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périr comme Calas, ce font la Vérité et la Tolérance; tandis que la philofophie ne veut que défarmer les enfans du fanatifme, le Menfonge et la Perfecution.

Des gens qui ne raisonnent pas ont voulu décréditer ceux qui raifonnent: ils ont confondu le philofophe avec le fophifte; ils fe font bien trompés. Le vrai philofophe peut quelquefois s'irriter contre la calomnie qui le pourfuit lui-même. Il peut couvrir d'un éternel mépris le vil mercenaire qui outrage deux fois par mois la raifon, le bon goût et la vertu. Il peut même livrer, en paffant, au ridicule ceux qui infultent à la littérature dans le fanctuaire où ils auraient dû l'honorer; mais il ne connaît ni les cabales ni les fourdes pratiques, ni la vengeance. Il fait comme le fage de Montbart, (*) comme celui de Voré, (**) rendre la terre plus fertile, et fes habitans plus heureux. Le vrai philofophe défriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues. et par conféquent des habitans; occupe le pauvre et l'enrichit, encourage les mariages, établit l'orphelin, ne murmure point contre des impôts néceffaires, et met le cultivateur en état de les payer avec alégreffe. Il n'attend rien des hommes, et il leur fait tout le bien dont il eft capable. Il a l'hypocrite en horreur, mais il plaint le fuperftitieux; enfin il fait être ami.

(*) M. de Buffon.

(**) M. Helvétius.

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AVIS A U

Sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven.

VOILA

OILA donc en France deux accufations de parricides pour caufe de religion dans la même année, et deux familles juridiquement immolées par le fanatifme. Le même préjugé qui étendait Calas fur la roue à Toulouse, traînait à la potence la famille entière de Sirven, dans une juridiction de la même province; et le même défenfeur de l'innocence, M. Elie de Beaumont, avocat au parlement de Paris, qui a justifié les Calas, vient de juftifier les Sirven par un mémoire figné de plufieurs avocats; mémoire qui démontre que le jugement contre les Sirven eft encore plus abfurde que l'arrêt contre les Calas.

Voici en peu de mots le fait, dont le récit fervira d'inftruction pour les étrangers qui n'auront pu lire. encore le factum de l'éloquent M. de Beaumont.

de

En 1761, dans le temps même que la famille proteftante des Calas était dans les fers, accufée d'avoir affaffiné Marc-Antoine Calas qu'on fuppofait vouloir embraffer la religion catholique, il arriva qu'une fille du fieur Paul Sirven, commiffaire à terrier du pays Caftres, fut préfentée à l'évêque de Caftres par une femme qui gouverne fa maifon. L'évêque, apprenant que cette fille était d'une famille calvinifte, la fait enfermer à Caftres, dans une efpèce de couvent qu'on appelle la maifon des régentes. On inftruit à coups de

fouet cette jeune fille dans la religion catholique, on la meurtrit de coups, elle devient folle, elle fort de fa prifon; et,quelque temps après, elle va fe jeter dans un puits, au milieu de la campagne, loin de la maifon de fon père, vers un village nommé Mazaret. Auffitôt le juge du village raisonne ainfi : On va rouer à Toulouse Calas, et brûler fa femme, qui, fans doute, ont pendu leur fils, de peur qu'il n'allât à la meffe; je dois donc, à l'exemple de mes fupérieurs, en faire autant des Sirven qui, fans doute, ont noyé leur fille pour la même cause. Il est vrai que je n'ai aucune preuve que le père, la mère et les deux fœurs de cette fille l'aient affaffinée; mais j'entends dire qu'il n'y a pas plus de preuves contre les Calas, ainfi je ne rifque rien. Peutêtre c'en ferait trop pour un juge de village de rouer et de brûler ; j'aurai au moins le plaifir de pendre toute une famille huguenote, et je ferai payé de mes vacations fur leurs biens confifqués. Pour plus de fureté, ce fanatique imbécille fait visiter le cadavre par un médecin auffi favant en physique que le juge l'eft en jurifprudence. Le médecin, tout étonné de ne point trouver l'eftomac de la fille rempli d'eau, et ne fachant pas qu'il eft impoffible que l'eau entre dans un corps dont l'air ne peut fortir, conclut que la fille a été affommée et enfuite jetée dans le puits. Un dévot du voisinage affure que toutes les familles proteftantes font dans cet ufage. Enfin, après bien des procédures auffi irrégulières que les raifonnemens étaient abfurdes, le juge décrète de prife de corps le père, la mère, les fœurs de la décédée. A cette nouvelle Sirven affemble fes amis; tous font certains de fon innocence, mais l'aventure des Calas remplifsait

