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qui entretient les efprits dans une difpofition vicieuse, incompatible avec l'amour du vrai, & par conséquent nuifible au progrès des sciences.

Je ne voudrois donc que peu ou point de thèses: j'aimerois mieux des examens fréquents fur les divers traités qu'on fait apprendre; examens réitérés, par exemple, tous les trois mois, avec l'attention de répéter dans les derniers ce qu'on auroit vu dans les précédents ce feroit un moyen plus efficace que les thèfes, pour tenir les écoliers en haleine, & pour prévenir leur négligence. En effet, les thèses ne venant que de temps à autre, quelquefois au bout de plufieurs années, il n'eft pas rare qu'on s'endorme fur fon Etude, & cela parce qu'on ne voit rien qui preffe: on fe promet toude travailler dans la fuite; mais comme on jours n'eft pas preffé & que l'on voit encore bien du temps devant foi, la pareffe le plus fouvent l'emporte; infenfiblement le temps coule, la tâche augmente, & à la fin on fe tire comme on peut.

Les examens fréquents dont je viens de parler ferviroient à réveiller les jeunes gens. Ce feroit là comme le prélude des examens généraux & décififs que l'on fait fubir aux candidats, & qui font toujours plus redoutables pour eux que l'épreuve des thèfes. Au furplus, il conviendroit, pour le bien de la chofe & pour ne point déconcerter les fujets mal à propos, de s'en tenir aux traités actuels dont on feroit l'objet de leurs Études, de les examiner fur cela feul & le livre à la main, fans chercher des difficultés éloignées non contenues dans l'ouvrage dont il s'agit. Que ces traités fuffent bien complets & bien travaillés, comme on le fuppofe, ils contiendroient tout ce que l'on peut fouhaiter fur chaque matière; & c'eft pourquoi un élève poffédant bien fon livre, & répondant deffus pertinemment, devroit toujours être cenfé capable, & comme tel admis fans difficulté.

Il règne fur cela un abus bien digne de réforme. Un examinateur, à tort & à travers, propofe des queftions inutiles, des difficultés de caprice, que l'Etudiant n'a jamais vues & fur lefquelles on le met aifément en défaut. Ce qu'il y a de plus fâcheux encore & de plus affligeant, c'eft que les hommes n'eftimant d'ordinaire que leurs propres opinions, & traitant prefque tout le refte d'ignorance ou d'abfurdité, l'examinateur rapporte tout à fa manière de penfer; il en fait en quelque forte un premier principe & la commune mesure de la doctrine & du mérite. Malheur au répondant qui a fucé des opinions contraires; fouvent avec bien de l'Étude & du talent, il ne viendra pas bout de contenter fon juge. On fait que Newton & Nicole s'étant préfentés à l'examen, furent tous les deux refufés; & cela, chacun dans un genre où il égaloit dès lors ce qu'il y avoit de plus célèbre en Europe.

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Il vaut donc mieux qu'un difciple ait fa tâche connue & déterminée, & que rempliffant cette

tâche, il puiffe être tranquille & sûr du fuccès avantage qu'on n'a pas à préfent.

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Quoi qu'il en foit, ceux qui dans l'éducation propofée quitteroient leurs Etudes vers l'âge de quatorze ans, ne fe trouveroient pas, comme aujourdhui, dans un vide affreux de toutes les connoiffances qui peuvent former d'utiles citoyens : ils feroient dès lors au fait de l'Écriture & du Calcul, de la Géographie & de l'Hiftoire, &c. A l'égard du latin, ils entendroient fuffifamment les auteurs claffiques; & les traductions perpétuelles qu'ils auroient faites de vive voix & par écrit pendant bien des années, leur auroient déja donné du ftyle & du goût pour écrire en françois. D'ailleurs, ils connoitroient, par une fréquente lecture, nos hiftoriens & nos poètes; & ils auroient même, pour la plupart, une heureufe habitude de réflexion & de raifonnement, capable de leur donner une entrée facile aux langues étrangères & aux fciences les plus relevées. Ainfi, quand ils n'auroient pas beaucoup d'acquis pour la compofition latine, ils ne laifferoient pas d'en être au point où doivent être des enfants deftinés à des emplois difficiles: au lieu que dans l'éducation préfente, fi l'on ne réuffit pas dans les thêmes & les vers, on ne réuffit dans rien; & dès là, quelque génie qu'on ait d'ailleurs, on paffe le plus fouvent pour un fujet inepte, ce qui peut influer fur le refte de la

vie.

