Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

ufuriers et les efcrocs battirent des mains; les juges furent ébranlés; le parlement renvoya l'affaire en première instance au bailliage du palais, petite juridiction inconnue jufqu'alors.

Le ridicule, l'abfurdité du roman de la bande Jonquay étaient affez fenfibles; l'infamie de leurs manœuvres, l'infolence de leur crime étaient manifestes; mais la prévention était plus forte. Le public féduit féduifit le juge du bailliage.

La populace gouverne fouvent ceux qui devraient la gouverner et l'inftruire. C'est elle qui dans les féditions donne des lois; elle affervit le fage à fes folles fuperftitions; elle force le ministère dans des temps de cherté à prendre des partis dangereux ; elle influe fouvent dans les jugemens des magiftrats fubalternes. Une prêteufe fur gages perfuade une fervante qui perfuade fa maîtreffe qui perfuade fon mari. Un cabaretier empoisonne un juge de fon vin et de fes difcours. Le bailliage fut ainfi endocumenté. Le plaifir d'humilier la nobleffe chatouillait encore en fecret l'amour propre de quelques bourgeois qui étaient devenus fes juges.

Le maréchal de camp fut plongé dans la prison la plus dure, condamné à payer un argent qu'il n'avait jamais reçu, et à des amendes infamantes : le crime triompha.

Alors le public des honnêtes gens commença d'ouvrir les yeux. La maladie épidémique qui s'était répandue dans toutes les conditions avait perdu de fa malignité.

L'affaire ayant été enfin rapportée de droit au parlement, le premier préfident, M. de Sauvigni,

interrogea lui-même les témoins. Il produifit au grand jour la vérité fi long-temps obscurcie. Le parlement vengea par un arrêt folennel le comte de Morangiés et fes accufateurs. Jonquay et fa mère furent condamnés au bannissement, peine bien douce pour leur crime, mais que les incidens du procès ne permettaient pas de rendre plus griève.

Il était d'ailleurs plus néceffaire de manifefter l'innocence du comte que de flétrir la canaille des accufateurs dont on ne pouvait augmenter l'infamie. Enfin tout Paris s'étonna d'avoir été deux ans entiers la dupe du menfonge le plus groffier et le plus ridicule que la fottife et la friponnerie en délire aient pu jamais inventer.

Puiffent de tels exemples apprendre aux Parifiens à ne pas juger des affaires férieuses comme d'un opéra comique, fur les difcours d'un perruquier ou d'un tailleur, répétés par des femmes de chambre ! Mais un peuple qui a été vingt ans entiers la dupe des miracles de M. l'abbé Pâris, et des gambades de M. l'abbé Bécherand, pourra-t-il jamais fe corriger?

Odi profanum vulgus, et arceo.

PRECIS

DE M. LE COMTE DE MORANGIÉS,

CONTRE LA FAMILLE VERRON.

177 2.

PLUSIEURS

LUSIEURS perfonnes, qui cherchent le vrai en tout genre, ont défiré qu'après le procès criminel du comte de Lalli, on leur donnât un précis du procès civil et criminel que le cointe de Morangiés a cffuyé. Le voici :

La maison de Morangiés avait des dettes dont le comte de Morangiés, maréchal de camp, s'était chargé. Pour éteindre ces dettes, il voulut faire exploiter et vendre en détail une forêt dans le Gévaudan, laquelle a, dit-on, environ dix mille arpens d'étendue, et dont il pouvait difpofer par un accord public avec les créanciers de fa maifon. Il montre le plan de cette forêt, figné d'un arpenteur juré: il présente toutes les pièces néceffaires ; mais un homme endetté ne pouvait guère trouver de l'argent à Paris, pour faire couper une forêt dans le Gévaudan.

Il s'adreffe à une courtière d'ufure. Cette courtière lui indique un jeune homme nommé du Jonquay, que ses avocats difent très-bien né, petit-fils d'une veuve opulente, arrivé depuis un an de province, ayant travaillé quelques mois chez un procureur, reçu docteur és lois par bénéfice d'âge, comme tant de Politique et Légif. Tome II.

