Nous n'avons rien à nous reprocher : il est démontré que tous les prétendus réformés, tous les janfénistes font dévolus à l'enfer; ainfi nous ne fefons que hâter le moment où ils doivent entrer en poffeffion.

Il n'eft pas moins clair que le paradís appartient de droit aux moliniftes; donc, en les fefant périr par mégarde, et fans aucune mauvaise intention, nous accélérons leur joie; nous fommes dans l'un et l'autre cas les miniftres de la providence.

Quant à ceux qui pourraient être un peu effarouchés du nombre, votre paternité pourra leur faire remarquer que depuis les jours floriffans de l'Eglife jufqu'à 1707, c'est-à-dire, depuis environ quatorze cents ans, la théologie a procuré le maffacre de plus de cinquante millions d'hommes; et que je ne propose d'en étrangler, ou égorger, ou empoifonner, qu'environ fix millions cinq cents mille.

On nous objectera peut-être encore que mon compte n'est pas jufte, et que je viole la règle de trois; car, dira-t-on, fi en quatorze cents ans il n'a péri que cinquante millions d'hommes pour des diftinctions de dilemmes et des antilemmes théolo

giques, cela ne fait par année que trente-cinq mille fept cents quatorze perfonnes, avec fraction, et qu'ainfi je tue fix millions foixante-quatre mille deux cents quatre-vingt-cinq perfonnes de trop, avec fraction, pour la présente année. Mais, en vérité, cette chicane eft bien puérile; on peut même dire qu'elle eft impie: car ne voit-on pas par mon procédé que je fauve la vie à tous les catholiques jufqu'à la fin du monde? On n'aurait jamais fait, fi on voulait répondre à toutes

les critiques. Je fuis avec un profond refpect, de votre paternité,

Le très-humble, très-dévot et trèsdoux R..... natif d'Angoulême, préfet de la congrégation.

Ce projet ne put être exécuté, parce que le père le Tellier y trouva quelques difficultés, et que fa paternité fut exilée l'année fuivante. Mais comme il faut examiner le pour et le contre, il eft bon de rechercher dans quels cas on pourrait légitimement fuivre en partie les vues du correfpondant du père le Tellier. Il paraît qu'il ferait dur d'exécuter ce projet dans tous fes points; mais il faut voir dans quelles occafions on doit rouer, ou pendre, ou mettre aux galères les gens qui ne font pas de notre avis : c'eft l'objet de l'article suivant.

Seuls cas où l'intolérance eft de droit humain.

POUR qu'un gouvernement ne foit pas en droit de punir les erreurs des hommes, il eft néceffaire que ces erreurs ne foient pas des crimes; elles ne font des crimes que quand elles troublent la fociété; elles troublent cette fociété, dès qu'elles infpirent le fanatifme; il faut donc que les hommes commencent par n'être pas fanatiques pour mériter la tolérance.

Si quelques jeunes jéfuites, fachant que l'Eglife a les réprouvés en horreur, que les janféniftes font condamnés par une bulle, qu'ainfi les jansénistes font réprouvés, s'en vont brûler une maifon des pères de l'oratoire, parce que Quefnel l'oratorien était

janfénifte, il eft clair qu'on fera bien obligé de punir ces jéfuites.

De même, s'ils ont débité des maximes coupables, fi leur inftitut eft contraire aux lois du royaume, on ne peut s'empêcher de diffoudre leur compagnie, et d'abolir les jéfuites pour en faire des citoyens: ce qui au fond eft un mal imaginaire, et un bien réel pour eux; car où eft le mal de porter un habit court au lieu d'une foutane, et d'être libre au lieu d'être efclave? On réforme à la paix des régimens entiers, qui ne fe plaignent pas pourquoi les jéfuites pouffent-ils de fi hauts cris, quand on les réforme pour avoir la paix ?

Que les cordeliers, tranfportés d'un faint zèle pour la vierge Marie, aillent démolir l'église des jacobins, qui penfent que Marie eft née dans le péché originel; on fera obligé alors de traiter les cordeliers à peu-près comme les jéfuites.

