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Ah! n'empoisonnons pas la douceur qui nous refìe.
Je crois voir des forçats dans un cachot funefte,
Se pouvant fecourir, l'un fur l'autre acharnés,
Combattre avec les fers dont ils font enchaînés. (*)

Quand vous aurez nourri votre esprit de cent paffages pareils, faites encore mieux; mettez-vous au régime de penfer par vous-même; examinez ce qui vous revient de vouloir dominer fur les confciences. Vous ferez fuivi de quelques imbécilles, et vous ferez en horreur à tous les efprits raisonnables. Si vous êtes perfuadé, vous êtes un tyran d'exiger que les autres foient perfuadés comme vous. Si vous ne croyez pas, vous êtes un monftre d'enseigner ce que vous méprifez, et de perfécuter ceux mêmes dont vous partagez les opinions. En un mot, la tolérance mutuelle eft l'unique remède aux erreurs qui pervertiffent l'efprit des hommes d'un bout de l'univers. à l'autre.

Le genre humain eft femblable à une foule de voyageurs qui fe trouvent dans un vaiffeau; ceux-là font à la poupe, d'autres à la proue, plufieurs à fond de cale et dans la fentine. Le vaiffeau fait eau de tous côtés, l'orage eft continuel: miférables paffagers qui ferons tous engloutis! faut-il qu'au lieu de nous porter les uns aux autres les fecours néceffaires qui adouciraient le paffage, nous rendions notre navigation affreufe! Mais celui-ci eft neftorien, cet autre eft juif, en voilà un qui croit à un picard, un autre à un natif d'Iflèbe; ici eft une famille d'ignicoles,' là font des musulmans, à quatre pas voilà des anabaptiftes. Hé! qu'importent leurs fectes? Il faut

(*) Poëme fur la Loi naturelle, chant III.

qu'ils travaillent tous à calfater le vaisseau, et que chacun, en affurant la vie de fon voifin pour quelques momens, affure la fienne; mais ils fe querellent et ils périffent.

Conclufion.

APRÈS avoir montré aux lecteurs cette chaîne de fuperftitions qui s'étend de fiècle en fiècle jufqu'à nos jours, nous implorons les ames nobles et compatiffantes, faites pour fervir d'exemple aux autres ; nous les conjurons de daigner fe mettre à la tête de ceux qui ont entrepris de juftifier et de fecourir la famille des Sirven. L'aventure effroyable des Calas, à laquelle l'Europe s'eft intéreffée, n'aura point épuisé la compaffion des cœurs fenfibles : et puifque la plus horrible injustice s'eft multipliée, la pitié vertueuse redoublera.

On doit dire, à la louange de notre siècle et à celle de la philofophie, que les Calas n'ont reçu les fecours qui ont réparé leur malheur, que des perfonnes inftruites et fages qui foulent le fanatifme à leurs pieds. Pas un de ceux qu'on appelle dévots, je le dis avec douleur, n'a effuyé leurs larmes, ni rempli leur bourse. Il n'y a que les efprits raisonnables qui pensent noblement; des têtes couronnées, des ames dignes de leur rang, ont donné à cette occafion de grands exemples; leurs noms feront marqués dans les fastes de la philofophie, qui confifte dans l'horreur de la fuperftition, et dans cette charité univerfelle que Cicéron recommande; charitas humani generis:

charité dont la théologie s'eft approprié le nom, comme s'il n'appartenait qu'à elle, mais dont elle a profcrit trop fouvent la réalité; charité, amour du genre humain, vertu inconnue aux trompeurs, aux pédans qui argumentent, aux fanatiques qui perfécutent.

LETTRE

DE M. LE MARQUIS D'ARGENCE,

BRIGADIER DES ARMÉES DU ROI.

J'AI lu dans une feuille, mon vertueux ami, inti

ΑΙ

tulée l'Année littéraire, une fatire à l'occafion de là justice rendue à la famille des Calas par le tribunal fuprême de meffieurs les maîtres des requêtes; elle a indigné tous les honnêtes gens; on m'a dit que c'eft le fort de ces feuilles.

