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pour ravir leurs domaines. Jules II, animé du même efprit, excommunia Louis XII, donna son royaume au premier occupant ; et lui-même, le cafque en tête et la cuiraffe fur le dos, mit à feu et à fang une partie de l'Italie. Léon X, pour payer fes plaifirs, trafiqua des indulgences, comme on vend des denrées dans un marché public. Ceux qui s'élevèrent contre tant de brigandages n'avaient du moins aucun tort dans la morale. Voyons s'ils en avaient contre nous dans la politique.

Ils difaient que JESUS-CHRIST n'ayant jamais exigé d'annates ni de réserves, ni vendu des dispenses pour ce monde, et des indulgences pour l'autre, on pouvait se dispenser de payer à un prince étranger le prix de toutes ces chofes. Quand les annates, les procès en cour de Rome, et les dispenses qui subsistent encore aujourd'hui, ne nous coûteraient que cinq cents mille francs par an, il eft clair que nous avons payé depuis François I, en deux cents cinquante années, cent vingt millions; et en évaluant les différens prix du marc d'argent, cette fomme en compofe une d'environ deux cents cinquante millions d'aujourd'hui. On peut donc convenir fans blafphême que les hérétiques, en propofant l'abolition de ces impôts finguliers dont la poftérité s'étonnera, ne fefaient pas en cela un grand mal au royaume, et qu'ils étaient plutôt bons calculateurs que mauvais fujets. Ajoutons qu'ils étaient les feuls qui fuffent la langue grecque, et qui connuffent l'antiquité. Ne diffimulons point que, malgré leurs erreurs, nous leur devons le développement de l'efprit humain, long-temps enfeveli dans la plus épaiffe barbarie.

Mais comme ils niaient le purgatoire dont on ne

doit pas douter, et qui d'ailleurs rapportait beaucoup aux moines; comme ils ne révéraient pas des reliques qu'on doit révérer, mais qui rapportaient encore davantage; enfin, comme ils attaquaient des dogines très-respectés, (g) on ne leur répondit d'abord qu'en les fefant brûler. Le roi, qui les protégeait et les foudoyait en Allemagne, marcha dans Paris à la tête d'une proceffion, après laquelle on exécuta plufieurs de ces malheureux; et voici quelle fut cette exécution. On les fufpendait au bout d'une longue poutre qui jouait en bafcule fur un arbre debout; un grand feu

(g) Ils renouvelaient le fentiment de Bérenger fur l'euchariftie; ils njaient qu'un corps pùt être en cent mille endroits différens, même par la toute-puiffance divine; ils niaient que les attributs pussent subsister fans fujet; ils croyaient qu'il était abfolument impoffible que ce qui eft pain et vin aux yeux, au goût, à l'eftomac, fût anéanti dans le moment même qu'il exifte ; ils foutenaient toutes ces erreurs, condamnées autrefois dans Bérenger. Ils fe fondaient fur plufieurs paffages des premiers pères de l'Eglife, et fur-tout de faint Juftin, qui dit expreffement dans fon dialogue contre Typhon ; » L'oblation de la fine farine eft la figure » de l'eucharifie que JESUS-CHRIST nous ordonne de faire en » mémoire de fa pallion. » καὶ ἡ της σεμίδαλεως &c, τύπος εστί του ἄρτου της εὐχαριστίας ὃν εἰς ἀνάμνησιν του πάθους &c, Ιησους Χριστὸς ὁ κύριος ἡμῶν παρέδωκε ποιεῖν.

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Ils rappelaient tout ce qu'on avait dit dans les premiers fiècles coutre le culte des reliques; ils citaient ces paroles de Vigilantius : „ Est-il » néceffaire que vous refpectiez, ou même que vous adoriez une vile " pouffière? les ames des martyrs aiment-elles encore leurs cendres ? Les » coutumes des idolâtres fe font introduites dans l'Eglife: on commence » à allumer des flambeaux en plein midi : nous pouvons pendant notre " vie prier les uns pour les autres; mais après la mort, à quoi fervent "› ces prières ? "

Mais ils ne difaient pas combien faint Jérôme s'était élevé contre ces paroles de Vigilantius. Enfin ils voulaient tout rappeler aux temps apoftoliques, et ne voulaient pas convenir que l'Eglife s'étant étendue et fortifiée, il avait fallu néceffairement étendre et fortifier fa difcipline: ils condamnaient les richeffes qui femblaient pourtant nécellaires pour foutenir la majefté du culte.

était allumé fous eux, on les y plongeait, et on les relevait alternativement; ils éprouvaient les tourmens et la mort par degrés, jusqu'à ce qu'ils expiraffent par le plus long et le plus affreux fupplice que jamais ait inventé la barbarie.