Bb

magiftrats bien élevés, et près d'acheter une charge de confeiller de la cour des aides ou du parlement dans le temps où le droit de juger les hommes fe vendait encore.

Après quelques pourparlers le maréchal de camp vient figner au jeune magiftrat des billets de trois cents mille livres, avec les intérêts à fix pour cent. Ces billets à ordre font faits dans un galetas où logeait ce prêteur, et où il y avait pour tous meubles trois chaises de paille et une table de sapin. L'emprunteur, en voyant cet ameublement, crut être chez un jeune courtier d'agent de change. Il affirme et jure qu'il n'a fait ces billets que pour être négociés fur la place, et qu'il n'en a point reçu la valeur, qu'il ne devait la recevoir que quand l'affaire ferait confommée, felon l'ufage établi dans toutes les villes de

commerce.

Le jeune homme affirme et jure que c'eft l'or de madame fa grand'mère qu'il a donné ; qu'il a porté cet or à pied, en treize voyages en un matin; qu'il a fait environ cinq lieues et demie à pied, pour obliger monfieur le comte, quoiqu'il pût porter cet or dans un fiacre en un feul voyage. (a)

Il a fait faire ces billets au profit de la dame Verron, fa grand'mère. Il n'y a pas d'apparence qu'un homme

(a) On voit en effet au procès un écrit de M. le comte de Morangiés, du 24 feptembre 1771, par lequel de plufieurs plans d'emprunts propofes par du Jonquay, (qu'il prenait pour un courtier) il adopte celui de 327000 liv. payables pour 300000 comptant: et promet de faire des billets de 327000 livres, y compris l'ufure quand il recevra l'argent. Or du Jonquay prétend avoir donné cet argent le 23. Il eft impoffible, que l'emprunteur ait promis le 24 de figner, fi tôt qu'on lui apporterait un argent qu'il aurait reçu la veille.

d'un âge mûr les eût fignés, s'il n'en avait pas reçu la valeur. Mais il y a peut-être encore moins d'apparence que la grand'mère Verron, qui demeurait dans un galetas avec la Romain, mère de du Jonquay, et trois fœurs de du Jonquay, très-pauvrement vêtues, et fubfiftant, elle et toute fa famille, d'un très-petit fonds qu'elle fefait valoir à ufure, eût poffedé la fomme exorbitante de trois cents mille livres en or.

La famille prévient cette objection qu'on ne lui fefait pas encore, en difant que la veuve Verron, la grand'mère, avait reçu fecrètement une grande partie de cet argent depuis plus de trente ans, par les mains d'un nommé Chotard, qui était mort banqueroutier; que fon mari, prétendu banquier, avait donné fecrètement cette fomme à l'inconnu Chotard par un fidéicommis fecret. La veuve l'avait fait valoir fecrètement chez un notaire; elle l'avait retirée fecrètement de ce notaire qui était mort alors; elle l'avait portée à Vitry fecrètement, au fond de la Champagne, dans une charrette; elle y avait vendu fecrètement à des juifs de beaux diamans, dont le prix fervit à compléter les trois cents mille livres ; elle fit porter fecrètement à Paris ces trois cents mille livres en or, dans une charrette d'un voiturier qu'on ne nomme pas, (b) à un troifième étage, rue Saint-Jacques. Et moi, ajoutait du Jonquay, je les ai portées fecrètement à pied, en treize voyages, à M. de Morangiés, pour mériter fa protection. J'ai pour témoins un cocher

(d). Il est étrange que dans le cours de ce procès on n'ait point fongé à rechercher le fait de ce prétendu voiturier; tous les voituriers font connus, leurs noms font fur des registres: comment n'a-t-on fait aucune enquête à Paris et à Vitry?

« PreviousContinue »