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F, c. m.

F

Grammaire. C'eft la fixième lettre de l'alphabet latin, & de ceux des autres langues qui fuivent l'ordre de cet alphabet. Le ƒ eft aufli la quatrième des confonnes qu'on appelle muettes, c'est à dire, de celles qui ne rendent aucun fon par elles-mêmes, qui, pour être entendues, ont befoin de quelques voyelles, ou au moins de l'e muet, & qui ne font ni liquides comme l'r, ni fiflantes comme S, . Il y a environ cent ans que la Grammaire générale de Port-royal a propofé aux maîtres qui montrent à lire, de faire prononcer fe, plus tôt que effe. ( Gram. gén. c. vj. p. 23. fec. édit. 1664.) Cette pratique, qui eft la plus naturelle, comme quelques gens d'efprit l'ont remarqué avant nous, dit P. R. (ibid.) est aujourdhui la plus fuivie. Voyez CONSONNE.

Ces trois lettres F, V, & Ph font au fond la même lettre, c'eft à dire qu'elles font prononcées par une fituation d'organes qui eft à peu près la même. En effet, ve n'eft que le fe prononcé foiblement; fe eft le ve prononcé plus fortement; & ph, ou plus tôt fh, n'eft que le fe, qui étoit prononcé avec afpiration. Quintilien nous apprend que les grecs ne prononçoient le fe que de cette dernière manière ( Inft. orat. 1. iv); & que Cicéron, dans une Oraifon qu'il fit pour Fundanius, fe moqua d'un témoin grec qui ne pouvoit prononcer qu'avec afpiration la première lettre de Fundanius. Cette Oraifon de Cicéron eft perdue; voici le texte de Quintilien Græci af pirare folent, ut pro Fundanio, Cicero teftem, qui primam ejus litteram dicere non poffet, irridet. Quand les latins confervoient le mot grec dans leur langue, ils le prononçoient à la grèque, & l'écrivoient alors avec le figne d'afpiration philofophus de xocopos, Philippus de

TOS, &c; mais quand ils n'afpiroient point le, ils écrivoient fimplement f: c'eft ainfi qu'ils écrivoient fama, quoiqu'il vienne conftamment de hun; & de même fuga de quan, fur de qup,

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FAB

fimple, ils en inventèrent un; ce fut de repréfenter deux gamma l'un fur l'autre F, ce qui fait précisément le F qu'ils appelerent digamma; & c'eft de là que les latins ont pris leur grand F. (Voyez la Méthode grèque de P. R. p. 42). Les éoliens fe ferroient furtout de ce digamma, pour marquer le fe doux, ou, coinme on dit abusivement, l'u confonne; ils mettoient ce v à la place de l'efprit rude: ainfi, l'on trouve Fees, vinum, au lieu de Sus; Ferwipos, au lieu de is

Epos, vefperus; Feds, au lieu de avec l'efprit rude, velis, &c : & même, felon la Méthode de P. R. (ibid.), on trouve ferFus pour fervus, DaFus pour Davus, &c. Dans la fuite, quand on eut donné au digamma le fon du fe, on fe fervit du ou digamma renversé pour marquer le ve.

Martinius, à l'article F, fe plaint de ce que quelques grammairiens ont mis cette lettre au nombre des demi - voyelles; elle n'a rien de la demi-voyelle, dit-il, à moins que ce ne foit par rapport au nom qu'on lui donne effe: Nihil aliud habet femi-vocalis, nifi nominis prolationem. Pendant que d'un côté les éoliens changeoient l'efprit rude en f, d'un autre les espagnols changent le fen he afpiré; ils difent harina pour farina, hava pour faba, hervor pour fervor, hermofo pour formofo, humo au lieu de fumo, &c. (M. DU MARSAIS.)

* FABLE, f. f. Apologue, Belles-Lettres. Inf truction déguifée fous l'Allégorie d'une action. C'eft ainfi que la Motte l'a définie : il ajoute; C'est un petit Poème épique, qui ne le cède au grand que par l'étendue. (Idée du P. le Boffu, qui à l'analyfe fe diffipe en fumée.)