A l'égard de ceux qui fuivroient jufqu'au bout le nouveau plan d'éducation, il eft vifible qu'ils feroient de bonne heure au point de capacité néceffaire pour être admis enfuite parmi les gens polis & lettres, puifqu'à l'âge de dix-fept ou dixhuit ans, ils auroient, outre les étymologies grèques, une profonde intelligence du latin & beaucoup de facilité pour la compofition françoife; ils auroient de plus lÉcriture élégante, & l'Arithmétique, la Géométrie, le Deffin, & la Philofophie, Le tout joint à un grand ufage de notre Littérature. Les gens qui brillent le plus de nos jours avoientils plus d'acquis à pareil âge? Combien d'illuftres au contraire qui font parvenus plus tard à ce néceffaire honnête & fuffifant, malgré l'application conftante qu'ils ont donnée à leurs Etudes!

Quel peut donc enfin & quel doit être le but de la réforme propofée ? C'eft de rendre facile & peu couteufe, non feulement la Littérature latine & françoife, mais encore plufieurs autres exercices autant ou plus utiles, & qu'il eft prefque impoffible de lier avec la pratique ordinaire; c'eft d'éviter aux parents la perte afligeante de ce que leur coute une éducation manquée; & c'eft enfin d'épargner aux enfants les châtiments & le dégoût, qui font prefque inféparables de l'inftitution vulgaire.

Du refte, je l'ai dit ci-devant & je crois pouvoir le répéter ici, l'éducation doit être l'appren tiffage de ce qu'il faut favoir & pratiquer dans le commerce de la fociété. Qu'on juge à préfent de l'éducation commune; & qu'on nous dife fi les

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enfants, au fortir du collège, ont les notions raifonnables que doit avoir un homme inftruit & lettré. Qu'on faffe attention, d'autre part, que des enfants amenés, comme on l'a dit, au point d'entendre aifément Cicéron, Virgile, & Tribonien, & de les traduire avec une forte de goût; au point de pofféder, par une lecture affidue, les auteurs qui ont le mieux écrit en notre langue, & de manier avec facilité le Calcul, le Deffin, l'Écriture &c; que ces enfants, dis-je, auroient alors une aptitude générale à tous les emplois, & qu'ils pourroient choifir par conféquent, dans les diverfes profeffions, ce qui s'accorderoit le mieux à leurs intérêts ou à leurs penchants.

Un autre avantage important, c'eft qu'on épargneroit, par cette voie, plufieurs années à la Jeuneffe; attendu que les fujets, toutes chofes égales, feroient alors plus formés & plus capables à quinze & feize ans, qu'ils ne fauroient l'être à vingt par l'inftitution latine ufitée de nos jours.

Je ne puis diffimuler mon étonnement de ce que tant d'Académies que nous avons dans le royaume, au lieu d'examiner les divers projets d'éducation, & d'expofer enfuite au Public ce qu'il y a fur cela de plus exact & de plus vrai, laiffent à de fimples particuliers le foin d'un pareil examen, & ne prennent pas la moindre part à une question littéraire qui reflortit à leur tribunal.

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Ce feroit ici le lieu d'entrer dans quelque détail fur les inftructions & les Études relatives aux mœurs; mais cet article, qui feroit long, convient qu'à un traité complet fur l'éducation; & ce n'eft pas de quoi il s'agit à préfent: nous en pourrons dire quelque chofe dans la fuitè, en parlant des mœurs. Du refte, nous avons là-deffus un ouvrage de M. de Saint-Pierre, que je crois fort fupérieur à tout ce qui s'eft écrit dans le même genre; il eft intitulé, Projet pour perfectionner Péducation: je ne puis mieux faire que d'y renvoyer les lecteurs. Pajoûterai feulement la citation fuivante.