On en dira autant des luthériens et des calviniftes; ils auront beau dire: Nous fuivons les mouvemens de notre confcience, il vaut mieux obéir à DIEU qu'aux hommes, nous fommes le vrai troupeau, nous devons exterminer les loups. Il est évident qu'alors ils font loups eux-mêmes.

Un des plus étonnans exemples de fanatifme, a été une petite fecte en Danemarck, dont le principe était le meilleur du monde. Ces gens-là voulaient procurer le falut éternel à leurs frères; mais les conféquences de ce principe étaient fingulières. Ils favaient que tous les petits enfans qui meurent fans baptême font damnés, et que ceux qui ont le bonheur de mourir immédiatement après avoir reçu le baptême

jouiffent de la gloire éternelle : ils allaient égorgeant les garçons et les filles nouvellement baptifés, qu'ils pouvaient rencontrer; c'était, fans doute, leur faire le plus grand bien qu'on pût leur procurer: on les préfervait à la fois du péché, des misères de cette vie, et de l'enfer; on les envoyait infailliblement au ciel. Mais ces gens charitables ne confidéraient pas qu'il n'est pas permis de faire un petit mal pour un grand bien; qu'ils n'avaient aucun droit fur la vie de ces petits enfans; que la plupart des pères et mères font affez charnels pour aimer mieux avoir auprès d'eux leurs fils et leurs filles, que de les voir égorger pour aller en paradis, et qu'en un mot, le magistrat doit punir l'homicide, quoiqu'il foit fait à bonne intention.

Les juifs fembleraient avoir plus de droit que perfonne de nous voler et de nous tuer. Car bien qu'il y ait cent exemples de tolérance dans l'ancien teflament, cependant il y a auffi quelques exemples et quelques lois de rigueur. DIEU leur a ordonné quelquefois de tuer les idolâtres, et de ne réserver que les filles nubiles: ils nous regardent comme idolâtres; et, quoique nous les tolérions aujourd'hui, ils pourraient bien, s'ils étaient les maîtres, ne laiffer au monde que nos filles.

Ils feraient fur-tout dans l'obligation indispensable d'affaffiner tous les Turcs; cela va fans difficulté ; car les Turcs pofsèdent le pays des Hétéens, des Jébuféens, des Amorrhéens, Jerfénéens, Hévéens, Aracéens, Cinéens, Hamatéens, Samaréens: tous ces peuples furent dévoués à l'anathême; leur pays, qui était de plus de vingt-cinq lieues de long, fut donné

aux juifs par plufieurs pactes confécutifs; ils doivent rentrer dans leur bien; les mahométans en font les ufurpateurs depuis plus de mille ans.

Si les juifs raifonnaient ainfi aujourd'hui, il eft clair qu'il n'y aurait d'autre réponse à leur faire que de les mettre aux galères.

Ce font à peu-près les feuls cas où l'intolérance paraît raisonnable.

Relation d'une difpute de controverfe à la Chine.

DANS les premières années du règne du grand empereur Cam-hi, un mandarin de la ville de Kanton entendit dans fa maison un grand bruit qu'on fefait dans la maifon voifine; il s'informa fi l'on ne tuait perfonne, on lui dit que c'était l'aumônier de la compagnie danoife, un chapelain de Batavia, et un jéfuite qui difputaient; il les fit venir, leur fit fervir du thé et des confitures, et leur demanda pourquoi ils fe querellaient ?

Le jéfuite lui répondit qu'il était bien douloureux pour lui, qui avait toujours raison, d'avoir affaire à des gens qui avaient toujours tort; que d'abord il avait argumenté avec la plus grande retenue, mais qu'enfin la patience lui avait échappé.

Le mandarin leur fit fentir, avec toute la difcrétion poffible, combien la politeffe eft néceffaire dans la difpute, leur dit qu'on ne fe fâchait jamais à la Chine, et leur demanda de quoi il s'agisfait ?

Le jéfuite lui répondit: Monfeigneur, je vous en fais juge; ces deux meffieurs refusent de fe foumettre aux décifions du concile de Trente.