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Dans les calamités publiques & dans les maux preffants, on cft confterne; parce qu'on manque de reffources, ou qu'on fe défie de celles qu'on a. Plus on eft expérimenté, moins on eft fufceptible d'Étonnement parce que les chofes réelles donnent l'idée des poffibles. L'efprit fupérieur trouve rarement un fujet de Surprife: parce qu'il fait que ce qu'il ne connoît pas, n'eft pas plus extraordinaire que ce qu'il connoît; & que les causes cachées font également, comme les causes connues, des refforts méchaniques de la nature ou des ordres abfolus de celui qui la gouverne Le parfait chrétien & le vrai philofophe font à l'abri de toute Confternation; parce qu'ils connoiffent la fupériorité de la Providence & des caufes premières, dont ils refpectent les deffeins & les effets par une entière foumiffion. (L'abbé GIRARD).

(N.) ÊTRE. EXISTER. SUBSISTER. Synon. Etre convient à toutes fortes de fujets, fubftances ou modes; & à toutes les manières d'Étre, foit réelles, foit idéales, foit qualificatives ou relatives. Exifter ne fe dit que des fubftances, & feulement pour en marquer l'Etre réel. Subfifter s'applique également aux fubftances & aux modes, mais avec un rapport à la durée de leur Étre, que n'expriment pas les deux premiers mots.

On dit des qualités, des formes, des actions, de l'arrangement, du mouvement, & de tous les divers rapports, qu'ils font. On dit de la matière, de l'efprit, des corps, & de tous les Étres réels, qu'ils exiftent. On dit des États, des ouvrages, des affaires, des lois, & de tous les établiffements qui ne font ni détruits ni changés, qu'ils fubfiftent.

Le verbe Etre fert ordinairement à marquer l'évènement de quelque modification ou propriété dans le fujet; celui d'Exifter n'eft d'ufage que pour exprimer l'évènement de la fimple existence; & l'on emploie celui de Subfifter, pour défigner un évènement de durée, qui répond à cette existence ou à cette modification. Ainfi, l'on dit que l'homme eft inconftant; que le phénix n'existe pas; que tout ce qui eft d'établiffement humain ne fubfifte qu'un temps. (L'abbé GIRARD.)

L'auteur parle ici d'après fa doctrine particulière fur le verbe. D'après celle que j'ai établie dans ma Grammaire générale, je dirois que le verbe Etre fert ordinairement à marquer l'existence intellectuelle, c'eft à dire, l'existence des idées dans l'efprit; que celui d'Exifter exprime la fimple exiftence réelle; & celui de Subfifter, l'existence réelle continuée. (M. BEAUZEE).

ÉTUDE, f.f. Terme générique qui défigne toute occupation à quelque chofe qu'on aime avec ardeur; mais nous prenons ici ce mot dans le fens ordinaire, pour la forte application de l'efprit, foit à la Littérature en général, foit à quelque science en particulier.

Je n'encouragerai point les hommes à le dévouer à l'Étude des fciences, en leur citant les rois & les GRAMM. ET LITTÉRAT. Tome II,

empereurs qui menoient à côté d'eux, dans leurs chars de triomphe, les gens de Lettres & les favants. Je ne leur citerai point Phraotès traitant avec Apollonius comme avec fon fupérieur; Julien defcendant de foa trône pour aller einbraffer le philofophe Maxime, &c. ces exemples font trop rares & trop finguliers, pour en faire un fujet de triomphe. Il faut vanter I'Etude par elle-même & pour elle-même.

L'Étude eft par elle-même, de toutes les occupations, celle qui procure à ceux qui s'y attachent les plaifirs les plus attrayants, les plus doux, & les plus honnêtes de la vie; plaifirs uniques, propres en tout temps, à tout âge, & en tous lieux. Les Lettres, dit l'homme du monde qui en a le mieux connu la valeur, n'embarraffent jamais dans la vie ; elles forment la Jeuneffe, fervent dans l'âge mûr, & réjouiffent dans la vieilleffe; elles confolent dans l'adverfité, & elles rehauffent le luftre de la fortune dans la profpérité; elles nous entretiennent la nuit & le jour; elles nous amufent à la ville, nous occupent à la campagne, & nous délaffent dans les voyages: Studia adolefcentiam alunt ...... Cicer. pro Archiâ.

