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Non, je n'attendrai point qu'une exécrable loi
Envoye à l'échafaud l'épouse de mon roi.

Non, je ne verrai point le tombereau du crime,
Ces licteurs, ce vil peuple, outrageant leur victime,
Tant de rois, d'empereurs dans elle humiliés,
Ses beaux bras, ô douleurs! indignement liés,
Le ciseau dépouillant cette tête charmante,

La hache, ah! tout mon sang se glace d'épouvante !
Non je vais aux déserts enfermer mes douleurs;
Là, je voue à son ombre un long tribut de pleurs;
Là, de mon désespoir seule consolatrice,

Ma lyre chantera ma noble bienfaitrice;

Et les monts, les vallons, les rochers et les bois
En lugubres échos répondront à ma voix.

Et toi qui, parmi nous, prolongeant ta misère,
Ne vivois ici-bas que pour pleurer un frère,
D'un frère vertueux, ô digne et tendre sœur,
Reçois de la Pitié son tribut de douleur !
Ah! si dans ses revers la beauté gémissante
Porte au fond de nos cœurs sa plainte attendrissante,
Combien de la vertu les droits sont plus puissans!
Sa bonté la rend chère aux cœurs compatissans;
Pour son propre intérêt l'homme insensible l'aime,
Et pleurer sur ses maux, c'est pleurer sur soi-même.

Aussi, des attentats de ce siècle effréné,

Ton trépas, ombre illustre, est le moins pardonné.
O Dieux! et quel prétexte à ce forfait infâme?
Ton nom étoit sans tache aussi bien que ton âme;
Ton cœur, dans ce haut rang, formant d'humbles désirs,
Eut les malheurs du trône, et n'eut pas ses plaisirs.
Seule, aux pieds de ton Dieu, gémissant sur un frère,

Sur un malheureux fils, un plus malheureux père,
Tu suppliois pour eux le maître des humains;

Ce ciel où tu levois tes innocentes mains,

Etoit moins pur que toi. Dieux! quels monstres barbares Purent donc attenter à des vertus si rares?

Ah! le ciel t'envioit à ce séjour d'effroi ;

Va donc, va retrouver et ton frère et ton roi;
Porte-lui cette fleur, gage de l'innocence,

Emblême de tes mœurs, comme de ta naissance;

Mêle sur ce beau front où siége la candeur,

Les roses du martyre aux lys de la pudeur !

Trop long-temps tu daignas, dans ce séjour funeste,
Laisser des traits mortels à ton âme céleste :

Pars, nos cœurs te suivront; pars, emporte les vœux

Des peuples et des rois, de la terre et des cieux !

Non moins dignes de pleurs, quand le sort les offense,

La débile vieillesse et la fragile enfance.

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Un enfant, un vieillard! Qui peut les voir souffrir?
L'un ne fait que de naître, et l'autre va mourir!
Je pleure avec Priam, quand sa bouche tremblante
Du meurtrier d'Hector presse la main sanglante;
Lorsqu'autour des tombeaux de ses cinquante fils,
D'Hécube en cheveux blancs les lamentables cris
Redemandent Paris, Polixène, Cassandre,

Je partage son deuil, et pleure sur leur cendre:
Tant cet âge si foible est puissant sur nos cœurs!
Mais pourquoi des vieux temps rappeler les douleurs?
Ah! dans ce siècle impie, et si fécond en crimes,
Manquons-nous de malheurs, manquons-nous de victimes?
O filles de mes rois, dans quels lieux pleurez-vous?
Quel temple entend les vœux que vous formez pour nous?
Le ciel vous épargna la douleur d'être mères,

Mais que de vos vieux ans les larmes sont amères!
Votre exil, vos rois morts, le trône renversé,

De votre sang royal le reste dispersé:

Il vous restoit un Dieu, son culte, et vos prières.

Mais quoi! vos yeux ont vu par des mains meurtrières

Les temples du Seigneur de carnage souillés,

Leur pontife proscrit, les autels dépouillés.
De vos jours fortunés la mémoire importune,
Hélas! s'en vient encore aigrir votre infortune!

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