toute la province de terreur : ils confeillent à Sirven de ne point s'expofer à la démence du fanatifme: il fuit avec fa femme et fes filles ; c'était dans une faifon rigoureuse. Cette troupe d'infortunés eft dans la néceffité de traverser à pied des montagnes couvertes de neige; une des filles de Sirven, mariée depuis un an, accouche fans fecours dans le chemin, au milieu des glaces. Il faut que, toute mourante qu'elle eft, elle emporte fon enfant mourant dans fes bras. Enfin, une des premières nouvelles que cette famille apprend quand elle eft en lieu de fureté, c'eft que le père et la mère font condamnés au dernier fupplice, et que les deux fœurs, déclarées également coupables, font bannies à perpétuité; que leur bien eft confifqué, et qu'il ne leur refte plus rien au monde que l'opprobre et la misère.

C'est ce qu'on peut voir plus au long dans le chefd'œuvre de M. de Beaumont, avec les preuves complètes de la plus pure innocence et de la plus déteftable injuftice.

La Providence, qui a permis que les premières tentatives qui ont produit la juftification de Calas mort fur la roue en Languedoc vinffent du fond des montagnes et des déferts voifins de la Suiffe, a voulu encore que la vengeance des Sirven vînt des mêmes folitudes. Les enfans de Calas s'y réfugièrent, la famille de Sirven y chercha un afile dans le même temps. Les hommes compatisfans et vraiment religieux, qui ont eu la confolation de fervir ces deux familles infortunées, et qui les premiers ont respecté leurs défaftres et leur vertu, ne purent alors faire présenter des requêtes pour les Sirven comme pour les Calas, parce

que le procès criminel contre les Sirven s'inftruifit plus lentement et dura plus long-temps. Et puis comment une famille errante, à quatre cents milles de fa patrie, pouvait-elle recouvrer les pièces néceffaires à fa juftification? que pouvaient un père accablé, une femine mourante, et qui en effet eft morte de fa douleur, et deux filles auffi malheureuses que le père et la mère? Il fallait demander juridiquement la copie de leur procès; des formes peut-être néceffaires, mais dont l'effet eft fouvent d'opprimer l'innocent et le pauvre, ne le permettaient pas. Leurs parens intimidés n'ofaient même leur écrire ; tout ce que cette famille put apprendre dans un pays étranger, c'eft qu'elle avait été condamnée au fupplice dans fa patrie. Si on favait combien il a fallu de foins et de peines pour arracher enfin quelques preuves juridiques en leur faveur, on en ferait effrayé. Par quelle fatalité eft-il fi aifé d'opprimer, et fi difficile de fecourir?

On n'a pu employer pour les Sirven les mêmes. formes de juftice dont on s'eft fervi pour les Calas, parce que les Calas avaient été condamnés par un parlement, et que les Sirven ne l'ont été que par des juges fubalternes, dont la fentence reffortit à ce même parlement. Nous ne répéterons rien ici de ce qu'a dit l'éloquent et généreux M. de Beaumont; mais, ayant confidéré combien ces deux aventures font étroitement unies à l'intérêt du genre humain, nous avons cru qu'il eft du même intérêt d'attaquer dans fa fource le fanatifme qui les a produites. Il ne s'agit que de deux familles obfcures; mais, quand la créature la plus ignorée meurt de la même contagion qui a long-temps défolé la terre, elle avertit le monde entier que ce

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