Elles font la reffource la plus fûre contre l'ennui, ce mal affreux & indéfiniffable, qui dévore les hommes au milieu des dignités & des grandeurs de la Cour.

Je fais de l'Etude mon divertissement & ma consolation, difoit Pline, & je ne fais rien de fi fâcheux qu'elle n'adouciffe. Dans ce trouble que me caufe l'indifpofition de ma femme, la maladie de mes gens, la mort même de quelques-uns, je ne trouve d'autre remède que l'Étude. Véritablement, ajoûtet-il, elle me fait mieux comprendre toute la grandeur du mal, mais elle me le fait auffi fupporter avec moins d'amertume.

Elle orne l'efprit de vérités agréables, utiles, ou néceffaires; elle élève l'ame par la beauté de la véritable gloire; elle apprend à connoître les hommes tels qu'ils font, en les faifant voir tels qu'ils ont été, & tels qu'ils devroient être; elle infpire du zèle & de l'amour pour la patrie; elle nous rend plus humains, plus généreux, plus juftes, parce qu'elle nous rend plus éclairés fur nos devoirs & fur les liens de l'humanité :

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Ce prince lui demandoit un jour à quoi lui fervoit de lire : « Sire, lui répondit le duc, qui avoit de l'embonpoint & de belles couleurs, la lecture fait à mon efprit ce que vos perdrix font à mes joues ». S'il fe trouve encore aujourdhui des détracteurs des fciences, & des cenfeurs de l'amour pour l'Etude, c'eft qu'il eft facile d'être plaifant fans avoir raifon, & qu'il est beaucoup plus aifé de blâmer ce qui eft louable que de l'imiter; cependant, grâces au Ciel, nous ne fommes plus dans ces temps barbares où l'on laiffoit l'Etude à la Robe, par mépris pour la Robe & pour l'Étude.

Il ne faut pas toutefois qu'en chériffant l'Étude, nous nous abandonnions aveuglément à l'impétuofité d'apprendre & de connoître l'Étude a fes règles, aufli bien que les autres exercices, & elle ne fauroit réuffir, fi l'on ne s'y conduit avec méthode. Mais il n'eft pas poffible de donner ici des inftructions particulières à cet égard: le nombre des traités qu'on a publiés fur la direction des Études dans chaque fcience, va prefqu'à l'infini ; & s'il y a bien plus de docteurs que de doctes, il fe trouve auffi beaucoup plus de maîtres qui nous enfeignent la méthode d'étu dier utilement, qu'il ne fe rencontre de gens qui ayent eux-mêmes pratiqué les préceptes qu'ils donnent aux autres. En général, un beau naturel & l'application aflidue furmontent les plus grandes difficultés.

Il y a fans doute dans l'Étude des éléments de toutes les fciences, des peines & des embarras à vaincre ; mais on en vient à bout avec un peu de temps, de foins, & de patience, & pour lors on cueille les rofes fans épines. L'on dit qu'on voyoit autrefois dans un temple de l'île de Scio, une Diane de marbre dont le vifage paroiffoit trifte à ceux qui entroient dans le temple, & gai à ceux qui en fortoient. L'Étude fait naturellement ce miracle vrai ou prétendu de l'art. Quelque auftère qu'elle nous paroiffe dans les commencements, elle a tels charmes enfuite, que nous ne nous féparons jamais d'elle fans un fentiment de joie & de fatisfaction qu'elle laiffe dans notre ame.

de

Il eft vrai que cette joie fecrète dont une ame ftudieufe eft touchée, peut fe goûter diversement, felon le caractère différent des hommes, & felon l'objet qui les attache; car il importe beaucoup que l'Étude roule fur des fujets capables d'attacher. Il y a des hommes qui paffent leur vie à l'Étude de chofes de fi mince valeur, qu'il n'eft pas furprenant s'ils n'en recueillent ni gloire ni contentement. Céfar demanda à des étrangers, qu'il voyoit pallionnés pour des finges, fi les femmes de leurs pays n'avoient point d'enfants. L'on peut demander pareillement à ceux qui n'étudient que des bagatelles, s'ils n'ont nulle Connoiffance de chofes qui méritent mieux leur application. Il faut porter la vue de l'efprit fur des Etudes qui le récréent, l'étendent, & le fortifient, parce qu'elles récompenfent tôt ou tard du temps que l'on y a employé.

