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Il n'eft Temple fi faint, des Anges refpecté,
Qui foit contre fa Muse un lieu de fureté.

Je vous l'ai déja dit, aimez qu'on vous cenfure, 60 Et fouple à la Raison, corrigez fans murmure. Mais ne vous rendez pas dès qu'un Sot vous reprend Souvent dans fon orgueil un fubtil Ignorant Par d'injuftes dégoûts combat toute une Pièce; Blâme des plus beaux Vers la noble hardieffe. 65 On beau réfuter ses vains raisonnemens : Son efprit fe complaît dans fes faux jugemens; Et fa foible raifon, de clarté dépourvue, Penfe que rien n'échape à fa débile vue. Ses confeils font à craindre, & fi vous les croyez, 70 Penfant fuir un écueil, fouvent vous vous noyez. Faites choix d'un Cenfeur folide & falutaire,

REMARQUES.

Que

Loin il chaffe tous ceux, qui marchent devant lui;
L'ignorant & le docte ainfi craignant l'ennui,
S'enfuiront autre part: Si quelqu'un il arrête,
De fes Vers jargonnant il lui rompra la tête,
Car comme la Sangfue ayant trouvé la chair
Il s'emplira de fang, avant que la lacher.
VERS 59. Je vous l'ai déja dit,] Dans le premier Chant,
V. 192.

Aimez qu'on vous confeille, & non pas qu'on vous loïe. VERS 71. Faites choix d'un Cenfeur folide & falutaire, &c.] Caractere de M. Patru, le plus habile & le plus févere Critique de fon fiècle. Il étoit en répu tation de fi grande rigidité, que quand M. Racine fai

foit

Que la Raifon conduife, & le Sçavoir éclaire, Et dont le crayon fûr d'abord aille chercher L'endroit,que l'on fent foible, & qu'on fe veut cacher. 75 Lui feul éclaircira vos doutes ridicules:

De votre efprit tremblant levera les fcrupules. C'est lui qui vous dira, par quel transport heureux, Quelquefois dans fa courfe un efprit vigoureux Trop refferré par l'Art, fort des regles prefcrites, 80 Et de l'Art même apprend à franchir leurs limites. Mais ce parfait Cenfeur fe trouve rarement.

Tel excelle à rimer qui juge fottement.

Tel s'eft fait par fes Vers diftinguer dans la Ville,

REMARQUES.

foit à M. Defpréaux quelque obfervation un peu trop fubtile fur des endroits de fes Ouvrages; M. Despréaux, au lieu de lui dire le proverbe Latin, NE SIS PATRUUS MIHI, N'ayez point pour moi la févérité d'un Oncle; lui difoit: NE SIS PATRU MIHI. N'ayez point pour moi la févérité de Patru.

CHANG. Vers 80. Et de l'Art même apprend à franchir leurs limites. Dans les premieres Editions de ce Poëme, il y avoit à franchir les limites. Cette expreffion étoit équivoque: car felon la conftruction grammaticale, les limites, fe rapportoient à l'Art, au lieu que cela fe doit rapporter à Regles, qui eft dans le Vers précédent. C'eft pourquoi l'Auteur a mis, leurs limites.

BROSS.

DES MARETS S'y eft trompé.,, Méchant Vers, dit-il , p. 103., tant pour la rude inverfion que pour l'équi,, Voque. Car apprend femble fe lier avec de l'Art me, me, & toutefois le Poëte veut que l'on entende franchir les limites de l'Art même; ce qui eft une double ,, faute, qui fait une trop grande obfcurité". Du MON

TEIL.

85

Qui jamais de Lucain n'a diftingué Virgile.

Auteurs, prêtez l'oreille à mes inftructions.
Voulez-vous faire aimer vos riches fictions?
Qu'en fçavantes leçons votre Mufe fertile
Par-tout joigne au plaisant le solide & l'utile.

REMARQUES.

VERS 84. Qui jamais de Lucain n'a diftingué Virgile.] Notre Auteur défigne ici le grand Corneille. Sa Tragé die de la Mort de Pompée, eft une preuve de l'eftime qu'il avoit pour Lucain. Son goût étoit fi peu fùr, fi nous en croyons La Bruyere, Chap. des Jugemens, qu'il ne jugeoit de la bonté de fes Pièces, que par l'argent qu'il lui en revenoit. BROSS.

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29

Les bons Juges de Poëfie font plus rares que les bons Poëtes. Malherbe donnoit la préférence à Stace, fur tous les Poëtes Latins. Et j'ai oui de mes oreil les avec étonnement, P. Corneille la donner à Lucain fur Virgile. J'ajouterois encore Brébeuf, que j'ai vu dans les mêmes fentimens s'il ne me paroiffoit plus ,, digne du nom d'excellent Verificateur, que de grand Poëte". Huetiana, p. 177. & 178. Huetii Comment. Lib. 1. EDIT. P. 1740.