« Les légiflateurs de Lacédémone & de la Chine ont prefque été les feuls, qui n'ayent pas cru devoir fe repofer, fur l'ignorance des pères ou des maîtres, d'un foin qui leur a paru l'objet le plus important du pouvoir législatif. Ils ont fixé dans leurs lois le plan d'une éducation détaillée, qui pût inftruire à fond les particuliers fur ce qui faifoit ici - bas leur bonheur; & ils ont executé ce que, dans la théorie même, on croit encore impoffible, la formation d'un peuple philofophe. L'Hiftoire ne nous permet point de douter que ces deux États n'ayent été très-féconds en hommes vertueux. (M. FAIGUET).

(N.) ÉTUDIER, APPRENDRE. Synonymes. Etudier, c'eft uniquement travailler à devenir favant. Apprendre, c'eft y travailler avec fuccès.

On étudie pour apprendre, & l'on apprend à force d'étudier.

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Plus on apprend, plus on fait; & quelquefois plus on étudie, moins on fait.

C'eft avoir bien étudié que d'avoir appris à douter. Il y a certaines chofes qu'on apprend fans les étudiér; il y en a d'autres qu'on étudie fans les apprendre.

Les plus favants ne font pas ceux qui ont le plus étudié, mais ceux qui ont le plus appris.

On voit des perfonnes étudier continuellement fans rien apprendre, & d'autres tout apprendre fans rien étudier.

Le temps de la jeuneffe eft le temps d'étudier: mais ce n'eft que dans un âge plus avancé qu'on apprend véritablement ; car il faut que l'efprit foit formé pour digérer ce que le travail a mis dans la mémoire. (L'abbé GIRARD.)

ÉTYMOLOGIE, f. f. Littérature. C'eft l'origine d'un mot. Le mot dont vient un autre mot s'appelle primitif, & celui qui vient du primitif s'appelle dérivé. On donne quelquefois au primitif même le nom d'Etymologie; ainfi, l'on dit que pater eft l'Etymologie de père.

Les mots n'ont point avec ce qu'ils expriment un rapport néceffaire; ce n'eft pas même en vertu d'une convention formelle & fixée invariablement entre les hommes, que certains fons réveillent dans notre efprit certaines idées. Cette liaison eft l'effet d'une habitude formée dans l'enfance à force d'entendre répéter les mêmes fons dans des circonftances à peu près femblables: elle s'établit dans l'efprit des peuples, fans qu'ils y penfent; elle peut s'effacer par l'effet d'une autre habitude qui fe formera auffi fourdement & par les mêmes moyens. Les circonftances dont la répétition a déterminé dans l'efprit de chaque individu le fens d'un mot, ne font jamais exactement les mêmes pour deux hommes; elles font encore plus différentes pour deux générations. Ainfi, à confidérer une langue indépendamment de fes rapports avec les autres langues, elle a dans elle-même un principe de variation. La prononciation s'altère en paffant des pères aux enfants; les acceptions des termes fe multiplient, fe remplacent les unes les autres; de nouvelles idées viennent accroître les richeffes de l'efprit humain: il faut détourner la fignification primitive des mots par des métaphores; la fixer à certains points de vue particuliers, par des inflexions grammaticales; réunir plufieurs mots anciens, pour exprimer les nouvelles combinaifons d'idées. Ces fortes de mots n'entrent pas toujours dans l'ufage ordinaire pour les comprendre, il est néceffaire de les analyfer, de remonter des compofés ou dérivés aux mots fimples ou radicaux,

& des acceptions métaphoriques au fens primitif. Les grecs, qui ne connoiffoient guères que leur langue, & dont la langue, par l'abondance de fes inflexions grammaticales & par fa facilité à compofer des mots, fe prétoit à tous les befoins de leur génie, fe livrèrent de bonne heure à ce genre de recherches, & lui donnèrent le nom d'Etymologie, c'eft à dire, connoiffance du vrai fens des mots; car ἔτυμον τῆς λεξέως fignife le vrai fens d'un mot, d'etups, vrai. ἔτυμος,

on

Lorfque les latins étudièrent leur langue, à l'exemple des grecs, ils s'apperçurent bientôt qu'ils la devoient prefque toute entière à ceux-ci. Le travail ne fe borna plus à analyfer les mots d'une feule langue, à remonter du dérivé à fa racine; on apprit à chercher les origines de fa langue dans des langues plus anciennes, à décompofer, non plus les mots, mais les langues : les vit fe fuccéder & fe méler, comme les peuples qui les parlent. Les recherches s'étendirent dans un champ immenfe ; mais quoiqu'elles devinffent indifférentes pour la connoiffance du vrai fens des mots, on garda l'ancien nom d'Étymologie. Aujourdhui les favants donnent ce nom à toutes les recherches fur l'origine des mots; c'eft dans ce fens que nous l'emploierons dans cet article.