Une autre chose très-importante, c'est de com

mencer de bonne heure d'entrer dans cette noble carrière. Je fais qu'il n'y a point de temps dans la vie auquel il ne foit louable d'acquérir de la fcience, comme difoit Sénèque; je fais que Caton l'ancien étoit fort âgé lorfqu'il fe mit à l'Étude du grec mais malgré de tels exemples, il me paroît que d'entreprendre à la fin de fes jours d'acquérir l'habitude & le goût de l'Etude, c'est le mettre dans un petit chariot pour apprendre à marcher, lorfqu'on a perdu l'ufage de fes jambes.

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On ne peut guère s'arréter dans l'Étude des sciences fans décheoir les Mufes ne font cas que de ceux qui les aiment avec paffion. Archimède craignit plus de voir effacer les doctes figures qu'il traçoit für le fable, que de perdre la vie à la prife de Syracufe; mais cette ardeur fi louable & fi néceffaire n'empêche pas la néceffité des difractions & du délaffement: auffi peut-on fe délaffer dans la variété de l'Etude; elle fe joue, avec les chofes faciles, de la peine que d'autres plus férieufes lui ont caufée. Les objets différents ont le pouvoir de réparer les forces de l'ame, & de remettre en vigueur un esprit fatigué. Ce changement n'empêche pas que l'on n'ait toujours un principal objet d'Etude auquel on rapporte principalement fes veilles.

Je confeillerois donc de ne pas se jeter dans l'excès dangereux des Études étrangères, qui pourroient confumer les heures que l'on doit à l'Etude de fa profeffion. Songez principalement, vous diraije, à orner la Sparte dont vous avez fait choix; il eft bon de voir les belles villes du monde, mais il ne faut être citoyen que d'une feule.

Ne prenez point de dégoût de votre Etude, parce que d'autres vous y furpaffent. A moins que d'avoir l'ambition auffi déréglée que Céfar, on peut fe contenter de n'être pas des derniers d'ailleurs les échelons inférieurs font des degrés pour parvenir à de plus hauts.

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Souvenez-vous furtout de ne pas regarder l'Étude comme une occupation ftérile; mais rapportez au contraire les fciences qui font l'objet de votre attachement, à la perfection des facultés de votre ame & au bien de votre patrie. Le gain de notre Étude doit confifter à devenir meilleurs, plus heureux, & plus fages. Les égyptiens appeloient les bibliothèques le tréfor des remèdes de l'ame: l'effet naturel que l'Etude doit produire, eft la guérifon de fes maladies.

Enfin vous aurez fur les autres hommes de grands avantages, & vous leur ferez toujours fupérieur, fi, en cultivant votre efprit dès la plus tendre enfance par l'Etude des fciences qui peuvent le perfectionner, vous imitez Helvidius-Prifcus, dont Tacite nous a fait un fi beau portrait. Ce grand homme, dit-il, très-jeune encore, & déja connu par fes talents, fe jeta dans des Études profondes; non, comme tant d'autres, pour mafquer d'un titre pompeux une vie inutile & défœuvrée, mais à deffein de porter dans les emplois une fermeté fupérieure aux évènements. Elles lui apprirent à regarder ce qui eft honnête,

comme l'unique bien; ce qui eft honteux, comme l'unique mal; & tout ce qui eft étranger à l'ame, comme indifférent. (Le chevalier DE JAUCOURT.)

ÉTUDES, (Littérature.). On défigne par ce mot les exercices littéraires ufités dans l'inftruction de la Jeuneffe; Études grammaticales, Études de Droit, Études de Médecine, &c. faire de bonnes Études.

L'objet des Études a été fort différent chez les différents peuples & dans les différents fiècles. Il n'eft pas de mon fujet de faire ici l'hiftoire de ces variétés : on peut voir fur cela le Traité des Etudes de M.Fleury. Les Études ordinaires embraffent aujourdhui la Grammaire & fes dépendances, la Poéfie, la Rhétorique, toutes les parties de la Philofophie, &c.

Au refte, je me borne à expofer içi mes réflexions fur le choix & fur la méthode des Études qui conviennent le mieux à nos ufages & à nos befoins; & comme le latin fait le principal & prefque l'unique objet de l'inftitution vulgaire, je m'attacherai plus particulièrement à difcuter la conduite des Études latines.