Les favants font remonter l'origine de la Fable à l'invention des caractères fymboliques & du ftyle figuré, c'eft à dire, à l'invention de l'Allégorie, dont la Fable eft une espèce. Mais l'Allegorie ainfi réduite à une action fimple, à une moralité précise, eft communément attribuée à Efope, comme à fon premier inventeur: quelques-uns l'attribuent à Héfiode & à Archiloque d'autres prétendent que les Fables connues fous le nom d'Efope, ont été composées par Socrate. Ces opinions à difcuter font heureufement plus curieufes qu'utiles. Qu'importe après tout pour le progrès d'un art, que fon inventeur ait eu nom Esope, Héfiode, Archiloque, &c ? l'auteur n'eft pour nous qu'un mot; & Pope a très-bien obfervé que cette exiftence idéale qui divife en fectes les vivants fur les qualités perfonnelles des morts, fe réduit à quatre ou cinq lettres.

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On a fait confifter l'artifice de la Fable à citer les hommes au tribunal des animaux; c'eft comme fi on prétendoit en général que la Comédie citât les fpectateurs au tribunal de fes perfonnages, les hypocrites au tribunal de Tartufle, les avares au tribunal d'Harpagon, &c. Dans l'Apologue, les animaux font quelquefois les précepteurs des hommes; La Fontaine l'a dit: mais ce n'eft que dans le cas où ils font repréfentés meilleurs & plus fages que nous.

Dans le difcours que La Motte a mis à la tête de fes Fables, il démêle en philofophe l'artifice caché dans ce genre de fiction: il en a bien vu le principe & la fin; les moyens feuls lui ont échapé. Il traite, en bon critique, de la jufteffe & de l'unité de l'Allégorie, de la vraifeinblance des mœurs & des caractères, du choix de la moralité & des images qui l'envelopent: mais toutes ces qualités réunies ne font qu'une Fable régulière; & un poème qui n'eft que régulier, eft bien loin d'être un bon poème.

C'eft peu que dans la Fable une vérité utile & peu commune fe déguife fous le voile d'une Allégorie ingénieufe; que cette Allégorie, par la jufteffe & l'unité de fes rapports, conduife directement au fens moral qu'elle fe propofe; que les perfonnages qu'on y emploie rempliffent l'idée qu'on a d'eux. La Motte a obfervé toutes ces règles dans quelques-unes de fes Fables; il reproche avec raifon à La Fontaine de les avoir négligées dans quelques-unes des fiennes. D'où vient donc que les plus défectueufes de La Fontaine ont un charme & un intérêt, que n'ont pas les plus

régulières de La Motte?

Ce charme & cet intérêt prennent leur fource, non feulement dans le tour naturel & facile des vers, dans le coloris de l'imagination, dans le contrafte & la vérité des caractères, dans la jufteffe & la précifion du dialogue, dans la variété, la force, & la rapidité des peintures, en un mot, dans le génie poétique, don précieux & rare auquel tout l'excellent efprit de La Motte n'a jamais pu fuppléer; mais encore dans la naïveté du récit & du ftyle, caractère dominant du génie de La Fon

taine.

On a dit: Le ftyle de la Fable doit être fimple, familier, riant, gracieux, naturel, & même naif. Il falloit dire, & furtout naïf.

Effayons de rendre fenfible l'idée que nous attachons à ce mot Naïveté, qu'on a fi fouvent employé fans l'entendre.

La Motte diftingue le naïf du naturel; mais il fait confifter le naif dans l'expreffion fidèle & non réfléchie de ce qu'on fent; & d'après cette idée vague, il appelle naif le qu'il mourût du vieil Horace. Il nous femble qu'il faut aller plus loin, pour trouver le vrai caractère de naïveté qui eft effenciel & propre à la Fable.

La vérité de caractère a plufieurs nuances qui la diftinguent d'elle-même : ou elle obferve les GRAMM. ET LITTÉRAT, Tome II.

ménagements qu'on fe doit & qu'on doit aux autres; & on l'appelle fincérité: ou elle franchit, dès qu'on la preffe, la barrière des égards; & on la nomme franchife: ou elle n'attend pas même, pour le montrer à découvert, que les circonftances l'y engagent & que les décences l'y autorifent; & elle devient imprudence, indifcrétion, témérité, fuivant qu'elle eft plus ou moins offenfante ou dangereufe. Si elle découle de l'ame par un penchant naturel & non réfléchi; elle eft fimplicité; fi la fimplicité prend fa fource dans cette pureté de mœurs qui n'a rien à diffimuler ni à feindre; elle eft candeur: fi à la candeur fe joint une innocence peu éclairée, qui croit que tout ce qui eft naturel eft bien; c'eft ingénuité: fi l'ingénuité fe caractérise par des traits qu'on auroit eu foimême intérêt à déguifer, & qui nous donnent quelque avantage fur celui auquel ils échapent; on la nomme naïveté ou ingénuité naïve. Ainfi, la fimplicité ingénue eft un caractère abfolu & indépendant des circonftances; au lieu que la naïveté eft relative.

