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sont des contorsions, et leur triomphe même un ridicule. Heureusement elles commencent à s'en apercevoir, et quelques-unes ont déjà repris leur place dans la galerie.

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No XIV. I1 novembre 1815.

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LES REVENDEUSES A LA TOILETTE.

C'est une illustre, au moins, et qui sait en secret
Couler adroitement un amoureux poulet;
Habile en tout métier, intrigante parfaite,

Qui prête, vend, revend, brocante, 'troque, 'achète;
Met à perfection uu hymen ébauché,“

Vend son argent bien cher, marie à bon marché.
REGN., le Joueur, act 5.

DANS une ville aussi populeuse que Paris, on a besoin d'un métier qui rapproche les distances, les conditions et les fortunes. Si chaque classe restait invariablement dans les limites qui lui sont assignées, le luxe verrait bientôt rétrécir son domaine. L'éclat de cette grande capitale tient particulièrement au besoin que chacun éprouve de sortir de sa sphère; il en résulte un effet à-peu-près semblable à celui qu'on remarque dans une foule où l'impulsion, communiquée

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de proche en proche par proche par le dernier rang, se fait sentir jusqu'au premier, qu'il porte souvent plus loin qu'il ne veut. Dès l'instant que l'humble ouvrière veut s'élever à la condition de griselle, celle-ci, pour éviter le voisinage, cherche à monter à l'état de bourgeoise; dès-lors, la bourgeoise se croit autorisée à prendre les airs d'une dame, et la dame à son tour s'efforce de prendre des airs de princesse.

De ce besoin de gagner l'étage supérieur a dû naître celui d'y paraître convenablement. Il a fallu dès-lors inventer des moyens pour se procurer, avec le simple nécessaire, les commodités de la vie, et les recherches de l'opulence avec les revenus de la médiocrité. De pareils résultats s'obtiennent rarement sans que la délicatesse n'ait à s'en plaindre; mais du moins faut-il convenir que ce genre d'industrie a été perfectionné, de nos jours, de manière à dissi– muler habilement ce qu'il peut avoir de trop

honteux.

C'est aux revendeuses à la toilette qu'on en est, en grande partie, redevable. Leur profession n'est cependant pas tout-à-fait moderne; elle date déjà de plus d'un siècle dans l'histoire de

nos mœurs. Regnard, en 1694, avait déjà mis sur le théâtre une madame La Ressource, qui prêtait aux jeunes gens de bonne famille

Sur des nantissemens qui valent bien leur prix;
De la vieille vaisselle au poinçon de Paris;
Des diamans usés et qu'on ne saurait vendre.

Quinze ans après, Le Sage a mis en scène une Mme Jacob, que l'on peut regarder comme le prototype des revendeuses à la toilette. Tous les secrets du métier sont développés par cette malheureuse sœur de M. Túrcaret :

« Je revends à la toilette, dit-elle; j'ai l'hon» neur de fournir des dentelles, des rubans et des pommades à Mme Dorimène ; je viens de l'a» vertir que j'aurai tantôt un bon hasard; mais » elle n'est point en argent, et m'a dit, Monsieur, que vous pourriez vous en accommo

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L'intrigue, l'esprit et les mœurs de Mmes La Ressource et Jacob sont encore aujourd'hui les qualités de toutes les femmes de cette profession; elles se mêlent de tout, négocient en même tems une affaire d'intérêt et une affaire de cœur; déploient le même talent pour la vente d'un cachemire et pour la remise d'un billet

doux; elles se prêtent à toutes sortes de rôles : elles sont veuves ou mariées, mères ou tantes, suivant l'occasion; occupent une échoppe, une boutique, une petite maison ou un hôtel, suivant la circonstance. Elles ont aux ordres de leurs pratiques, et selon leur rang, un cabriolet, une calèche ou une berline; une maison de campagne, une chambre de bain à Chaillot ou un cabinet au Cadran - Bleu; elles s'introduisent avec la même adresse dans le palais d'une duchesse ou dans le comptoir d'une marchande; elles parlent avec la même facilité le langage de l'honneur et celui de la corruption; revendeuses dans un salon, usurières dans un hôtel garni, émissaires dans un boudoir, elles s'acquittent également bien de ces différens emplois, qui se prêtent un mutuel secours. Personne n'entend comme elles le secret de satisfaire les goûts dispendieux d'une femme, sans effrayer l'avarice d'un mari; comme Figaro, par la seule force de leur art, elles savent, d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue, renverser tous les obstacles. » Tels sont les traits principaux qui, de tout tems, ont caractérisé cette

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