Plufieurs favants, grammairiens & philofophes, ont travaillé dans ces derniers temps à perfectionner le fyftême des Études; Locke entr'autres parmi les anglois; parmi nous M. le Febvre, M. Fleury, M. Rollin, M. du Marfais, M. Pluche, & plufieurs autres encore, se font exercés en ce genre. Prefque tous ont marqué dans le détail ce qui fe peut faire en cela de plus utile; & ils paroiffent convenir, à l'égard du latin, qu'il vaut mieux s'attacher aujourdhui, fe borner même à l'intelligence de cette langue, que d'afpirer à des compofitions peu néceffaires, & dont la plupart des étudiants ne font pas capables. Cette thefe, dont j'entreprens la défense, eft déja bien établie par les auteurs que j'ai cités, & par plufieurs autres également favants.

Un ancien maître de l'Univerfité de Paris, qui en 1666 publia une traduction des Captifs de Plaute, s'énonce bien pofitivement fur ce fujet dans la préface qu'il a mife à ce petit ouvrage. « Pourquoi, dit-il, faire perdre aux écoliers un temps qui eft fi précieux, & qu'ils pourroient employer fi utilement dans la lecture des plus riches ouvrages de l'antiquité.... Ne vaudroit-il pas mieux occuper les enfants dans le collèges, à apprendre l'Histoire, la Chronologie, la Géographie, un peu de Géométrie & d'Arithmétique, & furtout la pureté du latin & du françois, que de les amufer de tant de règles & inftructions de Grammaire ?... Il faut commencer à leur apprendre le latin par l'ufage même du latin, comme ils apprennent le françois; & cet ufage confifte à leur faire lire, traduire, & apprendre les plus beaux endroits des auteurs latins; afin que, s'accoutumant à les entendre parier, ils apprennent eux-mêmes à parler leur langage». C'eft ainfi que tant de femmes, fans Étude de Grammaire, apprennent à bien parler leur langue, par le moyen fimple & facile de la converfation & de la lecture; & c'eft de même encore que la plupart des voyageurs apprennent les langues étrangères.

Un autre maître de l'Univerfité, qui avoit profeffé aux Graffins, publia une lettre fur la même matière en 1707 j'en rapporterai un article qui vient à mon fujet. « Pour favoir l'allemand, l'italien, l'efpagnol, le bas-breton, l'on va demeurer un ou deux ans dans les pays où ces langues font en usage, & on les apprend par le feul commerce avec ceux qui les parlent. Qui empêche d'apprendre aufli le latin de la même manière ? & fi ce n'eft par l'ufage du difcours & de la parole, ce fera du moins par l'ufage de la lecture, qui fera certainement beaucoup plus für & plus exact que celui du difcours. C'eft ainfi qu'en ufoient nos pères il y a quatre ou cinq cents ans ».

M. Rollin, Traité des Études, p. 128, préfère auffi pour les commençants l'explication des auteurs à la pratique de la compofition; & cela parce que les thêmes, comme il le dit, « ne font propres qu'à tourmenter les écoliers par un travail pénible & peu utile, & à leur infpirer du dégoût pour une Etude qui ne leur attire ordinairement de la part des maîtres que des réprimandes & des châtiments; car, pourfuit-il, les fautes qu'ils font dans leurs thêmes étant très-fréquentes & prefque inévitables, les corrections le deviennent auffi: au lieu que l'explication des auteurs & la traduction, où ils ne produifent rien d'eux-mêmes & ne font que fe prêter au maître, leur épargnent beaucoup de temps, de peines, & de punitions ».

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M. le Febvre eft encore plus décidé là-dessus voici comme il s'explique dans fa Méthode, pag. 20. « Je me garderai bien, dit-il, de fuivre la manière que l'on fuit ordinairement, qui eft de commencer par la compofition. Je me fuis toujours étonné de voir pratiquer une telle méthode pour inftruire les enfants dans la connoiffance de la langue latine; car cette langue, après tout, eft comme les autres langues : cependant qui a jamais oui dire qu'on commence l'hébreu, l'arabe, l'efpagnol, &c. par la compofition? Un homme qui délibère là-deffus, n'a pas grand commerce avec la faine raison ».

En effet, comment pouvoir composer avant que d'avoir fait provifion des matériaux que l'on doit employer? On commence par le plus difficile; on préfente pour amorce à des enfants de fept à huit ans, les difficultés les plus compliquées du latin, & l'on exige qu'ils faffent des compofitions en cette langue, tandis qu'ils ne font pas capables de faire la moindre lettre en françois fur les fujets les plus ordinaires & les plus connus.

