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inspirations. Les études historiques se réveillèrent. Le moyen âge fut l'objet d'un culte nouveau, qui eut même plus d'une fois sa superstition et ses travers. On fit des maisons de campagne et des meubles gothiques. Marchangy croyait marcher sur les traces de Chateaubriand en écrivant la Gaule poétique et Tristan le voyageur. M. le vicomte d'Arlincourt commençait à composer des romans historiques avec un style qui, Dieu merci, n'appartient qu'à lui.

La muse française: l'opposition.

Bientôt il se forma, dans les boudoirs aristocratiques, une petite société d'élite, une espèce d'hôtel de Rambouillet, adorant l'art à huis clos, cherchant dans la poésie un privilége de plus, rêvant une chevalerie dorée, un joli moyen âge de châtelaines, de pages et de marraines, un christianisme de chapelles et d'ermites'. » Cette élégante coterie commença par se constituer à l'état de public: Maintenant, disait l'un de ses plus brillants écrivains, la popularité n'est plus distribuée par la populace; elle vient de la seule source qui puisse lui imprimer un caractère d'immortalité ainsi que d'universalité, du suffrage de ce petit nombre d'esprits délicats.... qui représentent moralement les peuples civilisés. Les littératures étrangères trouvaient dans cette société le plus favorable accueil. On y goûtait particulièrement Walter Scott. Outre l'admiration légitime que devait inspirer un grand talent, on éprouvait une sympathie secrète pour les opinions de l'écrivain tory. " Nous aimons à retrouver chez lui, disait encore le jeune critique, nos ancêtres avec leurs préjugés, souvent si nobles et si salutaires, comme avec leurs beaux panaches et leurs bonnes cuirasses. »

Le recueil périodique intitulé la Muse française servit de centre et de tribune à ce petit monde littéraire. Là, toute

4. M. Sainte-Beuve a décrit d'une manière charmante ce premier cénacle de 1824, dans un de ses articles sur M. V. Hugo.

2. V. Hugo, dans la Muse française, t. I, p. 33. (Il n'avait alors que vingt et un ans.)

3. Muse française, t. I, p. 34.

pièce de vers était sûre d'être reçue avec enthousiasme, pourvu qu'elle fût écrite par une main amie; mais on avait surtout un faible pour la poésie sentimentale. André Chénier avait fait le Jeune malade, qui est un chef-d'œuvre : on s'empara de cette veine et l'on fit successivement la Jeune malade, la Sœur malade, la Jeune fille malade, la Mère mourante, etc.; et la critique bienveillante trouvait que ces diverses élégies, malgré l'uniformité apparente du sujet, n'avaient entre elles que la ressemblance du talent1. » A la fin pourtant la Muse elle-même se fâcha, toute muse qu'elle était, quand elle vit arriver l'Enfant malade; elle affirma« qu'à partir de ce jour l'exploitation des agonies était interdite pour longtemps au commerce poétique. Un de ses critiques osa même provoquer, pour la clôture définitive de toutes les poésies pharmaceutiques, la publication d'une élégie intitulée : l'Oncle á la mode de Bretagne en pleine convalescence'.

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Toutefois, plusieurs des pièces publiées dans la Muse française sont déjà signées de noms illustres. On y trouve par exemple, les V. Hugo, les Alfred de Vigny, les Émile Deschamps; des femmes même, à qui les hommes ont pardonné leur gloire (Mme Desbordes-Valmore, Mme Tastu, Mme Sophie Gay), et de jeunes Corinnes, ajoute l'avant-propos galant, qui ont déjà besoin du même pardon (Mlle Delphine Gay). >>

La critique littéraire se ressentait un peu de cette complaisance parfumée des salons. Un docte académicien, voulant juger les poésies de l'auteur que nous venons de nommer en dernier lieu, commençait son examen par l'épigraphe: 0 matre pulchra filia pulchrior, qu'il demandait permission « de ne pas expliquer à la jeune muse, bien sûr qu'il la ferait rougir. Un autre rédacteur, un noble comte, trouvait que le principal reproche qu'on dût faire à l'auteur de l'École des vieillards, c'était de ne pas connaître les usages du grand monde. Il est vrai que M. Casimir Delavigne avait composé les Messéniennes.

4. Muse française, t. II, p. 348.

2. Un poëte d'athénée vient presque de réaliser ce programme. Nous avons entendu annoncer, dans une séance académique, la Convalescence d'un

enfant.

Au milieu des légers travers inévitables dans une telle société, la pensée sérieuse et morale du siècle ne laissait pas de se faire jour. « C'est à fortifier le souffle divin, à ranimer la flamme céleste, que tendent aujourd'hui tous les esprits vraiment supérieurs,» écrivait un critique1. « Une génération nouvelle de littérateurs, disait un autre, cherche à rassembler dans un même foyer les rayons épars de nos saintes croyances 2.» Presque tous, il est vrai, entendaient par cette régénération le rétablissement pur et simple de l'autorité monarchique et sacerdotale. C'était alors l'opinion de V. Hugo, l'enfant sublime, qui venait de publier ses premières Odes; de Lamartine, qui se révélait à la France par ses premières Méditations; de Lamennais, qui écrivait l'Essai sur l'indifférence, et pour qui, selon l'expression de V. Hugo, la gloire était une mission; enfin, c'est ainsi que semblait penser alors le chef glorieux de toute cette école littéraire, celui « sous l'étendard duquel il faut marcher en morale comme en poésie, en religion comme en politique, si l'on veut aller droit et loin, » l'illustre Chateaubriand.