Hors les puces qui m'ont la nuit inquiétée,

ne feroit dans Agnès qu'un trait de fimplicité, f elle parloit à fes compagnes.

Jamais je ne m'ennuie,

ne feroit qu'ingénu, fi elle ne faifoit pas cet aveu à un homme qui doit s'en offenfer. Il en eft de même de

L'argent qu'en ont reçu notre Alain & Georgette, &c.

:

Par conséquent, ce qui eft compatible avec le caratère naïf dans tel temps, dans tel ficu, dans tel état, ne le feroit pas dans tel autre. Georgette eft naïve autrement qu'Agnès; Agnès autrement que ne doit l'être une jeune fille élevée à la Cour ou dans le monde celle-ci peut dire & penfer ingénument des chofes que l'éducation lui a rendues familières, & qui paroitroient réfléchics & recher chées dans la première. Ainfi, la naïveté eft fufceptible de tous les tons: Joas eft naïf dans fa fcène avec Athalie, mais d'une naïveté noble qui fait frémir pour les jours de ce précieux enfant ; & lorfque M. de Fontenelle a dit que le naïf étoit une nuance du bas, il a prouvé qu'il n'avoit pas le fentiment de la naïveté. Cela pofé voyons ce qui conftitue la naïveté dans la Fable, & l'effet qu'elle y produit.

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La Motte a obfervé que le fuccès constant & univerfel de la Fable, venoit de ce que l'Allégorie y ménageoi: & flattoit l'amour propre rien n'eft plus vrai ni mieux fenti; mais cet art de ménager & de fatter l'amour propre, au lieu de le bleffer, n'eft autre chofe que l'Eloquence naïve, l'Eloquence d'Efope chez les anciens, & de La Fontaine chez les modernes.

I

De toutes les prétentions des hommes, la plus générale & la plus décidée regarde la fageffe & les mœurs rien n'eft donc plus capable de les indifpofer, que des préceptes de Morale & de fageffe préfentés directement. Nous ne parlons point de la Satyre: le fuccès en eft affuré; fi elle en bleffe un, elle en flatte mille: nous parlons d'une Philofophie févère, mais honnête, fans amertume & fans poifon, qui n'infulte perfonne, & qui s'adreffe à tous c'eft précisement de celle-là qu'on s'offenfe. Les poètes l'ont déguifée au Théâtre & dans l'Épopée fous l'Allégorie d'une action, & ce ménagement l'a fait recevoir fans révolte. Mais toute vérité ne peut pas avoir au Théâtre fon tableau particulier; chaque pièce ne peut aboutir qu'à une moralité principale; & les traits acceffoires répandus dans le cours de l'action, paflent trop rapidement pour ne pas s'effacer l'un l'autre : l'intérêt même les abforbe, & ne nous laiffe pas la liberté d'y réfléchir. D'ailleurs l'inftruction théâtrale exige un appareil qui n'eft ni de tous les lieux ni de tous les temps; c'eft un miroir public qu'on n'élève qu'à grands frais & à force de machines: il en eft à peu près de même de l'Épopée. On a donc voulu nous donner des glaces portatives, aufli fidèles & plus commodes, où chaque vérité ifolée eût fon image diftincte ; & de là l'invention des petits Poèmes allégoriques.

Dans ces tableaux, on pouvoit nous peindre à nos yeux fous trois fymboles différents: ou fous les traits de nos femblables, comme dans la Fable du favetier & du financier, dans celle du berger & du roi, dans celle du meunier & de fon fils, &c; ou fous le nom des êtres furnaturels & allégoriques, comme dans la Fable d'Apollon & Borée, dans celle de la Difcorde, dans les contes orientaux, & dans nos contes de fées; ou fous la figure des animaux & des êtres matériels, que le poète fait agir & parler à notre manière: c'eft le genre le plus étendu, & peut-être le feul vrai genre de la Fable, par la raifon même qu'il eft le plus dépourvu de vraisemblance à notre égard.