Quoi qu'il en foit, M. le Febvre fuivit uniquement la méthode fimple d'expliquer les auteurs, dans l'inftruction qu'il donna lui-même à fon fils; il le mit à l'explication vers l'âge de dix ans, & il le fit continuer de la même manière jufqu'à fa quatorzième année, temps auquel mourut cet enfant célèbre, qui entendoit alors couramment les auteurs grecs & latins les plus difficiles : le tout fans avoir donné un feul inftant à la ftructure des thêmes, qui du refte n'entroient point dans le plan de M. le

Febvre, comme il eft aifé de voir par une réflexion qu'il ajoute à la fin de la Méthode : « Où pouvoient ́aller, dit-il, de fi beaux & de fi heureux commencements! Que n'eût-on point fait, fi cet enfant fût parvenu jufqu'à la vingtième année de fon âge? combien aurions-nous lu d'hiftoires grèques & latines, combien de beaux auteurs de Morale, combien de tragédies, combien d'orateurs ! car enfin le plus fort de la befogne étoit fait ».

Il ne dit pas, comme on voit, un feul mot des thêmes; il ne parle pas non plus de former fon fils à la compofi.ion latine, à la Poéfie, à la Rhétorique. Peu curieux des productions de fon élève, il ne lui demande, il ne lui fouhaite que du progrès dans la lecture des anciens; il fe tient parfaitement 'affûré durefte: bien différent de la plupart des parents & des maîtres, qui veulent voir des fruits dans les enfants, lorfqu'on n'y doit pas encore trouver des fleurs. Mais en cela moins éclairés que M. le Febvre, ils s'inquiètent hors de faifon, parce qu'ils ne voient pas, comme lui, que la compofition n'eft propremen: qu'un jeu pour ceux qui font confommés dans l'intelligence des auteurs & qui fe font comme transformés en eux par la lecture affidue de leurs ouvrages. C'eft ce qui parut bien dans mademoiselle le Febvre, fi connue dans la fuite fous le nom de madame Dacier on fait qu'elle fut inftruite, comme fon frère, fans avoir fait aucun thême; cependant quelle gloire ne s'eft-elle pas acquife dans la Littérature grèque & latine? Au refte, approfondiffons encore plus cette matière importante, & comparons les deux méthodes, pour en juger par leurs produits.

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L'exercice littéraire des meilleurs collèges, depuis fept à huit ans jufqu'à feize & davantage, confifte principalement à fe former à la compofition du latin; je veux dire, à lier bien ou mal en profe & en vers quelques centaines de phrases latines : habitude du rette, qui n'eft prefque d'aucun ufage dans le cours de la vie. Outre que telle eft la sèchereffe & la difficulté de ces opérations ftériles, qu'avec une application conftante de huit ou dix ans de la part des écoliers & des maîtres, à peine eft-il un tiers des difciples qui parviennent à s'y rendre habiles; je dis même parmi ceux qui achèvent leur carrière car je ne parle point ici d'une infinité d'autres qui fe rebutent au milieu de la course, & pour qui la dépenfe déja faite fe trouve abfolument perdue.

En un mot, rien de plus ordinaire que de voir de bons efprits cultivés avec foin, qui, après s'être fatigués dans la compofition latine depuis fix à fept ans jufqu'à quinze ou feize, ne fauroient enfuite produire aucun fruit réel d'un travail fi long & fi pénible; au lieu qu'on peut défier tous les adverfaires de la méthode propofée, de trouver un feul difciple conduit par des maîtres capables, qui ait mis en vain le même temps à l'explication des auteurs & aux autres exercices que nous marquerons plus bas. Auffi plufieurs maîtres des penfions & des

collèges reconnoiffent-ils de bonne foi le vide & la vanité de leur méthode, & ils gémiffent en fecret de le voir affervis malgré eux à des pratiques déraisonnables qu'ils ne font pas toujours libres de changer.

