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rare mérite, qui fe font élevés au-deffus de leur état, et qui ont rendu fervice à leur patrie. Mais j'ose affurer que tous les grands hommes, dont le mérite a percé du cloître dans le monde, ont tous été perfécutés par leurs confrères. Tout favant, tout homme de génie y effuie plus de dégoûts, plus de traits de l'envie, qu'il n'en aurait éprouvé dans le monde. L'ignorant et le fanatique, qui foutiennent les intérêts de la beface, y ont plus de confidération que n'en aurait le plus grand génie de l'Europe; l'horreur qui règne dans ces cavernes paraît rarement aux yeux des féculiers; et quand elle éclate, c'eft par des crimes qui étonnent. On a vu, au mois de mai de cette année, huit de ces malheureux qu'on nomme capucins, accufés d'avoir égorgé leur fupérieur dans Paris.

Cependant, par une fatalité étrange, des pères, des mères, des filles difent à genoux tous leurs fecrets à ces hommes, le rebut de la nature, qui, tout fouillés de crimes, se vantent de remettre les péchés des hommes, au nom du DIEU qu'ils font de leurs propres mains.

par

Combien de fois ont-ils infpiré à ceux qu'ils appellent leurs pénitens, toute l'atrocité de leur caractère?C'eft eux que font fomentées principalement ces haines religieufes qui rendent la vie fi amère. Les juges qui ont condamné les Calas et les Sirven fe confeffent à des moines ils ont donné deux moines à Calas pour l'accompagner au fupplice. Ces deux hommes, moins barbares que leurs confrères, avouèrent d'abord que Calas, en expirant fur la roue, avait invoqué DIEU avec la réfignation de l'innocence: mais, quand nous leur avons demandé une atteftation de ce fait, ils

l'ont

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l'ont refufée; ils ont craint d'être punis par leurs fupérieurs pour avoir dit la vérité.

Enfin qui le croirait? après le jugement folennel rendu en faveur des Calas, il s'eft trouvé un jéfuite irlandais ( 1 ) qui, dans la plus infipide des brochures, a ofé dire que le défenfeur des Calas, et les maîtres des requêtes qui ont rendu justice à leur innocence, étaient des ennemis de la religion.

Les catholiques répondent à tous ces réproches, que les proteftans en méritent d'auffi violens. Les meurtres de Servet et de Barnevelt, difent-ils, valent bien ceux du conseiller Dubourg. On peut opposer la mort de Charles I à celle de Henri III. Les fombres fureurs des presbytériens d'Angleterre, la rage des cannibales des Cévènes, ont égalé les horreurs de la Saint-Barthelemi.

Comparez les fectes, comparez les temps, vous trouverez par-tout, depuis feize cents années, une mesure à peu-près égale d'abfurdités et d'horreurs, par-tout des races d'aveugles fe déchirant les uns les autres dans la nuit qui les environne. Quel livre de controverfe n'a pas été écrit avec le fiel? et quel dogme théologique n'a pas fait répandre du fang? C'était la fuite néceffaire de ces terribles paroles : Quiconque n'écoute pas l'Eglife foit regardé comme un païen et un publicain. Chaque parti prétendait être l'Eglife; chaque parti a donc dit toujours: Nous

(1) Cette brochure inconnue, dont M. de Voltaire a déjà parlé, est vraifemblablement quelque ouvrage du bon Needham qui, se croyant un grand homme, parce qu'il avait regardé du sperme et du jus de mouton par le trou de fon microscope, s'était mis à dire fon avis à tort et à travers fur l'autre monde et fur celui-ci.

Politique et Légifl. Tome II.

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abhorrons les commis de la douane; il nous eft enjoint de traiter quiconque n'eft pas de notre avis, comme les contrebandiers traitent les commis de la douane, quand ils font les plus forts. Ainfi par-tout le premier dogme a été celui de la haine.

Lorsque le roi de Pruffe entra pour la première fois dans la Siléfie, une bourgade protestante, jalouse d'un village catholique, vint demander humblement au roi la permiffion de tout tuer dans ce village. Le roi répondit aux députés : Si ce village venait me demander la permiffion de vous égorger, trouveriezvous bon que je la lui accordaffe? O gracieuse majefté! répliquèrent les députés, cela eft bien différent, nous fommes la véritable Eglife.

