Page images
PDF
EPUB

Montesquieu n'a pas hésité à écrire rien n'a plu davantage, plutôt que de mettre : rien n'a plus plu1...

Plus votre prose sera châtiée, travaillée, irréprochable, plus vous devrez vous interdire les répétitions. Il n'en faut pas davantage pour déparer un morceau parfait.

Voici un sonnet, celui d'Arvers, qui passe avec raison pour un des plus beaux qu'on ait faits et qui a rendu son auteur célèbre. Ce serait un chefd'œuvre, l'idéal du sonnet sans défaut, s'il n'était gâté par trois répétitions.

Sonnet d'Arvers.

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un instant conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,

Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas;

A l'austère devoir pieusement fidèle,

Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :

<< Quelle est donc cette femme? » et ne comprendra pas.

1. Il est entendu que nous ne nous occupons ici que d'art et de style, et non de correction et de grammaire. Nous ne discuterons donc pas les accords de subjonctifs. Aucun écrivain n'osera écrire : j'aurais voulu que nous déclinassions cet honneur et que nous marchandassions les éloges...

SYNONYMES ET ÉQUIVALENTS

117

Pour remplacer les répétitions, on peut recourir aux synonymes et aux équivalents.

Une discussion sur les synonymes serait sans utilité. D'une façon absolue, on peut dire qu'il n'y a pas de synonymes. Paresse, oisiveté, indolence, fainéantise ont un sens différent; inquiétude, alarme, trouble, agitation, n'expriment pas les mêmes idées, pas plus que fuir, sortir, s'évader, s'en aller, s'échapper, se dérober.

Mais dans le style, qui vit d'alliances de mots et de valeurs d'idées, incessamment de pareils mots peuvent passer pour synonymes, et ils abondent dans notre langue.

Quant aux équivalents, on peut dire qu'ils constituent précisément la variété de l'art d'écrire.

Nous trouvons dans Massillon la même pensée exprimée sous quatre formes :

Tout reprend sa place dans un état où les grands et le prince surtout adorent le Seigneur. La piété est en honneur dès qu'elle a de grands exemples pour elle.

1o Le culte peut encore être méprisé en secret par l'impie, mais il est vengé du moins par la majesté et la décence publique.

2o Le temple saint peut encore voir, au pied de ses autels, des pécheurs et des incrédules, mais il n'y voit plus de profanateurs.

3o Il peut se trouver encore des hommes corrompus qui refusent à Dieu leur cœur, mais ils n'oseraient lui refuser leurs hommages.

4o En un mot, il peut être encore aisé de se perdre, mais du moins il n'est pas honteux de se sauver.

C'est par la lecture qu'on se familiarise avec ces procédés, et que l'esprit s'habitue à voir les rapports des choses et à découvrir des tournures et des expressions.

Voici comment Montesquieu varie cette idée que, dans toutes les entreprises, on était obligé de recourir à Pompée :

Fallut-il faire la guerre à Sertorius, on en donna la commission à Pompée. Fallut-il la faire à Mithridate, tout le monde cria: Pompée. Eut-on besoin de faire venir des blés à Rome, le peuple croit être perdu si on n'en charge Pompée. Veut-on détruire les pirates, il n'y a que Pompée; et lorsque César menace d'envahir, le Sénat crie à son tour et n'espère plus qu'en Pompée.

Il faut aussi proscrire de son style ce que j'appellerais les parasites, ces conjonctions dont on abuse pour amener les transitions de phrases, comme : en effet, certes, du reste, au surplus, d'autre part, par le fait, en définitive, d'un côté, à vrai dire, pour dire, le vrai, car, pour sa part, de son côté, de vrai, sûre

ment...

Les phrases doivent se lier non pas par des amorces factices, mais par la logique de l'idée, par la force de la pensée. Elles doivent marcher côte à côte, indissolubles, n'ayant pas l'air d'être attachées. Il y a des cas, bien entendu, où ces conjonctions sont indispensables et font le meilleur effet; c'est seulement contre l'abus que nous protestons.

On s'imagine que ces particules enchaînent les phrases, les rendent plus coulantes, plus solides.

TRANSITIONS FACTICES

119

Au contraire, elles ont l'air lâches, parce qu'on voit la soudure, parce que la charnière joue, et que la vraie transition dépend de l'esprit d'une phrase et non d'une conjonction mécanique. Les styles inexpérimentés fourmillent de ces sortes de végétations parasitaires. Les bonnes phrases n'ont pas besoin d'être boulonnées; elles font bloc. Le véritable écrivain les plante droites. Une fois debout, elles ne remuent plus. La lecture des maîtres nous en convaincra.

Voyez cette phrase de Montesquieu :

Les vices d'Alexandre étaient extrêmes comme ses vertus il était terrible dans sa colère; elle le rendait cruel. Il fit couper les pieds, le nez et les oreilles à Callisthène, ordonna qu'on le mît dans une cage de fer et le fit porter ainsi à la suite de l'armée.

(MONTESQUIEU, Lysimaque.)

Ou encore ce passage de Salammbó, le supplice de Mâtho:

Ses jarrets plièrent, et il s'affaissa tout doucement sur les dalles. Quelqu'un alla prendre, au péristyle du temple de Melkarth, la barre d'un trépied rougie par les charbons ardents et, la glissant sous la première chaîne, il l'appuya contre sa plaie. On vit la chair fumer; les huées du peuple étouffèrent sa voix; il était debout. (FLAUBERT, Salammbó, p. 350.)

On apprendra la concision non seulement à force de travail, mais surtout par la lecture des écrivains classiques. Pascal, La Bruyère, sont, à cet égard, très profitables, et chez les contemporains, Gustave Flaubert, surtout dans ses Trois Contes.

De l'harmonie.

SEPTIÈME LEÇON

L'harmonie du style.

Nécessité de l'harmonie. Harmonie des mots. L'emploi des qui et des que. Harmonie naturelle : Chateaubriand. · Travail d'harmonie Flaubert. imitative. - Harmonie puérile.

[ocr errors]

:

Harmonie

Nous avons sommairement expliqué en quoi consistent les deux grandes qualités générales du style: l'originalité et la concision.

Il en est une troisième, aussi importante, aussi nécessaire l'harmonie, c'est-à-dire le sens musical des mots et des phrases et l'art de les combiner agréablement pour l'oreille.

L'harmonie, pour les mots, consiste dans leur son

propre.

L'harmonie, pour les phrases, consiste dans leur cadence et leur équilibre.

Boileau l'a dit avec raison :

...

La plus noble pensée

Ne peut plaire à l'esprit quand l'oreille est blessée

« PreviousContinue »