Peu de temps avant la mort de François I, quelques membres du parlement de Provence, animés par des eccléfiaftiques contre les habitans de Mérindol et de Cabrières, demandèrent au roi des troupes pour appuyer l'exécution de dix-neuf perfonnes de ce pays condamnées par eux ; ils en firent égorger fix mille, fans pardonner ni au fexe ni à la vieilleffe ni à l'enfance; ils réduifirent trente bourgs en cendres. Ces peuples, jufqu'alors inconnus, avaient tort, fans doute, d'être nés vaudois, c'était leur feule iniquité. Ils étaient établis depuis trois cents ans dans des déferts et fur des montagnes qu'ils avaient rendus fertiles par un travail incroyable. Leur vie paftorale et tranquille retraçait l'innocence attribuée aux premiers âges du monde. Les villes voifines n'étaient connues d'eux que par le trafic des fruits qu'ils allaient vendre ; ils ignoraient les procès et la guerre; ils ne fe défendirent pas ; on les égorgea comme des animaux fugitifs qu'on tue dans une enceinte. (h)

(h) Le véridique et refpectable président de Thou parle ainfi de ces hommes fi innocens et fi infortunés : Homines effe qui trecentis circiter abhinc annis afperum et incultum folum vectigale à dominis acceperint, quod improbo labore et affiduo cultu frugum ferax et aptum pecori reddiderint; patientiffimos cos laboris inediæ, à litibus abhorrentes, ergå egenos munificos, tributa principi et fua jura dominis fedulò et fummâ fide pendere ; Dei cultum affiduis precibus et morum innocentiam præ fe ferre, cæterum rarò divorum templa adire, nifi quando ad vicina fuis finibus oppida mercandi aut negotiorum causâ divertant; quo fi quandoque pedem inferant, non dei, divorumque ftatuis advolvi, nec cæteros eis aut donaria ulla ponere ; non facerdotes ab eis rogari ut pro fe

Après la mort de François I, prince plus connu cependant par fes galanteries et par fes malheurs que par fes cruautés, le fupplice de mille hérétiques, fur-tout celui du confeiller au parlement, Dubourg, et enfin le maffacre de Vaffy, armèrent les perfécutés, dont la fecte s'était multipliée à la lueur des bûchers, et fous le fer des bourreaux; la rage fuccéda à la patience; ils imitèrent les cruautés de leurs ennemis : neuf guerres civiles remplirent la France de carnage; une paix plus funefte que la guerre produifit la Saint-Barthelemi, dont il n'y avait aucun exemple dans les annales des crimes.

La ligue affaffina Henri III et Henri IV, par les mains d'un frère jacobin et d'un monftre qui avait été frère feuillant. Il y a des gens qui prétendent que l'humanité, l'indulgence et la liberté de conscience font des chofes horribles; mais, en bonne foi, auraientelles produit des calamités comparables?

aut propinquorum manibus rem divinam faciant; non cruce frontem infigniri uti "aliorum moris eft: cum cælum intonat non fe luftrali aquâ afpergere, fed fublatis in cælum oculis dei opem implorare; non religionis ergò peregrè proficifci, non per vias ante crucium fimulacra caput aperire; facra alio ritu et populari linguâ celebrare; non denique pontifici aut epifcopis honorem deferre, fed quofdam è fuo delectos pro antiftibus ét doctoribus habere. Hæc uti ad Francifcum relata VI. Eid. feb. anni, &c.

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- Madame de Cental, à qui appartenait une partie des terres ravagées, et fur lesquelles on ne voyait plus que les cadavres de fes habitans, demanda juftice au roi Henri II, qui la renvoya au parlement de Paris. L'avocat général de Provence, nommé Guérin, principal auteur des maffacres, fut feul condamné à perdre la tête; de Thou dit qu'il porta feul la peine des autres coupables, quòd aulicorum favore deftitueretur, parce qu'il n'avait pas d'amis à la cour.

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Si la tolérance eft dangereufe, et chez quels peuples elle eft permife?

QUELQUES-UNS ont dit que fi l'on ufait d'une indulgence paternelle envers nos frères errans qui prient DIEU en mauvais français, ce ferait leur mettre les armes à la main; qu'on verrait de nouvelles batailles de Jarnaç, de Moncontour, de Coutras, de Dreux, de Saint-Denis, &c. ; c'eft ce que j'ignore, parce que je ne fuis pas un prophète; mais il me femble que ce n'eft pas raifonner conféquemment que de dire: Ces hommes fe font foulevés quand je leur ai fait du mal; donc ils fe fouleveront quand je leur ferai du bien.

J'oferais prendre la liberté d'inviter ceux qui font à la tête du gouvernement, et ceux qui font deftinés aux grandes places, à vouloir bien examiner mûrement fi l'on doit craindre en effet que la douceur produife les mêmes révoltes que la cruauté a fait naître; fi ce qui est arrivé dans certaines circonftances doit arriver dans d'autres ; fi les temps, l'opinion, les mœurs font toujours les mêmes.

Les huguenots, fans doute, ont été enivrés de fanatifme et fouillés de fang comme nous; mais la génération préfente eft-elle auffi barbare que leurs pères? le temps, la raifon qui fait tant de progrès, les bons livres, la douceur de la fociété, n'ont-ils point pénétré chez ceux qui conduisent l'efprit de ces peuples? et ne nous apercevons-nous pas que prefque toute l'Europe a changé de face depuis environ cinquante années?

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