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Il résolvait d'avance par son exemple le problème des innovations littéraires dont on allait bientôt faire tant de bruit." « Non, disait-il, les Latins et les Grecs mêmes ne doivent pas être des modèles; ce sont des flambeaux.» D'un autre côté il chantait :

Redoutons l'anglomanie:
Elle a déjà gâté tout.
N'allons point en Germanie
Chercher des règles de goût.

Aussi, quand une jeune école eut levé l'étendard de l'indépendance, Béranger « applaudit, mais en blâmant un peu 1. »

α

Il est un dernier point de vue sous lequel nous ne pourrons louer sans restriction notre poëte populaire: un assez grand nombre de ses chansons ne peuvent être amnistiées ni par la morale ni par le respect que nous devons à la religion catholique. Ici Béranger lui-même est réduit à plaider les circoustances atténuantes : « Je dirai, sinon comme défense, au moins comme excuse, que ces chansons (il parle de celles qui sont trop légères), folles inspirations de la jeunesse et de ses retours, ont été des compagnes fort utiles données aux graves refrains et aux couplets politiques. Sans leur assistance, je suis tenté de croire que ceux-ci auraient bien pu n'aller ni aussi loin, ni aussi bas, ni même aussi haut; ce dernier mot dût-il scandaliser les vertus de salon.

« Quelques-unes de mes chansons ont été traitées d'impies, les pauvrettes! par MM. les procureurs du roi, avocats généraux et leurs substituts, qui sont tous gens très-religieux à l'audience. Je ne puis à cet égard que répéter ce qu'on a dit cent fois. Quand de nos jours la religion se fait instrument politique, elle s'expose à voir méconnaître son caractère sacré : les plus tolérants deviennent intolérants pour elle 2.

Cette double apologie ne nous semble pas tout à fait concluante. Nous nous permettrons donc, en prenant congé de l'auteur, de faire pour lui ce que nous l'avons vu faire tout à

4. Préface des Chansons nouvelles et dernières. 2. Même préface.

l'heure pour les novateurs littéraires, d'applaudir, mais en

blámant un peu.

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Dans cette première période de la Restauration, la prose eut, comme la poésie, ses habiles écrivains et ses auteurs éloquents. Chacun des deux partis rivaux paye encore ici son tribut à l'histoire littéraire: les opinions royalistes nous donnent Charles Nodier; l'opposition, Paul-Louis Courier; le parti religieux ultramontain, l'abbé de Lamennais; le libéralisme, Benjamin Constant.

Les deux premiers de ces écrivains sont surtout des hommes de style: Nodier', charmant conteur, savant philologue, curieux naturaliste, bibliophile passionné, éparpilla sur mille sujets divers son incroyable facilité, et porta partout la grâce un peu apprêtée de sa diction. Sans but bien sérieux, sans convictions bien profondes, il aima le paradoxe comme un bon avocat aime une cause difficile; pour lui la forme est tout; les grâces du langage furent sa plus sincère passion. . C'est partout et à tout propos, dans la description d'un paysage comme dans l'analyse d'une passion, dans la révéla

4. Né en 1783; mort en 1844,

2. Nodier avait tant écrit, qu'il ne savait pas lui-même le nom de tous ses ouvrages. Ce qu'il a publié suffirait pour composer une bibliothèque. Les plus connus de ses romans sont : Jean Sbogar, Therèse Aubert, le peintre de Salzbourg, Mlle de Marsan, Smarra ou les Démons de la nuit, Songes 10mantiques. Parmi ses ouvrages philologiques, on peut citer son Examen critique de la langue française et son Dictionnaire des onomatopees.

tion d'un caractère, dans le récit d'une catastrophe, dans la peinture d'un amour frais et jeune, le même style harmonieux et souple, diapré comme les ailes d'un papillon, nuancé de mille couleurs, délicat et parfumé comme les fleurs d'un gazon au premier jour de mai. Sa parole ne ressemble à aucune autre parole; il la dévide comme un ruban qui commence on ne sait où, dont il ne peut pas même prédire d'avance les couleurs variées, qui ne finit que lorsque lui-même en tranche la trame, et qui, sans cela, se déroulerait à l'infini et incessamment1. » Nodier lui-même nous donne une idée plus exacte encore de ce curieux travail de style.

D

Smarra, dit-il, est une étude qui.... ne sera pas inutile pour les grammairiens un peu philologues.... Ils verront que j'ai cherché à y épuiser toutes les formes de la phraséologie française, en luttant de toute ma puissance d'écolier contre les difficultés de la construction grecque et latine, travail immense et minutieux comme celui de cet homme qui faisait passer les grains de mil par le trou d'une aiguille. On pressent que, dans le travail régénérateur du dix-neuvième siècle, ce ciseleur de langage ne verra guère que la question littéraire. Il fut un des premiers à en deviner l'approche. << Il faut dire.... que j'étais seul, dans ma jeunesse, à pressentir l'infaillible avénement d'une littérature nouvelle. Pour le génie, ce pouvait être une révélation pour moi, ce n'était qu'un tourment. Nous avons vu plus haut que, dès l'époque de la Muse française, Nodier s'unit à ceux qu'on nommait déjà romantiques. Cet écrivain capricieux, humoriste, était charmé d'entendre dire un peu de mal des règles d'ailleurs l'école nouvelle était un paradoxe de plus 2.