L'auteur, par une rufe à laquelle personne n'est jamais pris, feint qu'il a reçu de Languedoc une lettre d'un philosophe proteftant; il fait dire à ce prétendu philofophe, que fi on avait jugé les Calas fur une lettre de M. de Voltaire, qui a couru dans l'Europe, on aurait eu une fort mauvaise idée de leur cause. L'auteur des feuilles n'ofe pas attaquer meffieurs les maîtres des requêtes directement, mais il femble espérer que les traits qu'il porte à M. de Voltaire retomberont fur eux, puifque M. de Voltaire avait agi fur les mêmes preuves.

Il commence par vouloir détruire la présomption favorable que tous les avocats ont fi bien fait valoir, qu'il n'eft pas naturel qu'un père affaffine fon fils, fur le foupçon que ce fils veut changer de religion. Il oppose à cette probabilité reconnue de tout le monde, l'exemple de Junius Brutus, qu'on prétend avoir condamné fon fils à la mort. Il s'aveugle au point de ne pas voir que Junius Brutus était un juge qui facrifia, en gémiffant, la nature à fon devoir. Quelle comparaifon entre une fentence févère et un affaffinat exécrable! entre le devoir et un parricide! et quel parricide encore! Il fallait, s'il eût été en effet exécuté, que le père et la mère, un frère et un ami en euffent été également coupables.

Il pouffe la démence jufqu'à ofer dire que fi les fils de Jean Calas ont affuré qu'il n'y eut jamais de père plus tendre et plus indulgent, et qu'il n'avait jamais battu un feul de fes enfans, c'est plutôt une preuve de fimplicité de croire cette dépofition, qu'une preuve de l'innocence des accufés.

Non, ce n'eft pas une preuve juridique complète, mais c'eft la plus grande des probabilités; c'est un motif puiffant d'examiner, et il ne s'agiffait alors pour M. de Voltaire, que de chercher des motifs qui le déterminaffent à entreprendre une affaire fi intéreffante, dans laquelle il fournit depuis des preuves complètes, qu'il fit recueillir à Toulouse.

Voici quelque chofe de plus révoltant encore. M. de Voltaire, chez qui je passai trois mois, auprès de Genève, lorfqu'il entreprit cette affaire, exigea, avant de s'y expofer, que madame Calas, qu'il favait

être une dame très-religieufe, jurât au nom de DIEU qu'elle adore, que ni fon mari ni elle n'étaient coupables. Ce ferment était du plus grand poids, car il n'était pas poffible que madame Calas fît un faux ferment pour venir à Paris s'expofer au fupplice; elle était hors de caufe; rien ne la forçait à faire la démarche hasardeufe de recommencer un procès criminel, dans lequel elle aurait pu fuccomber. L'auteur des feuilles ne fait pas ce qu'il en coûterait à un cœur qui craint DIEU, de fe parjurer; il dit que c'est-là un mauvais raifonnement, que c'est comme fi quelqu'un aurait interrogé un des juges qui condamnèrent Calas, &c.

Peut-on faire une comparaison auffi abfurde? Sans doute, le jufte fera ferment qu'il a jugé fuivant fa confcience; mais cette confcience peut avoir été trompée par de faux indices, au lieu que madame Calas ne faurait fe tromper fur le crime qu'on imputait alors à fon mari, et même à elle. Un accufé fait très-bien dans fon cœur s'il eft coupable ou non; mais le juge ne peut le favoir que par des indices fouvent équivoques. Le fefeur de feuilles a donc raifonné avec autant de fottife que de malignité, car je dois appeler les chofes par leur nom.

Il ofe nier qu'on ait cru dans le Languedoc, que les proteftans ont un point de leur fecte qui leur permet de donner la mort à leurs enfans qu'ils foupçonnent de vouloir changer de religion, &c. ce font les paroles de ce folliculaire.

Il ne fait donc pas que cette accufation fut fi publique et fi grave, que M. Sudre, fameux avocat de Toulouse, dont nous avons un excellent mémoire

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