Page images
PDF
EPUB

DES EDITEURS.

[ocr errors]

OUS ofons croire, à l'honneur du fiècle où nous vivons, qu'il n'y a point dans toute l'Europe un feul homme éclairé qui ne regarde la tolérance comme un droit de justice, un devoir prefcrit par l'humanité, la confcience, la religion; une loi néceffaire à la paix et à la profpérité des Etats.

Si dans cette claffe d'hommes qui déshonorent les lettres par leur vie comme par leurs ouvrages, quelques-uns ofent encore s'élever contre cette opinion, on peut leur opposer avec trop d'avantage les maximes et la conduite des Etats Unis de l'Amérique feptentrionale, des deux parlemens de la Grande-Bretagne, des Etats Généraux, de l'empereur des Romains, de l'impératrice des Ruffes, du roi de Pruffe, du roi de Suède, de la république de Pologne : du Cercle polaire, au cinquantième degré de latitude; du Kamshatka, aux rives du Miffiffipi, la tolérance s'eft établie fans trouble. A la vérité, les conféderés polonais mêlèrent quelques pratiques de dévotion au projet d'assaffiner leur roi, et à leur alliance avec les Turcs;

mais cet abus de la religion est une preuve de plus de la néceffité d'être tolérant, fi l'on veut être paisible.

Tout légiflateur qui professe une religion, qui connaît les droits de la conscience, doit être tolérant; il doit fentir combien il est injuste et barbare de placer un homme entre le supplice et des actions qu'il regarde comme des crimes. Il voit que toutes les religions s'appuient fur des faits, font établies fur le même genre de preuves, fur l'interprétation de certains livres, fur la même idée de l'infuffifance de la raison humaine; que toutes ont été fuivies par des hommes éclairés et vertueux ; que les opinions contradictoires ont été foutenues par des gens de bonne foi, qui avaient médité toute leur vie fur ces objets.

Comment se croira-t-il donc affez sûr de fa croyance pour traiter comme ennemis de DIEU ceux qui pensent autrement que lui? Regardera-t-il le fentiment intérieur qui le détermine comme une preuve juridique qui lui donne des droits fur la vie ou fur la liberté de ceux qui ont d'autres opinions? comment ne sentiraitil pas que ceux qui profeffent une autre doctrine ont contre lui un droit auffi légitime que celui qu'il exerce contre eux ?

Suppofons maintenant un homme qui, n'ayant aucune religion, les regarde toutes comme des fables abfurdes; cet homme fera-t-il intolérant? non, fans doute. A la vérité, comme fes preuves font d'un autre genre, comme les fondemens de fes opinions font appuyés fur des principes d'une autre nature, le devoir d'être tolérant est fondé pour lui fur d'autres motifs. S'il regarde comme des infenfés les fectateurs des différentes religions, fe croira-t-il en droit de traiter comme un crime une folie qui ne trouble pas l'ordre de la fociété, de priver de leurs droits des hommes que l'efpèce de démence dont ils font atteints ne met pas hors d'état de les exercer? Peut-il ne pas les fuppofer de bonne foi? car l'existence même des fourbes qui professent une croyance qu'ils n'ont pas, suppose celle des dupes aux dépens de qui ces fourbes vivent et s'enrichiffent. Il faudrait qu'il eût un moyen de prouver juridiquement que tel homme qui profeffe une opinion abfurde ne la croit pas ; et l'on fent que ce moyen ne peut exifter. L'idée même qu'une telle opinion particulière peut être dangereuse par fes conféquences n'autoriserait pas une loi d'intolérance. Une opinion qui prefcrirait directement la fédition ou l'affaffinat comme un devoir, pourrait feule être traitée comme un délit ; mais dans ce cas, ce n'est plus d'intolérance

y

religieufe qu'il s'agit, mais de l'ordre et du repos de la fociété.

Si maintenant nous confidérons la justice et le maintien des droits des hommes, nous trouverons que la liberté des opinions, celle de les profeffer publiquement et de s'y conformer dans fa conduite, en tout ce qui ne donne point atteinte aux droits d'un autre homme, est un droit aussi réel que la liberté personnelle ou la propriété des biens. Ainfi toute limitation apportée à l'exercice de ce droit eft contraire à la justice, et toute loi d'intolérance est une loi injufte.

A la vérité, il ne faut ici entendre par loi qu'une loi permanente, parce qu'il eft poffible que l'espèce de fièvre que cause le zèle religieux exige pour un temps, dans un certain pays, un autre régime que l'état de santé ; mais alors la fureté et le repos de ceux que l'on prive de leurs droits font le feul motif légitime que puiffent avoir des lois de cette espèce.

L'intérêt général de l'humanité, ce premier objet de tous les cœurs vertueux, demande la liberté d'opinions, de confcience, de culte d'abord parce qu'elle eft le feul moyen d'établir entre les hommes une véritable fraternité; car, puifqu'il eft impoffible de les réunir dans les mêmes

« PreviousContinue »