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fentiment de Ratran contre Pafcafe Ratberg, et de Bérenger contre Scot.

On fait que tous nos dogmes n'ont pas toujours été clairement expliqués, et univerfellement reçus dans notre Eglife. JESUS-CHRIST ne nous ayant point dit comment procédait le Saint-Esprit, l'Eglise latine crut long-temps avec la grecque qu'il ne procédait que du Père: enfin elle ajouta au symbole qu'il procédait auffi du fils. Je demande fi, le lendemain de cette décifion, un citoyen qui s'en ferait tenu au fymbole de la veille eût été digne de mort ? La cruauté, l'injuftice ferait-elle moins grande, de punir aujourd'hui celui qui penserait comme on penfait autrefois ? Etait-on coupable du temps d'Honorius I, de croire que JESUS n'avait pas deux volontés ?

Il n'y pas long-temps que l'immaculée conception eft établie les dominicains n'y croient pas encore. Dans quel temps les dominicains commenceront-ils à mériter des peines dans ce monde et dans l'autre ?

Si nous devons apprendre de quelqu'un à nous conduire dans nos difputes interminables, c'eft certainement des apôtres et des évangéliftes. Il y avait de quoi exciter un fchifme violent entre faint Paul et faint Pierre. Paul dit expreffément dans fon épître aux Galates, qu'il réfifta en face à Pierre, parce que Pierre était répréhenfible, parce qu'il ufait de diffimulation auffi-bien que Barnabé, parce qu'ils mangeaient avec les gentils avant l'arrivée de Jacques, et qu'enfuite ils fe retirèrent fecrétement, et fe féparèrent des gentils, de peur d'offenfer les circoncis. Je vis, ajoute-t-il, qu'ils ne marchaient pas

droit felon l'évangile; je dis à Cephas: Si vous juif, vivez comme les gentils, et non comme les Juifs, pourquoi obligez-vous les gentils à judaïfer?

C'était-là un fujet de querelle violente. Il s'agiffait de favoir fi les nouveaux chrétiens judaïferaient ou non. St Paul alla dans ce temps-là même facrifier dans le temple de Jérufalem. On fait que les quinze premiers évêques de Jérufalem furent des juifs circoncis, qui observèrent le sabbat, et qui s'abstinrent des viandes défendues. Un évêque efpagnol ou portugais qui fe ferait circoncire, et qui obferverait le fabbat, ferait brûlé dans un auto-da-fé. Cependant la paix ne fut altérée pour cet objet fondamental, ni parmi les apôtres, ni parmi les premiers chrétiens.

Si les évangéliftes avaient ressemblé aux écrivains modernes, ils avaient un champ bien vafte pour combattre les uns contre les autres. St Mathieu compte vingt-huit générations depuis David jufqu'à JESUS. St Luc en compte quarante et une; et ces générations font abfolument différentes. On ne voit pourtant nulle diffention s'élever entre les difciples fur ces contrariétés apparentes, très-bien conciliées par plufieurs pères de l'Eglife. La charité ne fut point bleffée, la paix fut confervée. Quelle plus grande leçon de nous tolérer dans nos difputes, et de nous humilier dans tout ce que nous n'entendons pas?

St Paul, dans fon épître à quelques juifs de Rome convertis au chriftianifme, emploie toute la fin du troisième chapitre à dire que la feule foi glorifie, et que les œuvres ne juftifient perfonne. St Jacques

au contraire, dans fon épître aux douze tribus difperfées par toute la terre, chapitre II, ne ceffe de dire qu'on ne peut être fauvé fans les œuvres. Voilà ce qui a féparé deux grandes communions parmi nous, et ce qui ne divifa point les apôtres.

Si la perfécution contre ceux avec qui nous difputons était une action fainte, il faut avouer que celui qui aurait fait tuer le plus d'hérétiques ferait le plus grand faint du paradis. Quelle figure y ferait un homme qui fe ferait contenté de dépouiller fes frères, et de les plonger dans des cachots auprès d'un zélé qui en aurait massacré des centaines le jour de la SaintBarthelemi? En voici la preuve.

Le fucceffeur de St Pierre et fon confiftoire ne peuvent errer; ils approuvèrent, célébrèrent, consacrèrent l'action de la Saint-Barthelemi; donc cette action était très-fainte; donc de deux affaffins égaux en piété celui qui aurait éventré vingt-quatre femmes groffes huguenotes, doit être élevé en gloire du double de celui qui n'en aura éventré que douze ; par la même raison les fanatiques des Cévènes devaient croire qu'ils feraient élevés en gloire à proportion du nombre des prêtres, des religieux et des femmes catholiques qu'ils auraient égorgés. Ce font-là d'étranges titres pour la gloire éternelle.

Si l'intolérance fut de droit divin dans le judaïfme, et fi elle fut toujours mife en pratique.

ON appelle, je crois, droit divin, les préceptes que DIEU a donnés lui-même. Il voulut que les Juifs mangeaffent un agneau cuit avec des laitues, et que

les convives le mangeaffent debout, un bâton à la main, en commémoration du Phafe; il ordonna que la confécration du grand-prêtre fe ferait en mettant du fang à son oreille droite, à sa main droite et à fon pied droit; coutumes extraordinaires pour nous, mais non pas pour l'antiquité; il voulut qu'on chargeât le bouc Hazazel des iniquités du peuple; il défendit qu'on fe nourrît (gg) de poiffons fans écailles, de lièvres, de hériffons, de hibous, de griffons, d'ixions, &c.