L'Hiftoire nous a tranfmis quelques Etymologies, comme celles des noms des villes ou des lieux auxquels les fondateurs ou les navigateurs ont donné, foit leur propre nom, foit quelque autre relatif aux circonftances de la fondation ou de la découverte. A la réferve du petit nombre d'Etymologies de ce genre, qu'on peut regarder comme certaines, & dont la certitude purement teftimoniale ne dépend pas des règles de l'art étymologique, l'origine d'un mot eft en général un fait a deviner, un fait ignoré, auquel on ne peut arriver que par des conjectures en partant de quelques faits connus. Le mot eft donné; il faut chercher, dans l'immenfe variété des langues, les différents mots dont il peut tirer fon origine. La reffemblance du fon, l'analogie du fens, l'Hiftoire des peuples qui ont fucceffivement occupé la même contrée ou qui y ont entretenu un grand commerce, font les premières lueurs qu'on fuit: on trouve enfin un mot affez femblable à celui dont on cherche l'Etymologie. Ce n'eft encore qu'une fuppofition qui peut être vraie ou fauffe : pour s'affûrer de la vérité, on examine plus attentivement cette reffemblance; on fuit les altérations graduelles qui ont conduit fucceffivement du primitif au dérivé; on pèfe le plus ou le moins de facilité du changement de certaines lettres en d'autres; on difcute les rapports entre les concepts de l'efprit & les analogies délicates qui ont pu guider les hommes dans l'application d'un même fon à des idées très-différentes; on compare le mot à toutes les circonstances de l'énigme fouvent il ne foutient pas cette épreuve, & on en cherche un autre ; quelquefois (& c'eft la pierre de tou

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che des Etymologies comme de toutes les vérités de fait toutes les circonftances s'accordent parfaitement avec la fuppofition qu'on a faite; l'accord de chacune en particulier forme une probabilité; cette probabilité augmente dans une progreffion rapide, à mefure qu'il s'y joint de nouvelles vraisemblances; & bientôt, par l'appui mutuel que celles-ci fe prêtent, la fuppofition n'en eft plus une & acquiert la certitude d'un fait. La force de chaque vraisemblance en particulier, & leur réunion, font donc l'unique principe de la certitude des Étymologies comme de tout autre fait, & le fondement de la diftinction entre les Etymologies poffibles, probables, & certaines. Il fuit de la que l'art étymologique eft, comme tout art conjectural, compofé de deux parties, l'art de former les conjectures ou les fuppofitions, & l'art de les vérifier; ou, en d'autres termes, l'invention & la critique les fources de la première, les règles de la feconde, font la divifion naturelle de cet article; car nous n'y comprendrons point les recherches qu'on peut faire fur les caufes primitives de l'inftitution des mots, fur l'origine & les progrès du langage, fur les rapports des mots avec l'organe qui les prononce & les idées qu'ils expriment. La connoiffance philofophique des langues eft une science très-vafte, une mine riche de vérités nouvelles & intéreffantes. Les Étymologics ne font que des faits particuliers, fur lefquels elle appuie quelquefois des principes généraux; ceuxci, à la vérité, rendent à leur tour la recherche des Etymologies plus facile & plus sûre mais fi cet article devoit renfermer tout ce qui peut fournir aux étymologiftes des conjectures ou des moyens de les vérifier, il faudroit qu'il traitât de toutes les fciences. Nous renvoyons donc fur ces matières aux articles GRAMMAIRE, LANGUE, MÉTAPHORE, ONOMATOPÉE, &c. Nous ajoûterons feulement, fur l'utilité des recherches étymologiques, quelques réflexions propres à défabufer du mépris que quelques perfonnes affectent pour ce genre d'étude.

