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"Mais les ans dans leur cours ne ramèneront pas

"Une vertu si rare unie à tant d'appas.

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Espoir de vos parens, ornement de votre âge, "Vous eûtes la beauté, vous eûtes le courage, "Vous vîtes sans effroi le sanglant tribunal,

"Vos fronts n'ont point pâli sous le couteau fatal;

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Adieu, touchans objets, adieu. Puissent vos ombres "Revenir quelquefois dans ces asiles sombres! "Pour vous le rossignol prendra les plus doux sons; "Zéphir suivra vos pas, Echo dira vos noms.

"Adieu: quand le printemps reprendra ses guirlandes, "Nous reviendrons encor vous porter nos offrandes;

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Aujourd'hui recevez ces dons consolateurs,

"Nos hymnes, nos regrets, nos larmes et nos fleurs!

FIN DU CHANT TROISIÈME.

LE MALHEUR

ET

LA PITIÉ.

CHANT IV.

A combien de fléaux le ciel livra le monde!

Ici des champs entiers sont submergés sous l'onde;
Ailleurs le volcan tonne, et ses horribles flancs
Dévorent les palais et les temples brûlans.
Tantôt les ouragans, plus prompts que le tonnerre,
D'un immense débris couvrent au loin la terre:
Mais du monde tremblant ces horribles fléaux
Des révolutions n'égalent pas les maux.
Au lieu de cette douce et puissante habitude
Qui de nos passions endort l'inquiétude;
Au lieu de ce respect, conseiller du devoir,
Dont l'heureuse magie entoure le pouvoir,

D'un injuste oppresseur les lois usurpatrices

Gouvernent par la peur, règnent par les supplices.
Quelques abus font place à des malheurs plus grands,
Et des débris d'un roi naissent mille tyrans.

La France que le monde avec effroi contemple,
En offre dans ses chefs l'épouvantable exemple.
De notre liberté despotiques amis,

Où sont-ils les beaux jours qu'ils nous avoient promis?
La misère est pour nous, et pour eux l'opulence;
Sur la chute du trône élevant leur puissance,
D'un front jadis rampant ils affrontent les cieux.
Un moins hideux spectacle affligeroit les yeux,
Si, changés tout à coup en d'informes ruines,
Les bois baissoient leur tête, et levoient leurs racines.
Hélas! depuis ce jour si fécond en forfaits,
Où le crime vainqueur vint s'asseoir sous le dais,
Où le bonnet sanglant remplaça la couronne,
De quels fléaux affreux l'essaim nous environne!
Par ce premier malheur que de maux enfantés!
L'œil en pleurs, le sein nu, les bras ensanglantés,
La France qu'envioient les nations voisines,
Des ruines du monde accroissant ses ruines,
De son corps gigantesque étale en vain l'orgueil,
Assemblage hideux de victoire et de deuil.

Ses biens de tous les maux renferment la semence,
Son calme est la fatigue et non l'obéissance.
Mais hélas! des malheurs où l'état est plongé,
Le plus affreux n'est pas l'empire ravagé.
Ses enfans dispersés aux quatre coins du monde,
De toutes ses douleurs, voilà la plus profonde.
Doublement affligée, elle pleure en son cœur
L'injustice des uns, des autres le malheur.
Qu'il est dur de quitter, de perdre sa patrie !
Absens, elle est présente à notre âme attendrie;
Alors on se souvient de tout ce qu'on aima,
Des sites enchanteurs dont l'aspect nous charma,
Des jeux de notre enfance et même de ses peines.
Voyez le triste Hébreu, sur des rives lointaines,
Lorsque emmené captif chez un peuple inhumain,
A l'aspect de l'Euphrate il pleure le Jourdain ;
Ses temples, ses festins, les beaux jours de sa gloire
Reviennent tour à tour à sa triste mémoire;

Et les maux de l'exil et de l'oppression
Croissent au souvenir de sa chère Sion.

Souvent en l'insultant, ses vainqueurs tyranniques
Lui crioient: "Chantez-nous quelqu'un de ces cantiques
"Que vous chantiez aux jours de vos solennités! "
"Ah! que demandez-vous à nos cœurs attristés?

"Comment chanterions-nous aux rives étrangères?" Répondoient-ils en pleurs. "O berceau de mes pères ! "O ma chère Sion! si tu n'es pas toujours

"Et nos premiers regrets, et nos derniers amours, "Que nous restions sans voix, que nos langues séchées "A nos palais brûlans demeurent attachées ! "Sion, unique objet de joie et de douleurs,

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Jusqu'au dernier soupir, Sion, chère à nos cœurs! Quoi! ne verrons-nous plus les tombes paternelles, "Tes temples, tes banquets, tes fêtes solennelles? "Ne pourrons-nous un jour, unis dans le saint lieu, "Du retour de tes fils remercier ton Dieu ?"

Ainsi pleuroit l'Hébreu: mais du moins par ses frères Il n'étoit point banni du séjour de ses pères. Ah! combien du François le sort est plus cruel! Chassé par des François loin du sol paternel,

Il fuit sous d'autres cieux: et pour comble de peine,

De sa patrie ingrate il emporte la haine.

O Ciel! à ce départ, que de pleurs, de regrets!

Chacun quitte ses biens, ses travaux, ses projets.

L'un, cent fois s'éloignant et revenant encore,

Pleure, en fuyant, ses blés qui commençoient d'éclore; L'autre de ses jardins les bosquets enchantés,

L'autre, ses jeunes ceps nouvellement plantés,

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