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A ces traits, jadis chers, à ces voix qu'ils connoissent,
La tendresse s'éveille, et les remords renaissent;

Les mains serrent les mains, les cœurs pressent les cœurs.
De leur vieille amitié les souvenirs vainqueurs

Leur montrent leurs parens ou leurs compagnons d'armes,

Ceux de qui les bienfaits essuyèrent leurs larmes,
Ceux qui de leur hymen préparèrent les nœuds,

Ceux qui de leur enfance ont partagé les jeux;

Dans leurs embrassemens leurs transports se confondent,
Leurs larmes, leurs soupirs, leurs sanglots se répondent.
Des banquets sont dressés, le vin coule à grands flots,
Les chants de l'amitié consolent les échos.
Tout redevient François, ami, parent et père;
L'humanité respire et la nature espère.
Mais du départ fatal le signal est donné;
Chacun d'eux aussitôt baisse un front consterné.

Aux cris joyeux succède un lugubre silence:
Tous, pressentant leurs maux et les maux de la France,
S'éloignent lentement, et, les larmes aux yeux,
D'un triste et long regard se sont fait leurs adieux.
Mais le remords redouble au milieu des ténèbres,
Leur sommeil est troublé de fantômes funèbres:
D'un hôte, d'un ami, l'un croit percer le flanc,
L'autre égorger son frère, et rouler dans son sang.

Enfin, le jour renaît, et l'airain des batailles
Fait entendre ces sons, signal des funérailles.
Accours, tendre Pitié, préviens ces jeux sanglans,
Cours, les cheveux épars, vole de rangs en rangs;
Dis à ces malheureux: " Cruels, qu'allez-vous faire?
"Vos bras dénaturés déchirent votre mère.

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Laissez-là ces mousquets, ces piques et ces dards; "La nature a maudit vos affreux étendards!

"Hélas! hier encore, assis aux mêmes tables,
"Votre bouche abjuroit ces lauriers détestables!
"Avez-vous oublié vos doux sermens d'amour?
"Le ciel à vos combats prête à regret le jour.
"Et moi, si du malheur vous sentez les atteintes,
"Cruels, je fermerai mon oreille à vos plaintes;

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Je resterai muette, et vos justes malheurs

"A mes yeux vainement demanderont des pleurs. "Et vous qui, les premiers, provoquant la vengeance, "Avez des cœurs françois rompu l'intelligence,

"C'est à vous de donner le signal de la paix:

"Vos barbares exploits sont autant de forfaits.
"Assez, pour féconder les palmes de la guerre,
"Des cadavres sanglans ont engraissé la terre.
"Ah! revenez à vous, voyez la France en deuil
"Pleurer de vos lauriers le parricide orgueil!

"Le chemin qui conduit ses enfans aux conquêtes, "Est teint de notre sang et pavé de nos têtes;

"Près d'elle sont assis, sur son char inhumain, "D'un côté le triomphe et de l'autre la faim. "Abjurez, il est temps, vos palmes funéraires; "Aimez-vous en François, embrassez-vous en frères; "Et qu'aux chants de la mort succèdent en ce jour "Les cris de l'allégresse et les hymnes d'amour!"

FIN DU CHANT SECOND.

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