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Sources des conjectures étymologiques. En matière d'Etymologie, comme en toute autre matière, l'invention n'a point de règles bien déterminées. Dans les recherches où les objets fe préfentent à nous, où il ne faut que regarder & voir, dans celles auffi qu'on peut foumettre à la rigueur des démonftrations, il eft poffible de preferire à l'efprit une marche invariable qui le mène sûrement à la vérité mais toutes les fois qu'on ne s'en tient pas à obferver fimplement ou à déduire des conféquences de principes connus, il faut deviner; c'eft à dire, qu'il faut, dans le champ immenfe des fuppofitions poffibles, en faifir une au hafard, puis une feconde, & plufieurs fucceffivement, jufqu'à ce qu'on ait rencontré l'unique vraie. C'eft ce qui feroit impoflible, fi la gradation qui fe trouve dans la liaifon de tous les êtres, & la loi de continuité généralement obfervée dans la nature,

n'établiffoient, entre certains faits & un certain ordre d'autres faits propres à leur fervir de causes, une efpèce de voisinage qui diminue beaucoup l'embarras du choix, en préfentant à l'efprit une étendue moins vague & en le ramenant d'abord du poffible au vraisemblable; l'analogie lui trace des routes où il marche d'un pas plus sûr: des causes déja connues indiquent des caufes femblables pour des effets femblables. Ainfi, une mémoire vafte & remplie, autant qu'il eft poffible, de toutes les connoiffances relatives à l'objet dont on s'occupe, un efprit exercé à obferver, dans tous les changements qui le frappent, l'enchaînement des effets & des caufes, & à en tirer des analogies; furtout l'habitude de fe livrer à la méditation, ou, pour mieux dire peut-être, à cette rêverie nonchalante dans laquelle Pame femble renoncer au droit d'appeler fes penfées, pour les voir en quelque forte paller toutes devant elle, & pour contempler, dans cette confufion apparente, une foule de tableaux & d'affemblages inattendus produits par la fluctuation rapide des idées, que des liens auffi imperceptibles que multipliés amènent à la fuite les unes des autres; voilà, non les règles de l'invention, mais les difpofitions néceffaires à quiconque veut inventer, dans quelque genre que ce foit; & nous n'avons plus ici qu'à en faire l'application aux recherches étymologiques, en indiquant les rapports les plus frappants & les principales analogies qui peuvent fervir de fondement à des conjectures vraisemblables.

1o. Il eft naturel de ne pas chercher d'abord loin de foi ce qu'on peut trouver fous fa main. L'examen attentif du mot même dont on cherche l'Etymologie, & de tout ce qu'il emprunte, fi j'ofe ainfi parler, de l'analogie propre de fa langue, eft donc le premier pas à faire. Si c'eft un dérivé, il faut le rappeler à fa racine, en le dépouillant de cet appareil de terminaifons & d'inflexions grammaticales qui le déguifent; fi c'eft un compofé, il faut en féparer les différentes parties: ainfi, la connoiffance profonde de la langue dont on veut éclaircir les origines, de fa Grammaire, de fon analogie, eft le préliminaire le plus indispensable pour cette étude.

2o. Souvent le réfultat de cette décompofition fe termine à des mots abfolument hors d'ufage; il ne faut pas perdre, pour cela, l'efpérance de les éclaircir fans recourir à une langue étrangère: la langue même dont on s'occupe s'eft altérée avec le temps; l'étude des révolutions qu'elle a effuyées fera voir dans les monuments des fiècles paffés ces mêmes mots dont l'ufage s'eft perdu, & dont on a confervé les dérivés; la fecture des anciennes chartes & des vieux gloffaires en découvrira beaucoup; les dialectes ou patois ufités dans les différentes provinces, qui n'ont pas fubi autant de variations que les langues polies, ou qui du moins n'ont pas fubi les mêmes, en contiennent auffi un grand nombre: c'est là qu'il faut chercher.