Il s'agit de ménager la répugnance que chacun fent à être corrigé par fon égal. On s'aprivoife aux leçons des morts, parce qu'on n'a rien à déméler avec eux, & qu'ils ne fe prévaudront jamais de l'avantage qu'on leur donne: on fe plie même aux maximes outrées des fanatiques & des enthoufiaftes, parce que l'imagination étonnée ou éblouie en fait une efpèce d'hommes à part. Mais le fage, qui vit fimplement & familièrement avec nous, & qui fans chaleur & fans violence ne nous parle que le langage de la vérité & de la vertu, nous laiffe toutes nos prétentions à l'égalité : c'eft donc à lui à nous perfuader, par une illufion paffagère, qu'il eft, non pas au deffus de nous (il y auroit de l'imprudence à le tenter), mais au contraire fi fort au deffous, qu'on ne daigne pas même fe piquer d'émulation à fon égard, & qu'on reçoive les vérités qui semblent lui échaper,

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Si cette obfervation eft fondée, voilà le preftige de la Fable rendu fenfible, & l'art réduit à un point déterminé: or nous allons voir que tout ce qui concourt à nous perfuader la fimplicité & la crédulité du poète, rend la Fable plus intéreffante; au lieu que tout ce qui nous fait douter de la bonne foi de fon récit, en affoiblit l'intérêt.

Quintilien penfoit que les Fables avoient furtout du pouvoir fur les efprits bruts & ignorants; il parloit fans doute des Fables où la vérité fe cache fous une envelope groflière: mais le goût, le fentiment, & les graces que La Fontaine y a répandus, en ont fait la nourriture & les délices des cfprits les plus délicats, les plus cultivés, & les plus profonds.

Or l'intérêt qu'ils y prennent, n'eft certainement pas le vain plaifir d'en pénétrer le fens: la beauté de cette Allégorie eft d'etre fimple & transparente, & il n'y a gueres que les fots qui puiflent s'aplaudir d'en avoir perce le voile.

Le mérite de prévoir la moralité que La Motte veut qu'on ménage aux lecteurs, parmi lesquels il compte les fages eux-mêmes, fe réduit done à bien peu de chofe auffi La Fontaine, à l'exemple des anciens, ne s'eft-il guères mis en peine de la donner à deviner; il l'a placée tantôt au commencement, tantôt à la fin de la Fable: ce qui ne lui auroit pas été indifferent, s'il eût regardé la Fable comme une Enigme.

Quelle est donc l'efpèce d'illufion qui rend la Fable fi féduifante on croit entendre un homme affez fimple & affez crédule, pour répéter féricufement les contes puérils qu'on lui a faits; & c'est dans cet air de bonne foi que confifte la naïveté du récit & du ftyle.

On reconnoît la bonne foi d'un hiftorien à l'attention qu'il a de faifir & de marquer les circonftances, aux réflexions qu'il y mêle, à l'Eloquence qu'il emploie à exprimer ce qu'il fent; c'est là furtout ce qui met La Fontaine au deffus de fes modèles. Éfope raconte fimplement, mais en peu de mots; il femble répéter fidèlement ce qu'on lui a dit: Phèdre y met plus de délicateffe & d'élégance, mais aufli moins de vérité. On croiroit en effet que rien ne dût mieux caractériser la naïveté, qu'un style dénué d'ornements; cependant La Fontaine a répandu dans le fien tous les trésors de la Poéfie, & il n'en eft que plus naïf : ces couleurs fi variées & fi brillantes font elles-mêmes les traits dont la nature fe peint, dans les écrits de ce poète, avec une fimplicité merveilleufe. Ce preftige de l'art paroît d'abord inconcevable; mais dès qu'on remonte à la cause, on n'eft plus furpris de l'effet.

Non feulement La Fontaine a oui dire ce qu'il raconte, mais il l'a vu, il croit le voir encore.

Ce n'eft pas un poète qui imagine, ce n'eft pas un conteur qui plaifante; c'eft un témoin préfent à l'action, & qui veut vous y rendre préfent vousmême fon érudition, fon Eloquence, fa Philofophie, fa Politique, tout ce qu'il a d'imagination, de mémoire, & de fentiment, il met tout en œuvre de la meilleure foi du monde pour vous perfuader; & ce font tous ces efforts, c'eft le férieux avec lequel il mêle les plus grandes chofes avec les plus petites, c'eft l'importance qu'il attache à des jeux d'enfants, c'eft l'intérêt qu'il prend pour un lapin & une belette, qui font qu'on eft tenté de s'écrier à chaque inftant, Le bon homme! On le difoit de lui dans la fociété; fon caractère n'a fait que paffer dans fes Fables. C'eft du fond de ce caractère que font émanés ces tours fi nturels, ces expreflions fi naives, ces images fi fidèles; & quand La Motte a dit, du fond de fa cervelle un trait naïf s'arrache, ce n'eft certainement pas le travail de La Fontaine qu'il a peint.

