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ils gagnent les causes? Ce célèbre avocat romain n'a-t-il pas été sénateur et consul? n'a-t-il pas été appelé le père de la patrie? Pourquoi ses dis-ciples n'auraient-ils pas la même ambition? Les hommes de loi se regardent comme des législateurs au petit -pied; ils ont plaidé, comme maître le Dain, du côté du greffe ;* ils plaideront maintenant du côté de l'Etat: ils ont défendu Milon et Roscius à la barre d'un tribunal; ils attaqueront tout aussi bien Catilina à la tribune. Partout où l'on parle, partout où l'on dispute, la place des avocats est marquée, à moins pourtant qu'on ne tienne à s'entendre le plus promptement possible.

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Tout en causant en voiture, nous arrivons chez l'avoué Datès : nous voilà dans l'étude. Que ce lieu est sombre! qu'il inspire de tristes pensées! En parcourant, d'un coup-d'œil, énormes casiers remplis de dossiers poudreux, je me figure que la ruine de cent familles est peut-être juridiquement établie sur ces morceaux de papier timbré. De larges étiquettes leur servent d'indices. On lit: Affaire GrosJean, demandeur, contre Petit-Pierre, intimé.

* VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique.

Arbitrage dans l'affaire de Solange. Première instance dans l'affaire Dubreuil, etc.

Au milieu de ces archives de la chicane, une douzaine d'élèves procureurs assignaient de toute la vitesse de leur plume, et sans faire à nous la moindre attention; le maître-clerc, à qui nous nous adressâmes, nous introduisit dans un cabinet qui ne différait de l'étude que par ses dimensions : nous y trouvâmes M. Datès assis devant un énorme bureau couvert de papiers, séparés et maintenus par des plaques de marbre, ayant sous sa main un Code civil, une ordonnance de 1667 avec ses commentaires, un Répertoire de jurisprudence et le tableau des avoués. Le seul ornement de cette pièce était un portrait de M. le procureur, peint par Durand, à une époque où il n'était encore que maître-clerc dans cette même étude que sa défunte femme lui a apportée en dot. M. Datès est un homme froid, sévère, exact, qui appelle probité tout ce que la loi autorise, et qui ne connaît de crime que ce qu'elle défend. Il m'expliqua fort bien sur quels points de droit, sur quel vice de forme, mon adversaire fondait ses prétentions, et me prouva la nécessité d'éclaircir les

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faits aux yeux des juges par un premier mémoire. Je l'autorisai à faire ce qu'il jugerait convenable. Il rangea mes pièces par ordre, les attacha avec un fil rouge, et les recouvrit d'un papier sur lequel il écrivit Affaire Pageville, contre feu la marquise de Savignac, demanderesse. Cette petite opération achevée, il promit de me faire prévenir du jour où l'affaire serait appelée. Dès-lors, me voilà rangé dans cette classe de malheureux plaideurs qui courent la chance d'être ruinés tout-àfait s'ils perdent leur cause, et ruinés en partie s'ils la gagnent. Je ne vois qu'un avantage à tirer de cette triste aventure, c'est d'apprendre ce que c'est qu'un procès, et de faire part à mes lecteurs, qui auront plus long-tems à en profiter, des connaissances tardives que je vais acquérir.

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No IX.

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9 octobre 1815.

LA FÊTE DE SAINT-CLOUD.

Quel tems choisissez-vous pour nous parler de fête?

QUINAUT, Prol.

JE commence par répondre à la question qué je m'adresse à moi-même dans mon épigraphe : je parle de fêtes dans les circonstances où nous nous trouvons, parce qu'on en donne, et que, pour qui s'exerce à peindre les mœurs françaises, un pareil trait de caractère est, à lui seul, un tableau.

Ce que les vrais Parisiens redoutent le plus au monde, après la famine, ce sont les voyages : le pays étranger commence pour eux à quelques toises au-delà des barrières, et une sorte d'inquiétude les saisit au moment où ils n'aperçoivent plus les paternelles tours de Notre

Dame; aussi, dans les fêtes de campagne, qu'ils aiment beaucoup, et qu'ils mettent au premier rang de leurs plaisirs, ont-ils soin de ne pas s'éloigner assez pour perdre de vue ces clochers protecteurs.

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Le 10 du mois dernier, je me promenais seul sur les boulevarts; le tems était superbe, et la chaussée était couverte de voitures, qui toutes se dirigeaient vers les Champs-Elysées; en cherchant à m'expliquer ce mouvement extraordinaire, à une heure de la journée où le beau monde ne se montre pas habituellement, je devinai que cette affluence devait avoir pour objet quelque fête patronale, sans pouvoir me rappeler quelle était celle qui jouissait d'une pareille vogue. Un souvenir qui vous échappe en fait naître un autre; je me souvins que le poète Le Mierre, avec qui j'avais fait mes études au collège des Grassins, était, de son tems, l'homme de France le plus au courant des fêtes de la banlieue : ce La Fontaine de l'amourpropre, qui s'interrompait de si bonne foi pour essuyer les larmes qu'il versait en lisant ses tragédies, se consolait tout aussi naïvement du peu de monde qu'attiraient quelquefois les premières

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