Il inftitua les fêtes, les cérémonies; toutes ces chofes, qui femblaient arbitraires aux autres nations, et foumifes au droit pofitif, à l'ufage, étant commandées par DIEU même, devenaient un droit divin pour les Juifs, comme tout ce que JESUS-CHRIST, fils de Marie, fils de DIEU, nous a commandé, est de droit divin pour nous.

Gardons-nous de rechercher ici pourquoi DIEU a fubftitué une loi nouvelle à celle qu'il avait donnée à Moïse, et pourquoi il avait commandé à Moïfe plus de chofes qu'au patriarche Abraham, et plus à Abraham qu'à Noé, (hh) Il femble qu'il daigne se proportionner

(gg) Deuter. chap. XIV.

(hh) Dans l'idée que nous avons de faire fur cet ouvrage quelques notes utiles, nous remarquerons ici, qu'il eft dit que DIEU fit une alliance avec Noé, et avec tous les animaux; et cependant il permet à Noé de manger de tout ce qui a vie et mouvement; il excepte feulement le fang, dont il ne permet pas qu'on le nourriffe. DIEU ajoute qu'il tirera vengeance de tous les animaux qui auront répandu le fang de l'homme.

On peut inférer de ces paffages et de plufieurs autres, ce que toute l'antiquité a toujours pense jusqu'à nos jours, et ce que tous les hommes fenfés penfent, que les animaux ont quelques connaiffances. DIEU ne fait point un pacte avec les arbres et avec les pierres, qui n'ont point de fentiment; mais il en fait un avec les animaux, qu'il a daigné douer d'un fentiment fouvent plus exquis que le nôtre, et de quelques idées néceffairement attachées

aux temps et à la population du genre humain; c'eft

à ce sentiment. C'eft pourquoi il ne veut pas qu'on ait la barbarie de se nourrir de leur fang, parce qu'en effet le fang eft la fource de la vie, et par conféquent du fentiment. Privez un animal de tout fang, tous fes organes restent fans action. C'est donc avec très-grande raison que l'Ecriture dit en cent endroits, que l'ame, c'est-à-dire, ce qu'on appelait l'ame fenfitive, eft dans le fang; et cette idée fi naturelle a été celle de tous les peuples. C'eft fur cette idée qu'est fondée la commifération que nous devons avoir pour les animaux. Des fept préceptes des Noachides, admis chez les Juifs, il y en a un qui défend de manger le membre d'un animal en vie. Ce précepte prouve que les hommes avaient eu la cruauté de mutiler les animaux pour manger leurs membres coupés; qu'ils les laiffaient vivre, pour se nourrir fucceffivement des parties de leur corps. Cette coutume subsista en effet chez quelques peuples barbares, comme on le voit par les facrifices de l'ile de Chio, à Bacchus Omadios, le mangeur de chair crue. DIEU, en permettant que les animaux nous fervent de pâture, recommande donc quelque humanité envers eux. Il faut convenir qu'il y a de la barbarie à les faire fouffrir; il n'y a certainement que l'usage qui puisse diminuer en nous l'horreur naturelle d'égorger un animal que nous avons nourri de nos mains. Il y a toujours eu des peuples qui s'en font un grand scrupule: ce fcrupule dure encore dans la prefqu'île de l'Inde; toute la fecte de Pythagore, en Italie et en Grèce, s'abstint conftamment de manger de la chair. Porphyre, dans fon livre de l'abftinence, reproche à son disciple de n'avoir quitté fa fecte que pour le livrer à son appétit barbare.

Il faut, ce me femble, avoir renoncé à la lumière naturelle, pour ofer avancer que les bêtes ne font que des machines. Il y a une contradiction manifefte à convenir que DIEU a donné aux bêtes tous les organes du fentiment, et à soutenir qu'il ne leur a point donné de sentiment.

Il me paraît encore qu'il faut n'avoir jamais obfervé les animaux, pour ne pas diftinguer chez eux les différentes voix du befoin, de la fouffrance, de la joie, de la crainte, de l'amour, de la colère et de toutes leurs affections; il ferait bien étrange qu'elles exprimaffent fi bien ce qu'elles ne fentiraient pas.

Cette remarque peut fournir beaucoup de réflexions aux efprits exercés fur le pouvoir et la bonté du Créateur, qui daigne accorder la vie, le fentiment, les idées, la mémoire aux êtres que lui-même a organifes de fa main toute - puiffante. Nous ne favons ni comment ces organes fe font formés, ni comment ils fe développent, ni comment on reçoit la vie, ni par quelles lois les fentimens, les idées, la mémoire, la volonté font attachés à cette vie et dans cette profonde et éternelle ignorance, inhé. rente à notre nature, nous difputons fans ceffe, nous nous perfécutons les uns les autres, comme les taureaux qui fe battent avec leurs cornes, fans favoir pourquoi et comment ils ont des cornes.

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