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Paul-Louis Courier est aussi avant tout un excellent ar

4. G. Planche, Portraits littéraires.

2. Smarru est composé, en grande partie, de passages traduits d'Homère, de Théocrite, de Virgile, de Catulle, de Stace, de Lucien, de Dante, de Shakspeare, de Milton. L'auteur se moque des critiques de l'époque, qui prirent Smarra pour une œuvre romantique et la blàmèrent à ce titre : « Larisse et le Pénée! où diable a-t-il pris cela? disait le bon Lemontey (Dieu l'ait en sa sainte garde!) C'étaient de rudes classiques, je vous en réponds.

3. Né en 1773, assassiné en 1825. Armand Carrel a donné, en 1834, une édition des OEuvres complètes de Courier, précédée d'un remarquable Essai sur la vie et les écrits de l'auteur.

tiste. Habitué par son éducation à saisir rarement le grand côté des choses, il ne vit dans l'Empire que des prétentions ridicules, et dans la Restauration qu'un objet de mesquines tracasseries. C'est le libéralisme dans ce qu'il a de plus étroit et de plus bourgeois. Mais il est difficile d'avoir plus d'esprit sur un sujet donné, plus de malice sous une apparente bonhomie que Paul-Louis n'en jette à pleines. mains dans ses feuilles légères, dans son Livret, dans sa Gazette du Village, et surtout dans son Pamphlet des Pamphlets. Ces croquis délicieux, ces boutades comiques sont plus encore d'un homme d'esprit que d'un ennemi du gouvernement. Sa Lettre à M. Renouard sur la fameuse tache d'encre du manuscrit de Longus est une plaisanterie des plus ingénieuses et des plus acérées. La forme surtout est toujours chez Courier d'une rare perfection. Ce pamphlétaire, qui ne se gênait, dit Armand Carrel, d'aucune vérité périlleuse à dire, hésitait sur un mot, sur une virgule, se montrait timide à toute façon de parler qui n'était pas de la langue de ses auteurs. Il s'était fait un industrieux langage composé de celui des auteurs grecs, qu'il connaissait mieux qu'homme d'Europe, de notre langue du seizième siècle, qu'il cultivait avec amour, et du franc et énergique parler du peuple, qui a si bien conservé les idiotismes de nos vieux écrivains: Courier s'était fait ancien pour se rajeunir. Il ne pouvait souffrir le style du dix-huitième siècle. « Gardez-vous bien, écrit-il à M. Boissonade, de croire que quelqu'un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV: la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que Jean-Jacques, Diderot, d'Alembert, et postérieurs; ceux-ci sont tous ânes bâtés, sous le rapport de la langue, pour user d'une de leurs phrases; vous ne devez pas seulement savoir qu'ils aient existé. Paul-Louis, comme André Chénier, descend directement des Grecs: l'un est l'héritier de Lucien, comme l'autre de Théocrite. Tous deux parlent à ravir le langage de leur nouvelle patrie, mais la pureté de leur trait, la simplicité de leurs couleurs, la combinaison

4. « Il n'a jamais lu l'histoire, dit son éloquent éditeur, pour le fond des événements, mais pour les ornements dont les grands écrivains de l'antiquité l'ont parée. »

savante de leurs constructions, indiquent assez qu'ils n'ont point oublié leur langue maternelle. Toutefois Courier nous semble inférieur à Chénier parce qu'il a moins de naturel. Son style est trop souvent une combinaison savante d'archaïsmes qui n'obéit pas assez à l'émotion spontanée de l'auteur. On y trouve quelquefois la pire des affectations, celle de la naïveté.

Cependant l'apparition d'un pareil écrivain était, plus encore que celle de Nodier, un symptôme de révolution littéraire. C'est au nom des vrais classiques que Courier ne pouvait souffrir leurs prétendus imitateurs.

De Lamennais.

Tandis que ces deux savants philologues s'efforçaient avec une patiente industrie à renouveler la prose française, deux autres écrivains prouvaient, par leur exemple, que le travail le plus fécond, dans l'intérêt même de la forme littéraire, c'est celui de la pensée. Lamennais et Benjamin Constant formaient entre eux le plus frappant contraste : l'un, défenseur ardent de l'unité, cherchait la vérité dans l'harmonie de toutes les intelligences, représentée par l'autorité sociale et religieuse; l'autre, passionné pour l'indépendance individuelle, ne demandait aux institutions politiques et religieuses qu'une garantie, qu'une protection pour le libre développement de toutes les facultés personnelles.

La carrière philosophique de Lamennais' semble présenter, dans ses diverses parties, un contraste non moins violent. On n'a pas épargné les épithètes rigoureuses au prêtre qui commence par l'Essai sur l'indifférence, pour finir par l'Esquisse d'une philosophie en passant par les Paroles d'un Croyant. Pour nous qui n'aimons pas à prononcer sur les intentions, dont Dieu seul est le juge, nous croyons que, quand il s'agit d'hommes d'une pareille valeur, il vaut mieux comprendre que d'anathématiser: il est vrai que c'est quelquefois moins facile.

4. Félicité-Robert de Lamennais, né à Saint-Malo en 1782; mort en Paris en février 4854.

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