Les doctrines littéraires de la Muse française préludaient aux tentatives de réforme qui firent bientôt après tant de bruit. On n'acceptait pas franchement le nom de romantiques; •/.. on déclarait même, et avec raison, qu'on en ignorait profondément le sens; mais on attaquait, avec non moins de justice, les poëtes imitateurs; on se permettait même de sourire de Baour-Lormian, « le plus doux des hommes, » qui, par la verdeur de ses diatribes, n'en avait pas moins mérité le surnom de classique tonnant. M. V. Hugo escarmouchait avec des épigrammes. Il comparait la poésie pseudo-classique à la jument que Roland, dans sa folie, voulait échanger contre un

4. M. V. Hugo, Muse française, t. I, p. 2. M. Soumet, ibid., t 11, p. 172.

93.

3. Ainsi l'avait appelé Chateaubriand dans une note du Conservateur. 4. Muse française, t. II, p. 351.

5. Mme de Staël avait la première, en France, prononcé le mot romantique. Elle désignait ainsi la poésie a dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme. » On sait que ces chants avaient eu pour premier organe les langues néo-latines qu'on appelait romanes, et les poëmes écrits en ces langues et nommés pour cette

raison romans,

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jeune cheval le paladin avouait qu'elle était morte, mais, ajoutait-il, c'est là son unique défaut. Ch. Nodier décochait de spirituelles malices à l'adresse des adorateurs de la périphrase mythologique; il poursuivait Phœbé jusque sur son char d'argent, condamnait l'Aurore tout en pleurs, et gardait rancune au vieillard qui tient dans ses mains le sablier des années. M. Guiraud, dans un style plus grave, conviait la critique à proclamer, non pas de nouvelles doctrines, mais les principes éternels du vrai et du beau, fondés sur les plus anciens livres du monde, la Bible et l'Iliade. Il saisissait avec netteté le lien qui doit unir une réforme morale et une renaissance littéraire. « Nous ne doutons pas, disait-il, que notre littérature ne se ressente poétiquement de cette vie nouvelle qui anime notre société. » Toutes ces doctrines étaient admises avec plus ou moins d'hésitation et de réserve par les rédacteurs de la Muse. Tel voulait qu'on s'en tînt « au goût des Racine et des Boileau; » tel frappait Goethe et Byron d'anathème; un autre voulait qu'on se gardât des exagérations, et conseillait prudemment un juste milieu entre les excès contraires; malheureusement il oubliait de dire avec précision où il le plaçait. En un mot, les disciples de la jeune école de 1823 étaient plutôt unis par des tendances que par des idées; leurs opinions communes appartenaient moins à l'art qu'à la politique et à la religion.

A côté du parti représenté en littérature par ce cercle aristocratique, se trouvait l'opinion libérale avec ses mille nuances, depuis les restes des vieux républicains masqués en constitutionnels, jusqu'aux doctrinaires, en passant par les impérialistes. Ceci n'était point un parti; c'était une opposition d'autant plus nombreuse qu'elle était moins uniforme, et, se grossissant peu à peu, elle tendait à devenir la majorité de la nation. En littérature elle n'avait point donné naissance à une école, mais elle avait aussi ses sympathies et ses inspirations; elle se rattachait plus ou moins intimement aux traditions de Voltaire, elle sentait les douleurs et les hontes de l'invasion étrangère, et célébrait les triomphes de l'Empire comme une consolation et une vengeance. Elle produisit ses poëtes, comme le parti contraire, et plus tard même elle lui enleva les siens:

si d'un côté se trouvaient alors, sans parler de Chateaubriand, que nous avons étudié plus haut, MM. Victor Hugo et de Lamartine, de l'autre étaient Casimir Delavigne et Béranger. Les deux camps possédaient aussi leurs illustres prosateurs; ici, par exemple, était l'abbé de Lamennais, et là Paul-Louis Courier. Une noble et féconde idée planait sur chacune de ces deux divisions; d'un côté la religion, de l'autre la patrie. Nous devons maintenant faire connaître avec quelques détails les ouvrages de ces écrivains qui coïncident avec la période que nous étudions.

Premières odes de M. Victor Hugo; M. de Lamartine.

Nous avons déjà nommé et cité plusieurs fois le poëte illustre dont le parti religieux et monarchique protégeait et quelquefois gâtait les débuts. M. V. Hugo' avait vingt ans quand il publia son premier volume d'Odes (1822), et vingtdeux quand parurent les Odes et Ballades (1824). Mais plusieurs pièces du premier recueil furent écrites à quinze et à dix-sept ans. Ces poésies, qu'on louerait davantage si l'auteur ne les avait fait oublier depuis, annonçaient un talent hors ligne. On y trouve déjà l'éclat de l'imagination, le trait hardi et fier, et surtout l'instinct du contraste; mais tout cela dans des proportions relativement étroites qualités et défauts y sont encore en germe. On ne sent pas dans les Odes cette puissante haleine à qui une seule inspiration suffira pour soulever et remplir toute une pièce; on y chercherait en vain ces larges perspectives qui se déroulent avec une simplicité sublime autour d'une idée dominante. Chaque pièce semble composée de parties rapportées, faites soigneusement l'une après l'autre et soudées avec intelligence : le talent est dans les détails plutôt que dans la conception. Les Odes sont les Messéniennes du parti royaliste. L'antithèse, cette perfide

1. Né en 1802, à Besançon. OEuvres avant 1830: Odes et Ballades; les Orientales (1829), les Feuilles d'automne (écrites en 1830, publiées en 1831); les romans Han d'Islande (1823) et Bug Jargal (1826); le Dernier jour d'un condamné (1829); les drames Cromwell (1827), Hernani et Marion Delorme

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