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que le procès de Socrate ne nous fournit point: nous favons feulement qu'il eut d'abord deux cents vingt voix pour lui. Le tribunal des Cinq-cents poffédait donc deux cents vingt philofophes; c'eft beaucoup; je doute qu'on les trouvât ailleurs. Enfin la pluralité fut pour la ciguë; mais auffi fongeons que les Athéniens, revenus à eux-mêmes, eurent les accufateurs et les juges en horreur; que Mélitus, le principal auteur de cet arrêt, fut condamné à mort pour cette injuftice; que les autres furent bannis, et qu'on éleva un temple à Socrate. Jamais la philofophie ne fut fi bien vengée ni tant honorée. L'exemple de Socrate eft au fond le plus terrible argument qu'on puisse alléguer contre l'intolérance. Les Athéniens avaient un autel dédié aux dieux étrangers, aux dieux qu'ils ne pouvaient connaître. Y a-t-il une plus forte preuve, non-feulement d'indulgence pour toutes les nations, mais encore de refpect pour leurs cultes?

Un honnête homme, qui n'eft ennemi ni de la raison, ni de la littérature, ni de la probité, ni de la patrie, en justifiant depuis peu la Saint-Barthelemi, cite la guerre des Phocéens, nommée la guerre facrée, comme fi cette guerre avait été allumée pour le culte, pour le dogme, pour des argumens de théologie; il s'agiffait de favoir à qui appartiendrait un champ : c'est le fujet de toutes les guerres. Des gerbes de blé ne font pas un fymbole de croyance; jamais aucune ville grecque ne combattit pour des opinions: d'ailleurs que prétend cet homme modefte et doux? veutque nous faffions une guerre facrée ?

il

Si les Romains ont été tolérans?

CHEZ les anciens Romains, depuis Romulus jufqu'aux temps où les chrétiens difputèrent avec les prêtres de l'empire, vous ne voyez pas un feul homme perfécuté pour fes fentimens. Cicéron douta de tout; Lucrèce nia tout; et on ne leur en fit pas le plus léger reproche: la licence même alla fi loin, que Pline, le naturaliste, commence fon livre par nier un Dieu, et par dire que s'il en eft un, c'eft le foleil. Cicéron dit, en parlant des enfers: Non eft anus tam excors quæ credat: ,, Il n'y a pas même de vieille affez imbécille pour

les croire. Juvenal dit: Nec pueri credunt: Les enfans ,, n'en croient rien. On chantait fur le théâtre de Rome: Poft mortem nihil eft, ipfaque mors nihil: Rien , n'est après la mort, la mort même n'est rien. 99 Abhorrons ces maximes; et, tout au plus, pardonnonsles à un peuple que les évangiles n'éclairaient pas ; elles font fauffes, elles font impies: mais concluons que les Romains étaient très-tolérans, puifqu'elles n'excitèrent jamais le moindre murmure.

Le grand principe du fénat et du peuple romain était: Deorum offenfa diis cura; c'est aux dieux feuls ,, à fe foucier des offenfes faites aux dieux.

Ce

peuple roi ne fongeait qu'à conquérir, à gouverner et à policer l'univers. Ils ont été nos légiflateurs, comme nos vainqueurs; et jamais Céfar, qui nous donna des fers, des lois et des jeux, ne voulut nous forcer à quitter nos druides pour lui, tout grand pontife qu'il était d'une nation notre fouveraine.

Les Romains ne profeffaient pas tous les cultes, ils ne donnaient pas à tous la fanction publique, mais ils les permirent tous. Ils n'eurent aucun objet matériel de culte fous Numa, point de fimulacres, point de ftatues; bientôt ils en élevèrent aux dieux majorum gentium, que les Grecs leur firent connaître. La loi des douze tables, Deos peregrinos ne colunto, se réduifit à n'accorder le culte public qu'aux divinités fupérieures, approuvées par le fénat. Ifis eut un temple dans Rome, jufqu'au temps où Tibère le démolit, lorfque les prêtres de ce temple, corrompus par l'argent de Mundus, le firent coucher dans le temple, fous le nom du dieu Anubis, avec une femme nommée Pauline. Il eft vrai que Jofeph eft le feul qui rapporte cettè histoire; il n'était pas contemporain, il était crédulé et exagérateur. Il y a peu d'apparence que, dans un temps auffi éclairé que celui de Tibère, une dame de la première condition eût été affez imbécille pour

croire avoir les faveurs du dieu Anubis.