Tout ce qu'il y a de plus éblouiffant & de plus fort en faveur de la méthode ufitée pour le latin, c'est que ceux qui ont le bonheur d'y réuffir & d'y briller, doivent faire pour cela de grands efforts d'application & de génie; & qu'ainfi l'on efpère, avec quelque fondement, qu'ils acquerront par là plus de capacité pour l'Eloquence & la Poéfie latine: mais nous l'avons déja dit, & rien de plus vrai, ceux qui fe diftinguent dans la méthode régnante, ne font pas le tiers du total. Quand il feroit donc bien conftant qu'ils duffent faire quelque chofe de plus par cette voie, conviendroit-il de négliger une méthode qui eft à la portée de tous les efprits, pour s'entêter d'une autre toute femée d'épines & qui n'eft faite que pour le petit nombre, dans l'efpérance que ceux qui vaincront la difficulté deviendront un jour de bons la:iniftes? En un mot, eft-il jufte de facrifier la meilleure partie des Étudiants, & de leur faire perdre le temps & les frais de leur éducation, pour procurer à quelques fujets la perfection d'un talent qui eft le plus fouvent inutile, & qui n'eft prefque jamais néceffaire?

Mais que diront nos antagonistes, fi nous foutenons avec M. le Febvre, que le moyen le plus efficace pour arriver à la perfection de l'Eloquence latine, eft précisément la méthode que nous confeillons; je veux dire, la lecture conftante, l'explication & la traduction perpétuelle des auteurs de la bonne latinité? On ignore abfolument, dit ce grammairien célèbre, la véritable route qui mène à la gloire littéraire; route qui n'eft autre que l'Étude exacte des anciens auteurs. C'eft, dit-il encore, pratique fi féconde qui a produit les Budés, les Scaligers, les Turnèbes, les Pafferats, & tant d'autres grands hommes: Viam illam planè ignorant quâ majores noftros ad æternæ famæ claritudinem perveniffe videmus. Quænam illa fit fortaffe rogas, vir clariffime! Nulla certè alia quam veterum fcriptorum accurata lectio. Ea Budæos & Scaligeros; ea Turnebos, Pafferatos, & tot ingentia nomina edidit. Epift. xlij. ad D. Sarrau.

cette

Schorus, auteur allemand, qui écrivoit il y a deux fiècles fur la manière d'apprendre le latin, étoit bien dans les mêmes fentiments. « Rien, dit-il, de plus contraire à la perfection des Études latines, que l'ufage où l'on eft de négliger l'imitation des auteurs, & de conduire les enfants au latin plus tôt par des compofitions de collège, que par la lecture affidue des anciens »: Neque vero quicquam perniciofius accidere Studiis linguæ latinæ poteft, quam quod, neglecta omni imitatione, pueri à fuis magiftris magis quam à romanis ipfis Latinitatem difcere cogantur. Antonii Schori, libro de ratione docendæ & difcendæ linguæ latinæ, page 34. Auffi la méthode qu'indiquent ces favants, étoit

proprement la feule ufitée pour apprendre le latin lorfque cette langue étoit fi répandue en Europe, qu'elle y étoit prefque vulgaire; au temps, par exemple, de Charlemagne & de S. Louis. Que faifoit-on lors autre chofe, que lire ou expour pliquer les auteurs: N'eft-ce pas de là qu'eft venu le mot de lecteur, pour dire profeffeur? & n'est-ce pas enfin ce qu'il faut entendre par le prælectio des anciens latiniftes? terme qu'ils emploient perpétuellement pour défigner le principal exercice de leurs écoles, & qui ne peut fignifier autre chofe que l'explication des livres clafliques. Voyez les colloques d'Erafme.

D'ailleurs, il n'y avoit anciennement que cette voie pour devenir latinifte: les Dictionnaires françois-latins n'ont paru que depuis environ deux-cents ans; avant ce temps-là il n'étoit pas poffible de faire ce qu'on appelle un thême, & il n'y avoit pas d'autre exercice de latinité que la lecture ou l'explication des auteurs. Ce fut pourtant, comme dit M. le Febvre, ce fut cette méthode fi fimple qui produifit les Budés, les Turnèbes, les Scaligers. Ajoutons que ce fut cette méthode qui produifit madame Dacier.

Quoi qu'il en foit, il eft vifible qu'on doit plus attendre d'une inftruction grammaticale fuivie & raifonnée, où les difficultés le dèvelopent à mefure qu'on les trouve dans les livres, que d'un fatras de règles ifolées, le plus fouvent fauffes & mal conçues ; & qui, bien que décorées du beau nom de principes, ne font au vrai que les exceptions des règles générales, ou, fi l'on veut, les caprices d'une fyntaxe mal dèvelopée.