3°. Quelquefois les changements arrivés dans la prononciation effacent dans le dérivé prefque tous les veftiges de fa racine. L'étude de l'ancien langage & des dialectes fournira auffi des exemples des variations les plus communes de la prononciation; & ces exemples autoriferont à fuppofer des variations pareilles dans d'autres cas. L'orthographe, qui fe conferve lorfque la prononciation change, devient un témoin affez sûr de l'ancien état de la langue, & indique aux étymologiftes la filiation des mots, lorfque la prononciation la leur déguife.

4°. Le problême devient plus compliqué, lorfque les variations dans le fens concourent avec les changements de la prononciation. Toutes fortes de tropes & de métaphores détournen: la fignification des mots; le fens figuré fait oublier peu à peu le fens propre, & devient quelquefois à fon tour le fondement d'une nouvelle figure; en forte qu'à la longue le mot ne conferve plus aucun rapport avec la première fignification. Pour retrouver la trace de ces changements entés les uns fur les autres, il faut connoître les fondements les plus ordinaires des tropes & des métaphores; il faut étudier les différents points de vûe fous lefquels les hommes ont envifagé les différents objets, les rapports, les analogies entre les idées, qui rendent les figures plus naturelles ou plus juftes. En général, l'exemple du préfent eft ce qui peut le mieux diriger nos conjectures fur le paffé; les métaphores que produisent à chaque inftant fous nos yeux les enfants, les gens groffiers, & même les gens d'efprit, ont dû le préfenter à nos pères; car Le befoin donne de l'efprit à tout le monde une grande partie de ces métaphores, devenues habituelles dans nos langues, font l'ouvrage du befoin où les hommes fe font trouvés de faire connoître les idées intellectuelles & morales, en fe fervant des noms des objets fenfibles: c'eft par cette raifon, & parce que la néceflité n'eft pas délicate, que le peu de jufteffe des métaphores n'autorife pas toujours à les rejeter des conjectures étymologiques. Il y a des exemples de ces fens détournés, très-bizarres en apparence, & qui font indubitables.

or

5. Il n'y a aucune langue dans l'état actuel des chofes qui ne foit formée du mélange ou de l'altération de langues plus anciennes, dans lesquelles on doit retrouver une grande partie des racines de la langue nouvelle: lorfqu'on a pouffé auffi loin. qu'il eft poffible, fans fortir de celle-ci, la décompofition & la filiation des mots, c'est à ces langues étrangères qu'il faut recourir. Lorsqu'on fait les principales langues des peuples voifins, ou qui ont occupé autrefois le même pays, on n'a pas de peine à découvrir quelles font celles d'où dérive immédiatement une langue donnée, parce qu'il eft impoffible qu'il ne s'y trouve une trèsgrande quantité de mots communs à celle-ci, & i peu déguifés que la dérivation n'en peut être

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contestée: c'eft ainfi qu'il n'eft pas néceffaire d'être verfé dans l'art étymologique, pour favoir que le françois & les autres langues modernes du Midi de l'Europe fe font formées par la corruption du latin mélé avec le langage des nations qui ont détruit l'Empire romain. Cette connoiffance groffière, où mène la connoiffance purement hiftorique des invafions fucceffives du pays par différents Peuples, indique fuffifamment aux étymologiftes dans quelles langues ils doivent chercher les origines de celles qu'ils étudient.

6°. Lorsqu'on veut tirer les mots d'une langue moderne, d'une ancienne, les mots françois, par exemple, du latin, il est très-bon d'étudier cette langue, non feulement dans fa pureté & dans les ouvrages des bons auteurs, mais encore dans les tours les plus corrompus, dans le langage du plus bas peuple & des provinces. Les perfonnes élevées avec foin, & inftruites de la pureté du langage, s'attachent ordinairement à parler chaque langue, fans la méler avec d'autres: c'eft le peuple groflier qui a le plus contribué à la formation des nouveaux langages; c'eft lui qui, ne parlant que pour le befoin de fe faire entendre, néglige toutes les lois de l'analogie, ne fe refuse à l'ufage d'aucun mot, fous prétexte qu'il eft étranger, dès que l'habitude le lui a rendu familier; c'eft de lui que le nouvel habitant eft forcé, par les néceffités de la vie & du commerce, d'adopter un plus grand nombre de mots; enfin c'eft toujours par le bas peuple que commence ce langage mitoyen qui s'établit néceffairement entre deux nations rapprochées par un commerce quelconque, parce que, de part & d'autre, perfonne ne voulant fe donner la peine d'apprendre une langue étrangère, chacun de fon côté en adopte un peu, & cède un peu de la fienne.

