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personnage, à le maintenir dans ses répliques naturelles et le goût est victime de l'esprit.

La facilité du public à applaudir les tirades, les portraits, les traits d'esprit, a fait de nos comédies des feux d'artifices éblouissants, mais qui s'éteignent avec les feux de la rampe.

VINGTIÈME LEÇON

Du style épistolaire.

La lettre

Le style épistolaire. Les lettres de femmes. est une sensation individuelle. Écrire comme on parle. Conseils généraux.

Nous ne nous étendrons pas longuement sur le style épistolaire et sur la lettre. Aucun sujet n'est peut-être plus inutile à développer, par la raison qu'on exprime toujours bien ce que l'on sent, et que la lettre est, en général, une chose que l'on sent, parce qu'elle vous est personnelle.

La preuve, c'est que toutes les femmes écrivent admirablement les lettres.

« Ce sexe, dit La Bruyère, va plus loin que nous dans ce genre d'écrire; elles trouvent sous leurs plumes des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche; elles sont heureuses dans le choix des termes, qu'elles placent si juste, que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté et semblent être faits seulement pour

l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment et de rendre délicatement une pensée qui est délicate; elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étaient toujours correctes, j'oserais dire que les lettres de quelques-unes d'entre elles seraient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit. »>

Ce n'est évidemment pas à Mme de Sévigné que La Bruyère songeait en écrivant ces phrases, puisque les lettres de Mme de Sévigné ne furent publiées que longtemps après la mort de La Bruyère. Il songeait à toutes les femmes. Ceux qui ont eu entre les mains beaucoup de correspondances féminines savent que les femmes, en général, quelle que soit leur classe et leur condition, écrivent supérieurement les lettres. Il y a des centaines de femmes dont les lettres mériteraient d'être imprimées et étonneraient le public. J'en ai lu, écrites par des femmes du peuple, qui étaient exquises d'atticisme et de naturel. On peut se passer d'enseigner aux femmes le style épistolaire. Elles le savent d'instinct. Ce sont elles qui pourraient nous l'apprendre.

Pour les hommes, ils ont moins de délicatesse, moins de naturel; mais on peut dire que chacun sait écrire une lettre dont il sent le sujet. Quant à enseigner à écrire une lettre sur un sujet qu'on ne sent pas. il est inutile de s'en charger. Il faut d'abord sentir.

On conçoit l'enseignement du style en général,

LES LETTRES DE FEMMES

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une démonstration de l'art d'écrire en vue d'une description, d'un article, d'un livre; mais la lettre, dans le train ordinaire, n'est pas un genre voulu, un travail de choix. C'est une obligation. On a telle missive à envoyer, telle correspondance à faire, selon les hasards de la vie, parce qu'il vous arrive telle ou telle chose. En un mot, le but, le sujet, les raisons, les circonstances de la lettre sont éminemment individuels. Dans ces conditions, tout le monde s'en tire. Il n'y a qu'un conseil à suivre : lire beaucoup de modèles. La lecture seule des lettres apprend à en écrire.

Il existe, d'ailleurs, de bons Manuels d'art épistolaire, destinés à montrer le ton, les formules, le cérémonial relatif aux divers genres d'épîtres.

La lettre étant une conversation par écrit, exige les qualités de la bonne conversation et le naturel par-dessus tout. Elle doit être naturelle, spontanée, naïve, pas travaillée, à moins qu'elle ne soit le contraire par système, comme les lettres de Voiture et de Balzac, surnommés les grands épistoliers de France. Ceux-là écrivaient de parti pris sur des riens, pour étaler leur esprit et amuser le grand monde. Ils faisaient assaut de galanterie, de recherche et d'affectation. Et même alors leurs lettres n'étaient en quelque sorte que de la conversation écrite, puisque c'était à peu près ainsi que l'on parlait dans les salons de l'hôtel de Rambouillet, où la préciosité avait remplacé la simplicité.

Fuyez donc dans vos lettres le labeur, l'effort,

la période, la science du style. Exprimez-vous simplement, non pas avec négligence, mais avec abandon. Il faut écrire comme on parle, à la condition de bien parler; il faut même écrire un peu mieux qu'on ne parle, puisqu'on a le loisir de mettre de l'arrangement dans ce qu'on dit. « Employez ce style juste et court, dit Mme de Sévigné, qui chemine et qui plaît au souverain degré. »

<< Vous me dites plaisamment, écrit-elle à sa fille, que vous croiriez m'ôter quelque chose en polissant vos lettres. Gardez-vous bien d'y toucher; vous en feriez des pièces d'éloquence. Cette pure nature dont vous parlez est précisément ce qui est beau et ce qui plaît uniquement. »

<< Soyez vous et non autrui, dit encore Mme de Sévigné, votre lettre doit m'ouvrir votre âme et non votre bibliothèque. Pour moi, j'écrirais jusqu'à demain, dit-elle à sa fille; mes pensées, ma plume, mon encre, tout vole. »

Rien ne déplaît comme l'envie de vouloir briller. Les lettres ne doivent pas être surchargées d'ornements; il suffit qu'elle soient correctes, écrites sans périodes ni cadence, avec la facilité du cœur. Laissez venir tout seuls l'esprit, la saillie, la grâce, l'anecdote.

En vérité, j'ai bien de la peine. Je suis justement comme le médecin de Molière, qui s'essuyait le front our avoir rendu la parole à une fille qui n'était pas

tte.

(Mme DE SÉVIGNÉ.)

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