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DIXIÈME LEÇON

De la disposition.

du plan.

La disposition.

Comment on arrange.

Le plan et la fermentation des idées. les règles. Le plan, l'intérêt et l'action.

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Importance
Le plan et

On entend par « disposition » la mise en ordre des matériaux, l'art d'ordonner ce que l'on va écrire, ce qui doit passer avant, ce qu'on doit placer après, la vue de l'ensemble d'après les proportions. Il s'agit de reconnaître la mesure, l'importance, la valeur et la longueur des divers éléments dont se compose un morceau; de présenter les diverses parties fournies par l'invention, d'une façon progressive, enchaînée, logique et intéressante.

C'est de la disposition que dépendent le plan, l'intérêt et l'action.

Un morceau de littérature, quel qu'il soit, discours, description, lettre ou narration, est fait en vue d'une unité. Il doit tendre à un effet général. Mais les détails y sont nécessaires; les incidents

plaisent; il faut qu'il y ait beaucoup d'idées, beaucoup d'images, en un mot, de la variété.

Concilier la variété avec l'unité est la grande affaire de tact et de goût. Il existe donc un art spécial pour pondérer tout cela, une science particulière pour le doser, pour distribuer et proportionner sa matière.

Faute de se montrer rigoureux sur ce sujet, de bons esprits sont tombés dans des longueurs impardonnables. Racine lui-même a montré dans son récit de Théramène une prolixité et un manque d'équilibre restés légendaires. Richardson eût pu faire de Clarisse Harlowe un chef-d'œuvre, s'il ne se fût répété sans cesse et n'eût accumulé lettres sur lettres dans le but d'allonger l'intérêt du roman, qui est devenu monotone et languissant. Il y a dans Don Quichotte des contradictions de faits et des invraisemblances inadmissibles. L'OEdipe roi, de Sophocle est plein d'impossibilités matérielles que l'auteur a dissimulées à force de génie.

Nous devons donc, nous qui n'avons pas le talent des grands écrivains, respecter les règles de raison et les exigences de structure nécessaires au plan, à l'intérêt et à l'action.

A notre époque d'improvisation et d'impressionnisme, on affecte de mépriser le plan. On est heureux, en revanche, de voir un artiste comme Goethe signaler à chaque instant l'importance du plan. «< Tout dépend du plan», répétait-il. C'est qu'un bon plan, en effet, est la base d'une bonne

IMPORTANCE DU PLAN

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exécution. On ne voit trop souvent dans ce conseil de professeur qu'une exagération de méthode, un parti pris de scolastique littéraire. Rien n'est plus sérieux pourtant. Le profit qu'on en retire n'est pas immédiat, mais, par la suite, il est immense.

Quoi que l'on écrive, il faut donc s'emprisonner dans un plan sévère, aussi développé que possible et d'où l'on ne puisse plus dévier. On ne doit plus sortir des proportions qu'on s'est imposées, parce qu'on les a établies par lucidité, par raison, par logique, et que le propre de la verve est précisément de tomber dans les digressions et les écarts.

Plus on écrit, plus on étudie, plus on lit les œuvres des maîtres, et plus on acquiert cette conviction qu'un bon plan fait la résistance et la valeur d'un ouvrage autant que le style. La composition est un signe de supériorité et de durée. Tous les chefs-d'œuvre des maîtres sont bien composés. Racine disait que lorsqu'il avait achevé son scenario en prose, sa pièce était faite; c'est exagéré, mais rien ne montre mieux l'importance qu'il donnait au plan et aux développements.

Si l'imagination n'est pas inflexiblement dirigée qui peut savoir où elle s'arrêtera? Le meilleur talent se laisse entraîner. Que d'œuvres étincelantes, déréglées, pleines d'intempérances magnifiques, qui eussent été supérieures avec plus d'ordonnance, de plan, de méthode, d'ordre! D'éblouissants poètes, comme Saint-Amand et Théophile, sont oubliés parce qu'ils ont produit pêle-mêle au hasard

de l'inspiration. Malherbe est resté, quoique moins poète peut-être, parce qu'il a su choisir, se régler, élaguer, ordonner.

Il n'est pas dit qu'on tombe fatalement dans la confusion par le seul fait qu'on n'aura pas suffisamment développé son plan; mais c'est une vérité absolue, à forme et à style égal, que la supériorité d'exécution appartiendra à celui qui aura son cadre, qui saura ce qu'il doit dire, tout ce qu'il faut dire, rien que ce qu'il doit dire.

Les jeunes gens ne se font pas une idée assez nette de cette obligation. Il y a dans tout travail littéraire une part de préparation, de maturité, de réflexion nécessaires à la bonne exécution de cet ouvrage. Il faut s'astreindre à savoir construire. Rien ne tient debout sans cela.

Ce travail paraît aride à certains esprits. Ils aiment mieux se fier à leur fécondité. Ils croient pouvoir diriger l'attelage sans tenir les guides. L'avidité d'écrire vous presse. Le style veut sortir, la verve bouillonne. Pourquoi des retards?

Eh bien, non! Les idées ne perdent rien à être comprimées; la liqueur qui fermente n'en est que plus forte. Pour ouvrir trop vite le flacon, il n'en sort souvent que de la mousse qui s'évapore.

Sans un plan arrêté, détaillé, l'exécution est problématique. On risque d'accorder de l'importance à tel passage, parce qu'il jaillira à souhait, et on s'y étendra complaisamment pour en négliger un autre plus difficile.

IMPORTANCE DU PLAN

Ne perdons jamais de vue ce qu'a dit Buffon:

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C'est faute de plan, c'est pour n'avoir pas assez réfléchi sur son sujet qu'un homme d'esprit se trouve embarrassé et ne sait par où commencer à écrire. Il aperçoit à la fois un grand nombre d'idées; et, comme il ne les a ni comparées ni subordonnées, rien ne le détermine à préférer les unes aux autres : il demeure donc dans la perplexité. Mais lorsqu'il se sera fait un plan, lorsqu'une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s'apercevra aisément de l'instant auquel il doit prendre la plume, il sentira le point de maturité de la production de l'esprit, il sera pressé de le faire éclore, il n'aura même que du plaisir à écrire...

Pour bien écrire, il faut donc posséder pleinement son sujet; il faut y réfléchir assez pour voir clairement l'ordre de ses pensées, et en former une suite, une chaîne continue, dont chaque point représente une idée; et lorsqu'on aura pris la plume, il faudra la conduire successivement sur ce premier trait, sans lui permettre de s'en écarter, sans l'appuyer trop inégalement, sans lui donner d'autre mouvement que celui qui sera déterminé par l'espace qu'elle doit parcourir.

Et Fénelon ajoute :

Il n'y a un véritable ordre que quand on ne peut en déplacer aucune partie sans affaiblir, sans obscurcir, sans déranger le tout...

Tout auteur qui ne donne point cet ordre à son discours ne possède pas assez sa matière; il n'a qu'un goût imparfait et qu'un demi-génie. L'ordre est ce qu'il y a de plus rare dans les opérations de l'esprit : quand l'ordre, la justesse, la force et la véhémence se trouvent réunis le discours est parfait.

Si l'élocution, c'est-à-dire la forme, fait la magie

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