7°. Lorfque de cette langue primitive plusieurs fe font formées à la fois dans différents pays; l'étude de ces différentes langues, de leurs dialectes, des variations qu'elles ont éprouvées; la comparaison de la manière différente dont elles ont altéré les mêmes inflexions ou les mêmes fons de la languemère, en fe les rendant propres ; celle des directions oppofées, fi j'ose ainfi parler, fuivant lefquelles elles ont détourné le fens des mêmes expreffions; la fuite de cette comparaifon, dans tout le cours de leur progrès & dans leurs différentes époques, ferviront beaucoup à donner des vûes pour les origines de chacune d'entre elles ainfi, l'italien & le gafcon, qui viennent du latin comme le françois, préfentent fouvent le mot intermédiaire entre un mot françois & un mot latin, dont le paffage eût paru trop brufque & trop peu vraifemblable, i on et voulu tirer immédiatement l'un de l'autre, foit que le mot ne foit effectivement devenu françois que parce qu'il a été emprunté de l'italien ou du gafcon, ce qui eft trèsfréquent, foit qu'autrefois ces trois langues ayent

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été moins différentes qu'elles ne le font aujourdhui.

8°. Quand plufieurs langues ont été parlées dans le même pays & dans le même temps, les traductions réciproques de l'une à l'autre fournisfent aux étymologiftes une foule de conjectures précieufes. Ainfi, pendant que notre langue & les autres langues modernes fe formoient, tous les actes s'écrivoient en latin; & dans ceux qui ont été confervés, le mot latin nous indique trèsfouvent l'origine du mot françois, que les altérations fucceflives de la prononciation nous auroient dérobée; c'est cette voie qui nous a appris que métier vient de minifterium, marguillier de matricularius, &c. Le Dictionnaire de Ménage eft rempli de ces fortes d'Etymologies; & le Gloffaire de Ducange en eft une fource inépuifable. Ces mêmes traductions ont l'avantage de nous procurer des exemples conftatés d'altérations trèsconfidérables dans la prononciation des mots, & de différences très-fingulières entre le dérivé & le primitif, qui font furtout très-fréquentes dans les noms des faints; & ces exemples peuvent autorifer à former des conjectures, auxquelles, fans eux, on n'auroit ofé fe livrer. M. Fréret a fait ufage de ces traductions d'une langue à une autre, dans fa differtation fur le mot dunum, où, pour prouver que cette terminaifon celtique fignihe une ville, & non pas une montagne, il allègue que les bretons du pays de Galles ont traduit ce mot dans le nom de plufieurs villes, par le mot de caër, & les faxons par le mot de burgh, qui fignifient inconteftablement ville: il cite en particulier la ville de Dumbartum, en gallois, Caërbriton; & celle d'Edimbourg, appelée par les anciens bretons Dun-eden, & par les gallois d'aujourd'hui Caër-eden.

9°. Indépendamment de ce que chaque langue tient de celles qui ont concouru à la première formation, il n'en eft aucune qui n'acquière journellement des mots nouveaux, qu'elle emprunte de fes voifins & de tous les peuples avec lefquels elle a quelque commerce. C'eft furtout lorsqu'une nation reçoit d'une autre quelque connoiffance ou quelque art nouveau, qu'elle en adopte en même temps les termes. Le nom de bouffole nous eft venu des italiens, avec l'ufage de cet inftrument. Un grand nombre de termes de l'art de la Verrerie font italiens, parce que cet art nous eft venu de Venife. La Minéralogie eft pleine de mots allemands. Les grecs ayant été les premiers inventeurs des arts & des fciences, & le refte de l'Europe les ayant reçus d'eux, c'eft à cette caufe qu'on doit rapporter l'ufage général parmi toutes les nations européennes, de donner des noms grecs à prefque tous les objets fcientifiques. Un étymologifte doit donc encore connoître cette fource, & diriger fes conjectures d'après toutes ces obfervations & d'après l'Hiftoire de chaque art en particulier.

10°. Tous les peuples de la terre fe font mélés

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