.

OVIDE, Ep. 5.

On peut se plaindre d'un mal qu'on n'a pas mérité.

M. DATÈS, mon procureur, a beaucoup d'affaires dans la tête, et moi je n'en ai qu'une, laquelle me cause, il est vrai, beaucoup plus d'embarras et d'inquiétudes que ne lui'en donnent toutes celles dont il est chargé. Il se passe peu de jours sans qu'il ne me voie arriver chez lui, muni de quelque papier timbré dont mon portier me gratifie tous les soirs au moment où je rentre chez moi. L'habitude ne diminue pas l'espèce d'effroi que j'éprouve à la vue de ce détestable grimoire, que je n'ai jamais moins

* Voyez les Hommes de Loi, page 88.

compris que depuis que je commence à le déchiffrer. On ne s'imagine pas tout ce qu'une perruque de procureur peut enserrer de ruses, de détours de chicane, quand on n'a pas lu attentivement et d'un bout à l'autre une requête ou une assignation le préambule n'est qu'inquiétant; les conclusions font frémir, et je mets en fait qu'il n'y a pas d'honnête homme, étranger aux mœurs du Palais, qui puisse y lire de sang-froid le détail de tous les malheurs dont la justice le menace. Je n'oublierai jamais la nuit que m'a fait passer la première assignation que j'ai reçue pour ce malheureux procès : je me croyais déjà condamné, aux termes de l'ordon

nance:

«< A payer à Mme de Savignac, ou à ses ayant>> cause, les sommes dues par le domaine de Pageville, estimées depuis le commencement

>>

» de l'instance, au moyen du capital et des in

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térêts, au taux voulu par la loi, à la somme » de cent vingt-deux mille cinq cent trente» deux livres tournois, et ce, sans préjudice de cinquante mille francs de dommages appli» cables aux héritiers Savignac; plus, le re» cours à exercer contre ledit chevalier de Pa

>>

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geville pour les dégradations, dépérissement » que lesdits domaines pourraient avoir souf» ferts entre ses mains; le tout payable dans le » délai d'une année; se réservant, le demandeur, de poursuivre l'exécution de la sentence » à obtenir, par toutes voies de droit et même » par corps, le cas échéant. ›

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A la lecture de ces réclamations juridiques, l'indignation et le découragement s'étaient emparés de moi; je maudissais du fond de mon cœur cette société ou plutôt cette caverne dans la– quelle j'étais venu si vieux me jeter à l'étourdi : combien je regrettais mes savanes, mes forêts, ma cabane où je vivais à l'abri des recors, des huissiers et des procureurs!

J'attendis le jour avec impatience; M. Datès n'était pas levé lorsque je me présentai chez lui; je passai une heure d'angoisse à l'attendre dans son étude. Je lui remis, tout effrayé, le papier timbré que j'avais reçu la veille; il le prit avec indifférence, et, après en avoir lu les deux premières lignes « Ce n'est rien, me dit-il, rien qu'une assignation à huitaine à la troisième chambre.Eh! Monsieur! vous n'avez pas lu les infernales conclusions.... Je les devine. - Ne croyez

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