S'il raconte la des vautours, guerre fon génie s'élève. Il plut du fang; cette image lui paroît encore foible: il ajoûte, pour exprimer la dépopulation;

Et fur fon roc Prométhée espéra

De voir bientôt une fin à fa peine.

La querelle des deux coqs pour une poule lui rappelle ce que l'amour a produit de plus fu

nefte :

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:

Ce n'est jamais la qualité des perfonnages qui le décide. Jupiter n'eft qu'un homme dans les chofes familières; le moucheron eft un héros, lorfqu'il combat le lion rien de plus philofophique, & en même temps rien de plus naïf, que ces contraftes. La Fontaine eft peut-être celui de tous les poètes qui paffe d'un extrême à l'autre avec le plus de juftefle & de rapidité. La Motte a pris ces paffages pour de la gaieté philofophique, & il les regarde comme une fource du riant: mais La Fontaine n'a pas deffein que l'on s'égaye à rapprocher le grand du petit; il veut que l'on penfe au contraire, que le férieux qu'il met aux petites chofes, les lui fait méler & confondre de bonne foi avec les grandes ; & il réuffit en effet à produire cette illufion par là fon style ne se foutient jamais, ni dans le familier, ni dans l'héroïque. Si fes réflexions & fes peintures l'emportent vers l'un, fes fujets le ramènent à l'autre, & toujours fi à propos, que le lecteur n'a pas le temps de défirer qu'il prenne l'effor ou qu'il fe modère en lui chaque idée réveille foudain l'image & le fentiment qui lui eft propre ; on le voit dans fes peintures, dans fon dialogue, dans fes harangues. Qu'on life, pour les peintures, la Fable d'Apollon & de Borée, celle du chêne & du rofeau; pour le dialogue, celle de la mouche & de la fourmi, celle des compagnons d'Ulyffe; pour les monologues & les harangues, celle du loup & des bergers, celle du berger & du roi, celle de l'homme & de la couleuvre : modèles à la fois de Philofophie & de Poéfie. On a dit fouvent que l'une nuifoit à l'autre; qu'on nous cite, ou parmi les anciens ou parmi les modernes, quelque poète plus riant, plus fécond, plus varié, plus gracieux, & plus fublime, quelque philofophe plus profond & plus fage.

:

Mais ni fa Philofophie ni fa Poéfie ne nuifent à fa naïveté au contraire, plus il met de l'une & de l'autre dans fes récits, dans fes réflexions, dans fes peintures, plus il femble perfuadé, pénétré de ce qu'il raconte, & plus par conféquent il nous paroît fimple & crédule.

Le premier foin du fabulifte doit donc être de paroître perfuadé; le fecond, de rendre fa perfuafion amufante; le troifième, de rendre cet amufement utile.

Pueris dant cruftula blandi

Dodores, elementa velint ut difcere prima. Horat.

Nous venons de voir de quel artifice La Fontaine s'eft fervi pour paroître perfuadé; & nous n'avons plus que quelques réflexions à ajouter fur ce qui détruit ou favorife cette espèce d'illusion.

Tous les caractères d'efprit fe concilient avec la naïveté, hors l'affectation & l'air de la finesse. D'où vient que Janot Lapin, Robin Mouton, Carpillon Fretin, la Gent Trote- Menu, &c, out tant de grâce & de naturel? d'où vient que dom Jugement, dame Mémoire, & demoiselle Imagination, quoique très-bien caractérisés, font fi déplacés dans la Fable? Ceux-là font du bon homme; ceux-ci de l'homme d'efprit.

On peut fuppofer tel pays ou tel fiècle, dans lequel ces figures fe concilieroient avec la naiveté : par exemple, fi on avoit élevé des autels au jugement, à l'imagination, à la mémoire, comme à la paix, à la fageffe, à la juftice, &c; les attributs de ces divinités feroient des idées populaires, & il n'y auroit aucune fineffe, aucune affectation à dire, le dieu Jugement, la déeffe Mémoire, la nymphe Imagination: mais le premier qui s'avife de réalifer, de caractériser ces abstractions par des épithètes recherchées, paroît trop fin pour être naïf. Qu'on réfléchiffe à ces dénominations, dom, dame, demoiselle; il eft certain que la première peint la lenteur, la gravité, le recueillement, la méditation, qui caractérisent le jugement; que la feconde exprime la pompe, le fafte, & l'orgueil, qu'aime à étaler la mémoire; que la troifième réunit en un feul mot la vivacité, la légèreté, le coloris, les grâces, & fi l'on veut le caprice & les écarts de l'imagination. Or peut-on fe perfuader que ce foit un homme naïf, qui le premier ait vu & fenti ces rapports & ces nuances?