Mais que cette anecdote foit vraie ou fauffe, il demeure certain que la fuperftition égyptienne avait élevé un temple à Rome avec le confentement public. Les Juifs y commerçaient dès le temps de la guerre punique; ils y avaient des fynagogues, du temps d'Augufte; et ils les confervèrent prefque toujours, ainfi que dans Rome moderne. Y a-t-il un plus grand exemple que la tolérance était regardée par les Romains comme la loi la plus facrée du droit des gens ?

On nous dit qu'auffitôt que les chrétiens parurent, ils furent perfécutés par ces mêmes Romains qui ne perfécutaient personne. Il me paraît évident que ce fait eft très-faux ; je n'en veux pour preuve que

St Paul lui-même. Les Actes des apôtres nous apprennent que (o) St Paul étant accufé par les Juifs de vouloir détruire la loi mofaïque par JESUS-CHRIST, St Jacques propofa à St Paul de fe faire rafer la tête, et d'aller fe purifier dans le temple avec quatre juifs, afin que tout le monde fache que tout ce que l'on dit de vous eft faux, et que vous continuez à garder la loi de Moïfe.

Paul chrétien alla donc s'acquitter de toutes les cérémonies judaïques pendant fept jours; mais les fept jours n'étaient pas encore écoulés, quand des juifs d'Afie le reconnurent; et voyant qu'il était entré dans le temple, non-feulement avec des juifs, mais avec des gentils, il crièrent à la profanation: on le faifit, on le mena devant le gouverneur Félix, et enfuite on s'adreffa au tribunal de Feftus. Les Juifs en foule demandèrent fa mort; Feftus leur répondit: (þ) Ce n'est point la coutume des Romains de condamner un homme avant que l'accufé ait fes accufateurs devant lui, et qu'on lui ait donné la liberté de fe défendre.

Ces paroles font d'autant plus remarquables dans ce magiftrat romain, qu'il paraît n'avoir eu nulle confidération pour St Paul, n'avoir fenti pour lui que du mépris ; trompé par les fauffes lumières de fa raifon, il le prit pour un fou; il lui dit à lui-même qu'il était en démence, (q) multæ te litteræ ad infaniam convertunt. Feftus n'écouta donc que l'équité de la loi romaine, en donnant fa protection à un inconnu qu'il ne pouvait estimer.

Voilà le Saint-Esprit lui-même qui déclare que les

(0) Chap XXI et XXII. (A) Act. chap. XXV.

(4) Act. chap. XXVI, v. 34.

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Romains n'étaient pas perfécuteurs, et qu'ils étaient juftes. Ce ne font pas les Romains qui fe foulevèrent contre St Paul, ce furent les Juifs. St Jacques, frère de JESUS, fut lapidé par l'ordre d'un juif faducéen, et non d'un romain. Les Juifs feuls lapidèrent St Etienne; (r) et lorfque St Paul gardait les manteaux des exécuteurs, certes il n'agiffait pas en citoyen romain.

Les premiers chrétiens n'avaient rien, fans doute, à démêler avec les Romains; ils n'avaient d'ennemis que les Juifs, dont ils commençaient à fe féparer. On fait quelle haine implacable portent tous les fectaires à ceux qui abandonnent leur fecte. Il y eut, fans doute, du tumulte dans les fynagogues de Rome. Suétone dit, dans la vie de Claude: Judæos impulfore Chrifto affiduè tumultuantes Roma expulit. Il fe trompait, en difant que c'était à l'instigation de CHRIST: il ne pouvait pas être inftruit des détails d'un peuple auffi méprifé à Rome que l'était le peuple juif; mais il ne fe trompait pas fur l'occafion de ces querelles. Suétone écrivait fous Adrien, dans le fecond fiècle; les chrétiens n'étaient pas alors diftingués des juifs aux yeux des Romains. Le paffage de Suétone fait voir que les Romains, loin d'opprimer les premiers chrétiens, réprimaient alors les juifs qui les perfécutaient. Ils voulaient que la fynagogue de Rome eût pour fes frères féparés la même indulgence que le fénat avait

(r) Quoique les Juifs n'euffent pas le droit du glaive depuis qu' Archelaus avait été relégué chez les Allobroges, et que la Judée était gouvernée en province de l'empire, cependant les Romains fermaient fouvent les yeux quand les juifs exerçaient le jugement du zèle, c'est-à-dire, quand, dans une émeute subite, ils lapidaient par zèle celui qu'ils croyaient avoir blafphėmė,

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