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Pascal ou La Fontaine. Quand on s'y met, neuf fois sur dix, ce que l'on trouve, c'est le style tout fait, le style banal que nous signalons. Pourquoi? Parce que c'est ce style qu'on a le plus lu; parce qu'on l'a dans la tête; parce qu'on n'a pas l'instinct ou l'art de s'en débarrasser; parce qu'on ne sait pas, comme dit Pascal, que « l'éloquence se passe de l'éloquence » et que le meilleur style, selon Montaigne, va au fond de l'idée, est presque « parlé, voire soldatesque ». On cherche trop à écrire. Il faut bien chercher, en effet, mais il faut chercher à ne pas écrire.

Comment faire pour éviter le style élégamment banal et atteindre le relief? Nous indiquerons les procédés au chapitre de la composition.

Il faut, en tout cas, trouver autre chose, écrire autre chose, voir l'idée autrement, prendre un autre ton. Ce n'est pas si difficile, une fois l'angle adopté et lorsqu'on est entré dans une certaine tournure d'esprit.

Prenons, par exemple, ces lignes de George Sand:

Il y avait sur sa figure d'un jaune brun, dans sa prunelle noire et ardente, dans sa bouche froide et dédaigneuse, dans son attitude impassible et jusque dans le mouvement absolu de sa main longue et maigre, ornée de diamants, une expression de fierté arrogante et de rigueur inflexible que je n'avais jamais rencontrée.

(G. SAND, La dernière Aldini.)

Relisez ce morceau. Vous remarquerez un insup

COMMENT ÊTRE ORIGINAL ET PERSONNEL?

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portable balancement d'épithètes incolores; chaque mot a son adjectif qui pend à côté : « figure jaune brun, prunelle noire ardente, attitude impassible, mouvement absolu, main longue et maigre, fierté arrogante, rigueur inflexible... >>

C'est intolérable. D'abord : figure brune suffisait; jaune est une nuance qui se perd en route; prunelle ardente suffirait aussi; impassibilité pourrait remplacer attitude impassible; le mouvement absolu (?) de sa main veut dire probablement le geste autoritaire. Son arrogance simplement remplacera l'expression de fierté arrogante (car c'est la même chose) et rigueur inflexible est d'un accouplement trop usé. Essayons de refaire :

Il y avait dans sa figure brune, dans son ardente prunelle, dans le dédain de sa bouche, dans son impassibilité et jusque dans le geste autoritaire de sa main maigre, une arrogance inflexible que je n'avais jamais rencontrée.

Même ainsi, ce ne sera pas trop bon, car cela revient à dire « Il y avait de l'arrogance dans son dédain et de la rigueur dans son impassibilité », ce qui n'est pas fort et ne veut rien dire du tout.

On voit à peu près, aussi bien que nous pouvons le donner dans un aperçu préliminaire, comment on doit procéder pour chasser la banalité du style et lui donner l'originalité inséparable du vrai don d'écrire.

Un dernier exemple, pour finir cette entrée en matière. C'est un morceau de Lamennais. Nous ne

le referons pas. Nous signalerons seulement ce qu'il faudrait biffer ou changer. L'auteur décrit la vision que donne la symphonie pastorale de Beethoven:

Un chant simple et doux se fait entendre (pourquoi pas s'élève? ce serait plus court), les échos le répètent de vallée en vallée (l'écho des vallées le répète, serait plus rond). Il semble que vous erriez sur l'herbe humide encore... (on croirait marcher sur l'herbe encore fraîche serait plus en relief), alors que les bois, les prairies, les champs exhalent comme une vapeur d'harmonie indéfinissable (alors que la campagne exhale comme une vapeur harmonieuse, serait mieux écrit). Mille accidents de lumière déroulent sous vos yeux (oh! le vieux cliché! cherchez autre chose : dévoilent, montrent...) des tableaux variés (quels affreux mots banals, pour dire : des scènes inattendues), le son invisible, mystère étrange (épithète obligatoire) s'obscurcit ou se revêt d'un vif éclat (un son qui se revêt d'un vif éclat est le dernier mot du médiocre) Peu à peu le Soleil monte, l'air s'embrase. Aux travaux suspendus succèdent les danses joyeuses (style de traduction bucolique). Cependant les nuages s'amoncèlent (vieux verbe obligatoire pour les nuages, qui se trouve sous la plume de tous les élèves), un bruit sourd et lointain (toujours!), parti on ne sait d'où, annonce l'orage; on ne le voit pas encore; il grossit et s'approche (s'il grossit, c'est qu'il s'approche, et s'il s'approche, c'est qu'il a grossi. Tout cela est peu en relief, peu vu!), l'éclair sillonne la nuée (style des devoirs de jeunes filles), la foudre la déchire avec un fracas horrible. Les danses s'interrompent, etc.

Et Lamennais ajoute cette phrase qui contient à elle seule toute la leçon que nous voulons donner :

Les pasteurs effrayés se dispersent...

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COMMENT ÊTRE ORIGINAL ET PERSONNEL? L'auteur a cru bien écrire en employant ces mots généraux et inexpressifs. Les gens habitués au style tout fait s'en contenteront et diront: que mettre à la place?

Ce qu'il fallait mettre? Mais les mots vrais, tout simplement, ceux que M. de Heredia emploie dans un cas semblable:

Le pâtre épouvanté qui s'enfuit vers Tyrinthe.

(Les Trophées.)

S'enfuir est plus fort que dispersent; épouvantés est plus en relief qu'effrayés; et pâtre est le mot propre, bien mieux que pasteur (pasteur d'hommes, pasteur évangélique, etc.). On eût pu mettre encore:

Les pâtres s'enfuient de terreur 1.

L'originalité est donc, répétons-le, la première qualité du style. C'est par elle qu'on s'écarte de ce qui a été dit, qu'on évite les périphrases et les expressions toutes faites; c'est par elle qu'on trouve la force et la vie.

L'originalité est un effort incessant. Elle consiste à dire mieux, à dire énergiquement, à chercher le mot propre, à trouver l'image neuve. Si vous avez cette qualité, écririez-vous à la diable comme SaintSimon, vous serez écrivain, en dépit des cours de littérature, de la grammaire et de l'orthographe.

1. Ce qui ne veut pas dire que le mot pasteur ne puisse être beau; il peut, en d'autres cas, devenir nécessaire; de même les mots effrayés et dispersent. Les expressions ne sont que des valeurs. Ne l'oublions jamais.

SIXIÈME LEÇON

La concision du style.

Procédés pour acquérir la concision. Surcharges et mots trop nombreux. Locutions vicieuses. - Prolixité. - Sobriété. Condensation. Accumulation et répétition de mots. - Emploi des auxiliaires avoir et étre. équivalents. Les transitions factices.

Le sonnet d'Arvers.

Les

La seconde qualité essentielle d'un bon style, c'est la concision, c'est-à-dire l'art de renfermer une pensée dans le moins de mots possible 1.

Une grande cause de faiblesse littéraire, ce qui ôte à un style sa force, ce qui le rend sans effet, c'est la diffusion. On n'est jamais captivé par des phrases où il y a trop de mots. « La netteté, a dit un critique, est le vernis des maîtres »; or la netteté est l'éclat que donne la concision. Elle ne consiste pas dans les phrases courtes plutôt que dans les

1. Nous avons dit dans la précédente leçon qu'il faut employer le mot propre, exact, imaginé, en relief, et non pas le mot banal et l'expression toute faite. Ces conseils, pour atteindre l'originalité, comprennent donc implicitement la précision, la correction, la clarté, la justesse, le naturel, etc., dont il m'a paru inutile de faire des qualités à part.

Dans la présente leçon, est évident aussi que la concision renferme la sobriété, la tempérance, la force, l'éclat. etc.

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