Si La Fontaine emploie des perfonnages allégoriques, ce n'eft pas lui qui les invente: on eft déja familiarifé avec eux; la fortune, la mort, le temps, tout cela eft reçu. Si quelquefois il en introduit de fa façon, c'eft toujours en homme fimple; c'est que-fi-que-non, frère de la Difcorde ; c'eft iien&-mien, fon père, &c.

La Motte au contraire met toute la fineffe qu'il peut à perfonnifier des êtres moraux & métaphyfiques: Perfonnifions, dit-il, les vertus & les vices; animons, felon nos befoins, tous les étres & d'après cette licence, il introduit la vertu, le talent, & la réputation, pour faire faire à celle-ci un jeu de mots à la fin de la Fable. C'est encore pis, lorsque l'ignorance, grosse d'enfant, accouche, d'admiration, de demoifelle opinion, & qu'on fait venir l'orgueil & la pareffe pour nommer l'enfant, qu'ils appellent la vérité. La Motte a beau dire qu'il fe trace un nouveau chemin; ce chemin l'éloigne du but.

Encore une fois, le poète doit jouer dans la Fable le rôle d'un homine fimple & crédule; & celui qui perfonnifie des abstractions métaphyfiques*

avec tant de fubtilité, n'eft pas le même qui nous dit férieufement que Jean Lapin, plaidant contre dame Belette, allégua la coutume & l'ufage.

Mais comme la crédulité du poète n'eft jamais plus naïve, ni par conféquent plus amufante, que dans des fujets dépourvus de vraisemblance à notre égard, ces fujets vont beaucoup plus droit au but de l'Apologue, que ceux qui font naturels & dans l'ordre des peilibles. La Motte, après avoir dit,

Nous pouvons, s'il nous plaît, donner pour véritables Les chimères des temps paflés;

ajoûte,

Mais quoi! des vérités modernes

Ne pouvons-nous ufer auffi dans nos befoins? Qui peut le plus, ne peut-il pas le moins? Ce raifonnement du plus au moins n'eft pas concevable dans un homme qui avoit l'efprit jufte, & qui avoit long temps réfléchi fur la nature de P'Apologue. La Fable des deux amis, le payfan du Danube, Philémon & Baucis, ont leur charme & leur intérêt particulier: mais qu'on y prenne garde, ce n'eft là ni le charme ni l'intérêt de l'Apologue; ce n'eft point ce doux fourire, cette complaifance intérieure qu'excitent en nous Janot Lapin, la mouche du coche, &c. Dans les premières, la fimplicité du poète n'eft qu'ingénieufe, & n'a rien de ridicule dans les dernières, elle est naïve & nous amufe à fes dépens. C'eft ce qui nous a fait avancer au commencement de cet article, que les Fables, où les animaux, les plantes, les êtres inanimés, parlent & agillent à notre manière, font peut-être les feules qui méritent le nom de Fables.

Ce n'eft pas que dans ces fujets même il n'y ait une forte de vraisemblance à garder, mais elle est relative au poète. Son caractère de naïveté une fois établi, nous devons trouver poffible qu'il ajoûte foi à ce qu'il raconte : & de là vient la règle de fuivre les mœurs ou réelles ou fuppofées. Son deffein n'eft pas de nous perfuader que le lion, l'âne, & le renard ont parlé, mais d'en paroître perfuadé lui-même; & pour cela il faut qu'il obferve les convenances, c'est à dire, qu'il faffe parler & agir le lion, l'âne, & le renard chacun fuivant le caractère & les intérêts qu'il eft fuppofé leur attribuer : ainfi, la règle de fuivre les mœurs dans la Fable, eft une fuite de ce principe, que tout doit y concourir à nous perfuader la crédulité du poète. La Fontaine a quelquefois lui-même oublié cette règle, comme dans la Fable du lion, de la chèvre, & de la geniffe. Mais il faut que la crédulité du conteur foit amufante, & c'est encore un des points où La Motte s'eft trompé on voit que dans fes Fables il

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