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ÉCRIRE COMME ON PARLE

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Je me souviens que mes rivaux et moi, quand j'étais à Paris, nous étions tous fort peu de chose, grands compositeurs de riens, pesant gravement des œufs de mouche dans des balances de toile d'araignée.

(VOLTAIRE.)

On contait hier à table qu'Arlequin l'autre jour, à Paris, portait une grosse pierre sous son manteau. On lui demanda ce qu'il voulait faire de cette pierre; il dit que c'était l'échantillon d'une maison qu'il voulait vendre. Cela me fit rire. Si vous croyez, ma fille, que cette invention soit bonne pour vendre votre terre, vous pouvez vous en servir.

(Mme DE SÉVIGNÉ.)

Si l'on pouvait avoir un peu de patience, on s'épargnerait bien des chagrins. Le temps en ôte autant qu'il en donne. Vous savez que nous le trouvons un vrai brouillon, mettant, remettant, rangeant, dérangeant, imprimant, effaçant, approchant, éloignant, et rendant toutes choses bonnes et mauvaises, et quasi toujours méconnaissables. Il n'y a que notre amitié que le temps respecte et respectera toujours.

(Mme DE. SÉVIGNÉ.)

Nous fimes bien tous deux notre devoir de vous louer; cependant nous ne pûmes jamais aller jusqu'à la flatterie. (BUSSY-RABUTIN.)

Quand nous disions quelquefois : Il n'y a rien qui ruine comme de n'avoir point d'argent, nous nous entendions bien.

(Mme DE SÉVIGNÉ.)

Mme de Sévigné dit en parlant de sa vieillesse :

J'ai beau frapper du pied, rien ne sort qu'une vie triste et uniforme.

L'éloquence, même la plus sublime, peut se trouver dans les lettres. Mme de Sévigné rivalise quelquefois avec Bossuet. Voici une lettre où, entre autres choses, elle conte à M. de Coulanges la mort de M. de Louvois; on croirait presque lire une page de l'illustre et grand évêque :

Je suis tellement éperdue de la mort très subite de M. de Louvois, que je ne sais pas par où commencer pour vous en parler. Le voilà donc mort, ce grand ministre, cet homme si considérable, qui tenait une si grande place, dont le moi, comme dit M. Nicole, était si étendu, qui était le centre de tant de choses! Que d'affaires, que de desseins, que de projets, que de secrets, que d'intérêts à démêler! Que de guerres commencées, que d'intrigues, que de beaux coups d'échecs à faire et à conduire! Ah! mon Dieu, donnez-moi un peu de temps; je voudrais bien donner un échec au duc de Savoie, un mat au prince d'Orange.

Non, non, vous n'aurez pas un seul, un seul moment! Faut-il raisonner sur cette étrange aventure? Non; en vérité, il faut réfléchir dans son cabinet. Voilà le second ministre que vous voyez mourir depuis que vous êtes à Rome. Rien n'est plus différent que leur mort; mais rien n'est plus égal que leur fortune et les cent millions de chaînes qui les attachaient à la terre.

La grande maxime à retenir, celle par laquelle nous résumerons nos conseils épistolaires, c'est qu'il faut laisser aller sa plume et exprimer sans recherche ce que l'on sent. On doit bien savoir ce qu'on veut dire, en prenant la plume pour écrire à quelqu'un. Quant à la façon d'exprimer tout cela, il n'y a pas à s'en occuper, parlez-le à haute voix, et l'expression arrivera toute seule.

ÉCRIRE COMME ON PARLE

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Surtout ne vous tourmentez pas pour entrer adroitement dans votre sujet. Le début d'une lettre doit être brusque et sans apprêt. Mme de Sévigné apprend que sa fille a été en danger : « Ah! ma fille! quelle lettre! Quelle peinture de l'état où vous avez été! » Ailleurs, elle parle d'une lettre de sa fille, qui s'est égarée « Je n'en ai reçu que trois, de ces aimables lettres qui me pénètrent le cœur; il y en a une qui ne revient pas. » Une autre fois, elle commence ainsi sa première lettre à sa fille : « Hélas! nous voilà encore dans les lettres!

Il faut également que les fins de lettres soient simples, sans effort. Mme de Sévigné n'est jamais embarrassée pour finir.

«< Adieu, ma très chère et très aimable enfant; je ne trouve personne qui ne s'imagine que vous avez raison de m'aimer, en voyant de quelle façon je vous aime. » Tantôt : « Je suis à vous, ma très aimable, et je ne trouve de bien employé que le temps que je vous donne tout cède au moindre de vos intérêts. J'embrasse ce pauvre comte dois-je l'aimer toujours? en êtes-vous contente? » Ou bien : « Adieu, je vous embrasse; mais quand pourrai-je vous embrasser de plus près? La vie est si courte! Ah! voilà sur quoi il ne faut pas s'arrêter : c'est maintenant vos lettres que j'attends avec impatience.

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Dans l'art épistolaire, le mot de Buffon est plus vrai que jamais : « Le style, c'est l'homme ».

En résumé, il faut lire beaucoup de lettres pour apprendre à en écrire.

Nous avons traité sommairement ces deux derniers chapitres. Nous y reviendrons à loisir dans notre prochain livre La formation du style par l'assimilation des auteurs.

FIN

PREFACE...

TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE LEÇON

Le don d'écrire.

Tout le monde peut-il écrire? Peut-on enseigner à

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écrire? Comment on devient écrivain.

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conditions pour écrire.....

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TROISIÈME LEÇON

De la lecture.

-

-

De la lecture. — Conséquences de la lecture. — L'assi-
milation par la lecture. La lecture est une création.
Comment faut-il lire? Faut-il lire beaucoup de
livres? Les auteurs qu'on peut s'assimiler. Études
des procédés par la lecture. Homère, Montaigne,
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L'ART D'ÉCRIRE.

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