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22

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IMIT. Vers 88. Par-tout joigne au plaifant le folide &
Tutile.] HORACE a dit, Art Peëtique, Vers 343.

Omne tulit punctum qui mifcuit utile dulci,
Lectorem delectando, pariterque monendo.

BROSSETTE.

Ces deux Vers font rendus ainfi par La Frefnaie-Vauquelin dans fon Art Poëtique, Livre II.

,

Qui fçait entremêler l'utile avec le doux,
L'honneur facilement remportera fur tous
Enfeignant les lifeurs, & de Muse pareille,
D'un raviffeur plaifir leur ravissant l'oreille.

Il eft certain que le but de la Poëfie eft de plaire &
d'inftruire; mais il faut toujours qu'elle inftruise en

Un Lecteur fage fuit un vain amusement, 90 Et veut mettre à profit fon divertiffement.

REMARQUES.

plaisant. Les Préceptes dépourvus d'agrémens ne font
pas fupportables en Vers; & tout l'agrément imagina-
ble ne procure jamais qu'un fuccès paffager à ce qui
n'apprend rien. La Frefnaie-Vauquelin paroît avoir été
perfuadé de cette vérité, puifqu'il dit dans fon Liv. I.
Le but de Galien c'eft de garder mourir
Le malade qu'il veut par drogues fecourir:
Le but de Cicéron c'eft de bien faire croire

Par fes vives raisons, fon fait comme une hiftoire.
Mais quand & l'un & l'autre à son but n'atteindroit ;
Le nom de médecin Galien ne perdroit,

Ni Cicéron fon titre: à raison que procede

Le mal fouvent d'un point qui n'a point de remede:
Et qu'au d'un procès l'entremêlé défaut

Empeche qu'on ne foit entendu comme il faut :
Mais fans donner plaifir fon nom perd un Homere,
Il devient de Poëte une laide Chimere.

C'est le but, c'est la fin des Vers que réjoüir:
Les Mufes autrement ne les veulent oilir.

Les Peintres font ainfi peignant la Madelène,
Pleurante ils la feront reffembler une Hélène,
Nonchalante, agréable, ouvrant de tous côtés
En son ravissement un trèfor de beautés. &c.

Je fçai bien toutefois que profiter & plaire,
Comme ailleurs je dirai, eft le feul exemplaire
De la perfection; mais toujours fi faut-il
Qu'on trouve quelque chofe au profit de gentil.
Chateau-Vieux bouffonnant pour goffer & pour rire
Ne laille à profiter & plaire en fon médire.

Que votre Ame & vos Mœurs peintes dans vos

ouvrages,

N'offrent jamais de vous que de nobles images.

REMARQUES.

Des gemmes que l'on tire aux rivages Indois,
J'eflime toujours celle être de plus grand choix
Qui non feulement belle en couleur variante
Sçait réjouir les yeux agréable & riante,
Mais qui fçait à des maux remedes apporter,
Et par vertu fecrette un esprit conforter:
Ainfi des Mufes eft la chanson fouveraine,
Qui n'a pas feulement la voix belle & féreine,
La parole plaifante & Pair délicieux:
Mais qui fçait davantage enchasser précieux
Le diamant en l'or; tirant avec délices,
Par fes enfeignemens un homme de ses vices.

DE ST. Marc.

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VERS 91. Que votre Ame & vos Maurs peintes dans vos ouvrages.] Dans toutes les Editions l'Auteur avoit mis, Peints dans tous vos Ouvrages, quoique ce mot, peints qui eft un Participe mafculin, fe rapportât à Ame & à Mœurs, qui font deux mots féminins. Je lui marquai dans une Lettre la peine que cela me faifoit. Il me répondit en ces termes, le 3. de Juillet 1703. Je n'ai ,, garde de conferver le folécifme qui eft dans ce Vers: Que votre ame & vos mœurs peints dans tous vos Ou"vrages. M. Gibert du Collége des quatre Nations, eft le " premier qui m'a fait appercevoir de cette faute depuis ma derniere édition. Dès qu'il me la montra, j'en convins fur le champ avec d'autant plus de facilité qu'il n'y a pour la réformer qu'à mettre, comme vous dites fort bien, Que votre ame & vos mœurs peintes dans vos Ouvrages, ou, Que votre esprit, vos maurs peints dans tous &c. Mais pourrez-vous bien

دو

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دو

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