Au refte, l'exercice de l'application eft tout à fait indépendant des difficultés compliquées dont on régale des enfants qui commencent. En effet, ces difficultés fe trouvent rarement dans les auteurs ; elles ne font, pour ainfi dire, que dans l'imagination & dans les recueils de ces prétendus méthodistes, qui, loin de chercher le latin, comme autrefois, dans les ouvrages des anciens, fe font frayé une route à cette langue, par de nouveaux détours où ils brufquent toutes les difficultés du françois; route fcabreufe & comme impratiquable, en ce que les tours, les expreffions, & les figures des deux fangues ne s'accordant prefque jamais en tout, il a fallu, pour aller du françois au latin, imaginer une efpèce de méchanique fondée fur des milliers de règles; mais règles embrouillées, & plus fouvent impénétrables à des enfans, jufqu'à ce que le bénéfice des années & le sentiment que donne un long ufage, produifent à la fin dans quelques-uns une mefure d'intelligence & d'habileté que l'on attribue fauffement à la pratique de ces règles.

Cependant il eft des obfervations raisonnables que l'on doit faire sur le fyftême grammatical, & qui, réduites les commençants à une douzaine au plus, forment des règles conftanes pour fixer les rapports les plus communs de concordance & de

pour

régime; & ces règles fondamentales clairement expliquées, font à la portée des enfants de fept à huit ans. Celles qui font plus obfcures, & dont l'ufage eft plus rare, ne doivent être présentées aux Etudiants que lorfqu'ils font au courant des auteurs lacins. D'ailleurs, la plupart de ces règles n'ont été occafionnées que par l'ignorance où l'on eft, tant des vrais principes du latin, que de certaines expreffions abrégées qui font particulières à cette langue ; & qui une fois bien approfondies, comme elles le font dans Sanctius, Port-Royal, & ailleurs, ne-préfentent plus de vraie difficulté, & rendent même inutiles tant de règles qu'on a faites fur ces irrégularités apparentes. La brièveté qu'exige un article de Dictionnaire, ne permet pas de m'étendre ici là-dessus ; mais je compte y revenir dans quelque autre occafion.

J'ajoûte que l'un des grands avantages de cette nouvelle inftitution, c'eft qu'elle épargneroit bien des châtiments aux enfants; article délicat dont on ne parle guère, mais qui mérite autant ou plus qu'un autre d'être bien difcuté. Je trouve donc qu'il y a fur cela de l'injuftice du côté des parents & du côté des maîtres; je veux dire, trop de molleffe de la part des uns, & trop de dureté de la part des autres.

En effet, les maîtres de la méthode vulgaire, bornés pour la plupart à quelque connoiffance du latin, & entêtés follement de la compofition des thêmes, ne ceffent de tourmenter leurs élèves, pour les pouffer de force à ce travail accablant ; travail qui ne paroît inventé que pour contrifter la Jeuneffe, & dont il ne réfulte prefque aucun fruit. Premier excès qu'il faut éviter avec foin.

Les parents, d'un autre côté, bien qu'inquiets, impatients même fur les progrès de leurs enfants, n'approuvent pas pour l'ordinaire qu'on les mène par la voie des punitions. En vain le fage nous affûre que l'inftruction appuyée de la punition fait naître la fageffe, & que l'enfant livré à fes caprices devient la honte de fa mère, (Prov. xxix. 16.); que celui qui ne châtie pas fon fils, le hait véritablement (ibid. xiij. 24.); que celui qui l'aime, eft attentif à le corriger, pour en avoir un jour de la fatisfaction. (Eccléfiaftiq. xxx. 1.)

En vain il nous avertit, que, fi on fe familiarife avec un enfant, qu'on ait pour lui de la foibleffe & des complaifances, il deviendra comme un cheval fougueux & fera trembler fes parents; qu'il faut par conféquent le tenir foumis dans le premier age, le châtier à propos tant qu'il eft jeune, de peur qu'il ne fe roidiffe jufqu'à l'indépendance & qu'il ne caufe un jour de grands chagrins. (Ibid. xxx. 8. 9. 10. 11. 12.) En vain S. Paul recommande aux pères d'èlever leurs enfants dans la difcipline & dans la crainte du feigneur. (Ephef. vj. 4)•

Ces oracles divins ne font plus écoutés : les parents, aujourdhui plus éclairés que la fageffe même, rejettent bien loin ces maximes; & prefque tous aveugles & mondains, ils voient avec beaucoup plus de plaifir les agréments & l'embonpoint de leurs

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