Remèdes contre la rage des ames.

LA rage du préjugé qui nous porte à croire coupables tous ceux qui ne font pas de notre avis, la rage de la fuperftition, de la perfécution, de l'inquifition, eft une maladie épidémique qui a régné en divers temps, comme la pefte; voici les préfervatifs reconnus pour les plus falutaires. Faites-vous rendre compte d'abord des lois romaines jufqu'à Théodofe, vous ne trouverez pas un feul édit pour mettre à la torture, ou crucifier, ou rouer ceux qui ne font accufés que de penfer différemment de vous, et qui ne troublent point la fociété par des actions de désobéiffance, et par des infultes au culte public autorifé par les lois civiles. Cette première réflexion adoucira un peu les fymptômes de la rage.

Raffemblez plufieurs paffages de Cicéron, et com

mencez par celui-ci : Superftitio inflat et urget, et quocumque te verteris perfequitur, &c. (g) Si vous laiffez entrer chez vous la fuperftition, elle vous pourfuivra par-tout; elle ne vous laiffera point de relâche. Cette précaution fera très-utile contre la maladie qu'il faut traiter.

N'oubliez pas Sénèque, qui dans fa XCV épître s'exprime ainfi Voulez-vous avoir DIEU propice? foyer juftes; on l'honore affez quand on l'imite. Vis Deum propi tiari? bonus eflo; fatis illum coluit quifquis imitatus eft.

Quand vous aurez choifi de quoi faire une provifion de ces remèdes antiques qui font innombrables, passez enfuite au bon évêque Sinefius, qui dit à ceux qui voulaient le confacrer: Je vous avertis que je ne veux ni tromper, ni forcer la confcience de perfonne; je Jouffrirai que chacun demeure paisiblement dans fon opinion, et je demeurerai dans les miennes. Je n'enfeignerai rien de ce que je ne crois pas. Si vous voulez me confacrer à ces conditions, j'y confens; finon je renonce à l'évêché.

Defcendez aux modernes; prenez des préservatifs dans l'archevêque Tillotfon, le plus fage et le plus éloquent prédicateur de l'Europe.

Toutes les fectes, dit-il, (h) s'échauffent avec d'autant plus de fureur, que les objets de leur emportement font moins raifonnables. All fects are commonly moft hat and furious for thofe things for which there is leaft reafon.

Il vaudrait mieux, dit-il ailleurs, être fans révélation, il vaudrait mieux s'abandonner aux fages principes de la nature qui inspirent la douceur, l'humanité, la paix, et qui font le bonheur de la fociété, que d'être guidé par une

(g) Cic. de Divinatione. (h) Sixième fermon.

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religion qui porte dans les ames une fureur fi fauvage. Better it were that there were no reveal'd religion; and that human nature, were left to the conduct of ift own principles mild and mercifull and conducive to the happiness of fociety, than to be acted by a religion which infpires men with fo wild a fury. Remarquez bien ces paroles mémorables; elles ne veulent pas dire que la raison humaine eft préférable à la révélation; elles fignifient que s'il n'y avait point de milieu entre la raison et l'abus d'une révélation qui ne ferait que des fanatiques, il vaudrait cent fois mieux fe livrer à la nature qu'à une religion tyrannique et perfécutrice.

Je vous recommande encore ces vers que j'ai lus dans un ouvrage qui eft à la fois très-pieux et trèsphilofophique.

A la religion discrètement fidèle,

Sois doux, compatiffant, sage, indulgent comme elle ; Et fans noyer autrui fonge à gagner le port:

Qui pardonne a raison, et la colère a tort.

Dans nos jours paffagers de peines, de misères,
Enfans du même Dieu, vivons du moins en frères,
Aidons-nous l'un et l'autre à porter nos fardeaux.
Nous marchons tous courbés fous le poids de nos maux;
Mille ennemis cruels affiégent notre vie,

Toujours par nous maudite et toujours fi chérie:
Notre cœur égaré, fans guide et fans appui,

Eft brûlé de défirs, ou glacé par l'ennui.

Nul de nous n'a vécu fans connaître les larmes.

De la fociété les fecourables charmes

Confolent nos douleurs au moins quelques inftans;
Remède encor trop faible à des maux fi conftans.

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