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plus abandonné Victor Hugo que Leconte de l'Isle, M. de Heredia et nos modernes poètes.

On objecte l'exemple de Saint-Simon, qui a écrit à la diable et a voulu faire de la vie. Cela prouve que le génie et la vie passent avant et se passent de tout, et que ce qu'il faut voir d'abord, c'est l'originalité, le don de peindre, le don d'imagination et de création. L'harmonie ne vient qu'après.

Il est sûr que l'harmonie seule, quand le fond n'y est pas, n'arrive qu'à affadir le style, et qu'elle devient alors une qualité insupportable. Elle n'est essentielle au style qu'autant qu'elle tire son charme de la valeur des mots, et non de leur seul balancement, toujours facile à obtenir et qui peut être quelquefois très vide.

<< Il suffit, dit Buffon, d'avoir un peu d'oreille pour éviter les dissonances, et l'avoir exercée, perfectionnée par la lecture des poètes, pour que, mécaniquement, on soit porté à l'imitation de la cadence poétique et des tours oratoires.

Rien de plus juste. Une phrase aura beau être harmonieuse, si les termes n'en sont pas saisissants, si l'idée n'est pas saillante, s'il y a trop de mots, l'har monie ne servira qu'à en faire ressortir la banalité.

Le vicomte d'Arlincourt, ce Chateaubriand sans talent, en est un mémorable exemple. Sa prose est très harmonieuse; seulement, comme il n'y a rien dedans, elle donne envie de rire, malgré l'inexplicable succès qu'ont eu des romans comme Le Solitaire et Les Trois Châteaux.

LA FAUSSE HARMONIE. D'ARLINCOURT

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Qu'on en juge par ces lignes prises au hasard :

La journée avait été étouffante, et la brise du soir était encore imprégnée de ces lourdes chaleurs de juillet qui semblent préluder aux orages. Les jardins du manoir achevaient de s'illuminer en verres de couleurs. L'échafaudage d'un beau feu d'artifice s'élevait sur une des pelouses du parc; et déjà les bosquets de Suzannin, prenant un air de fête qui tenait de l'enchantement, se peuplaient d'une foule avide d'émotions. Un brillant orchestre avait été placé, non loin du château, au fond d'une salle de danse champêtre établie sous une tente de toile pourpre, au milieu d'un grand bouquet d'arbres. Cette enceinte, garnie de fleurs, d'où s'exhalaient des flots d'harmonie, était entourée de gradins, tapissée de glaces, surchargée de candélabres et couronnée de lustres. La grâce y disputait le prix à la richesse, et la splendeur à l'élégance.

Partout de ravissants aspects, partout des surprises nouvelles. Ici un pavillon de musique où de jeunes cantatrices soupiraient les airs à la mode; là un petit théâtre en feuillages où des acteurs distingués devaient, tour à tour, chanter un vaudeville et exécuter un ballet. De toutes parts, les armoiries de la marquise en peinture et en illuminations. Tout cela n'avait qu'un défaut, mais un défaut cruel et tuant: trop de prétention et de pompe, une exagération continuelle en toute chose bruit fatigant, élan sans bornes, et but constamment dépassé.

(D'ARLINCOURT, Les Trois Châteaux, I, p. 140.)

Ce texte est aussi harmonieux que vide. Les cinq premières lignes du deuxième paragraphe sont étonnamment musicales. L'harmonie est un ornement qui fait mieux sentir la misère de ce style.

On doit donc aimer l'harmonie, la rechercher, la

cultiver, mais jamais aux dépens de la vie, du relief, de l'observation, de l'originalité. Elle doit être une qualité par surcroît. Il faut placer avant elle la valeur de l'idée et la qualité des mots.

Les auteurs dont la lecture sera, sous ce rapport, le plus profitable sont Chateaubriand, Bossuet, Buffon et, de nos jours, Flaubert.

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Nous avons dit quelles sont les conditions fondamentales de l'art d'écrire.

Nous avons examiné les trois grandes qualités que doit avoir le style et qui, selon nous, résument toutes les autres.

Sans nous attarder à étiqueter ce qu'on appelle les figures et les images, dont nous parlerons pratiquement dans nos prochaines démonstrations, tâchons d'expliquer comment on peut apprendre à écrire et à mettre en pratique les dispositions que la nature nous a données. Nous allons aborder, en d'autres termes, l'étude de la composition.

La composition littéraire peut se définir l'art de développer un sujet; autrement dit, l'art de trouver des idées, de les arranger et de les exprimer.

D'où cette division, logique et naturelle :

Invention.

Disposition.
Élocution.

Ces trois opérations ne sont pas rigoureusement distinctes; au contraire, on ne peut les séparer. Trouver un sujet, c'est déjà le disposer et le mettre en ordre, du moment qu'on l'examine et qu'on le mûrit; souvent, au moment même où on découvre une situation, une scène, l'expression vous vient, et on la note pour ne pas la perdre. L'élocution empiète alors sur l'invention et sur la disposition.

D'une façon générale, pourtant, cette division est bonne.

C'est de l'élocution que nous nous entretiendrons en dernier lieu plus longuement, car elle englobe aussi l'invention et la disposition, puisqu'elle fait trouver des choses nouvelles qu'il faut mettre en ordre,

L'INVENTION.

L'invention est l'effort d'esprit par lequel on trouve un sujet et les développements qui s'y rapportent.

Pour découvrir un sujet et les ressources qu'il comporte, la première condition c'est d'y réfléchir, de le mûrir, roman, fable, dialogue, description, narration ou discours.

« C'est pour ne pas avoir assez réfléchi sur son sujet, dit Buffon, qu'un auteur est embarrassé pour écrire. »

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