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POLITIQUE

E T

LEGISLATION.

Politique et Légif. Tome II.

A

D'UNE LETTRE

Sur un ufage très-utile établi en Hollande.

1 7 4 5.

Il ferait à fouhaiter que ceux qui font à la tête

L

des nations imitaffent les artifans. Dès qu'on fait à Londres qu'on fait une nouvelle étoffe en France, on la contrefait. Pourquoi un homme d'Etat ne s'empreffera-t-il pas d'établir dans fon pays une loi utile qui viendra d'ailleurs? Nous fommes parvenus à faire la même porcelaine qu'à la Chine; parvenons à faire le bien qu'on fait chez nos voifins, et que nos voisins profitent de ce que nous avons d'excellent.

Il y a tel particulier qui fait croître dans fon jardin des fruits que la nature n'avait destinés qu'à mûrir fous la ligne : nous avons à nos portes mille lois, mille coutumes fages; voilà les fruits qu'il faut faire naître chez foi, voilà les arbres qu'il faut y tranfplanter ceux-là viennent en tous climats, et fe plaisent dans tous les terrains.

La meilleure loi, le plus excellent ufage, le plus utile que j'aie jamais vu, c'est en Hollande. Quand deux hommes veulent plaider l'un contre l'autre, ils font obligés d'aller d'abord au tribunal des conciliateurs, appelés fefeurs de paix. Si les parties

arrivent avec un avocat et un procureur, on fait d'abord retirer ces derniers, comme on ôte le bois d'un feu qu'on veut éteindre. Les fefeurs de paix difent aux parties Vous êtes de grands fous de vouloir manger votre argent à vous rendre mutuellement malheureux; nous allons vous accommoder fans qu'il vous en coûte rien.

Si la rage de la chicane eft trop forte dans ces plaideurs, on les remet à un autre jour, afin que le temps adouciffe les fymptômes de leur maladie. Enfuite les jugés les envoient chercher une feconde, une troisième fois. Si leur folie eft incurable, leur permet de plaider, comme on abandonne au fer des chirurgiens des membres gangrenés: alors la juftice fait fa main. (1)

on

Il n'eft pas néceffaire de faire ici de longues déclamations, ni de calculer ce qui en reviendrait au genre humain, fi cette loi était adoptée. D'ailleurs je ne veux point aller fur les brifées de M. l'abbé de Saint-Pierre, dont un miniftre plein d'efprit appelait les projets les rêves d'un homme de bien. Je fais que fouvent un particulier qui s'avife de propofer quelque chose pour le bonheur public fe fait berner. On dit: De quoi le mêle-t-il ? voilà un plaifant homme, de vouloir que nous foyons plus heureux que nous ne fommes! ne fait-il pas qu'un abus eft toujours le patrimoine d'une bonne partie de la nation? pourquoi nous ôter un mal où tant de gens trouvent leur bien? A cela je n'ai rien à répondre.

(1) Cet exemple a été fuivi par M. le duc de Rehan-Chabot dans les terres de Bretagne, où il a établi, depuis quelques années, un tribunal de conciliation.

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