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De Notre-Seigneur, quand je vins.
J'avais mis à part quatre-vingts

Écus, pour retraire (racheter) une rente.
Mais vous en aurez vingt ou trente;
Je le vois bien; car la couleur

M'en plait très-tant que c'est douleur!

Le drapier, enhardi par cette confidence, prodigue les offres de crédit à un homme qui n'en a pas besoin :

Tout à votre commandement,

Autant qu'il en tient (de drap) dans la pile,

Et n'eussiez-vous ni croix ni pile (point d'argent).

On marchande, on convient du prix, on mesure, le tout avec un naturel qui n'a point vieilli. L'avocat laisse au marchand le choix entre l'or ou la monnaie; il l'invite ou plutôt le contraint à venir chez lui chercher son payement et son diner :

Et si, mangerez de mon oie,

Par Dieu! que ma femme rôtit.

Le vendeur accepte le dîner et ira porter en même temps les six aunes d'étoffe. Ce n'est pas ainsi que l'entend Patelin. Il n'est pas fier: il emportera lui-même son drap sous son aisselle.

La digne épouse du vieux fripon résume à merveille le mérite et l'esprit de cette scène. C'est, dit-elle, la fable du Renard et du Corbeau. Nos lecteurs ne seront point fâchés de retrouver dans notre farce un des modèles, ou du moins un des antécédents du charmant récit de La Fontaine.

Il m'est souvenu de la fable
Du corbeau qui était assis
Sur une croix de cinq ou six
Toises de haut, lequel tenait
Un fromage au bec. Là venait
Un renard qui vit le fromage;
Pensa en lui: comment l'aurais-je?
Lors se mit dessous le corbeau :
Ah! fit-il, tant as le corps beau,
Et le chant plein de mélodie!
Le corbeau par sa couardie,

Oyant son chant ainsi vanter,
Si ouvrit le bec pour chanter,
Et son fromage choit à terre:
Et maître renard vous le serre
A bonnes dents et si l'emporte.

Le meilleur de cette intrigue, c'est que le comique y suivi de la morale, et que cette morale est elle-même ext mement comique. Le fripon devient dupe à son tour tombe dans le piége qu'il a lui-même tendu, et trouve maître dans l'idiot qu'il a instruit à tromper. Ce serai vrai malheur de gâter, en l'analysant, cette excellente so où le drapier, venant se plaindre au juge des larcins de berger, et indigné de rencontrer à l'audience l'avocat qui a pris son drap, mêle et confond sans cesse dans sa pla son étoffe et ses bêtes, malgré les avis paternels du magis qui le rappelle à ses moutons. Rien de plus spirituel qu rôle du berger Agnelet, niais rusé qui, d'après l'avis de telin, ne répond que par un cri imité de ses moutons à to les questions du juge, et qui, profitant outre mesure d leçon, répond encore par le même cri à la requête de Pate quand celui-ci sollicite ses honoraires. Citons au m quelq les vers.

LE DRAPIER.

Or çà, je disais,

A mon propos, comment j'avais
Baillé six aunes..., je veux dire
Mes brebis (je vous en prie, sire,
Pardonnez-moi). Ce gentil maître,
Mon berger, quand il devait être
Aux champs, il me dit que j'aurais
Six écus d'or quand je viendrais....
Dis-je, depuis trois ans en çà
Mon berger me converança (promit)
Que loyaument me garderait
Mes brebis et ne m'y ferait
Ni domaige ni villenie :
Et puis maintenant il me nie
Et drap et argent pleinement.
Ah! maître Pierre, vrayement

Ce ribaud-ci m'emblait (volait) les laines
De mes bêtes; èt toutes Saines

Les faisait mourir et périr

De gros bâton sur la cervelle.
Quand mon drap fut sous son aisselle
Il se mit en chemin grand erre (très-vite)
Il me dit que j'allasse querre

Six écus d'or en sa maison.

LE JUGE.

Il n'y a rime ni raison

En tout ce que vous refardez.
Qu'est-ce-ci? vous entrelardez

Puis d'un, puis d'autre. Somme toute,
Par le sang-bleu! je n'y vois goutte!

L'affaire jugée, le procès gagné par Agnelet, qui, grâce à son bêlement, a passé pour un idiot, Patelin le félicite de sa docilité, et se vante lui-même de son stratagème.

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Ta partie est retraite (retirée, sortie):

Ne dit plus Bée; il n'y a force,
Lui ai-je baillé belle entorse?
T'ai-je pas conseillé a point?
Bée....

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Le dialogue se prolonge ainsi de la manière la plus comique entre l'avocat qui demande, supplie, se fâche, et le client qui bêle. A la fin Patelin, se voyant joué, jure qu'il va chercher un sergent, et Agnelet, de son côté, jure que sergent ni avocat ne le retrouveront; il s'échappe, et, plus heureux que son maître, revient sans doute à ses moutons.

Les Enfants sans souci; Soties.

Du mélange de la farce avec la moralité naquit la sotie, genre intermédiaire où dominait la satire. Une troupe nouvelle découvrit et sut expiciter cette veine dramatique. Ce furent les Enfants sans souci, joyeuse réunion de jeunes Pa

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risiens qui recommencèrent presque Aristophane, au moins pour la malice et l'audace à tout dire. Politique, religion, vie publique ou privée, rien n'était à l'abri de leurs attaques. Ils avaient commencé par s'exécuter eux-mêmes, pour avoir meilleure grâce à faire justice des autres. Leur chef s'appelait le prince des sots, mais son royaume n'était autre que le genre humain tout entier. Ils obtinrent de Charles VI la permission de représenter leurs soties sur des échafauds élevés sur la place des halles. Louis XII se servit de leur verve caustique pour appeler à lui l'opinion populaire dans ses démêlés avec le pape Jules II. Ce bon roi savait supporter lui-même les traits de leur satire, et entendait en souriant ces jeunes étourdis le taxer d'avarice. On pense bien que les divers ordres de l'État n'étaient pas épargnés dans ces audacieuses bouffonneries. On y voyait paraître Sot-Dissolu, en costume ecclésiastique, Sot-Glorieux, vêtu en gendarme, Sot-Trompeur, habillé en marchand. Tous les intérêts du temps, toutes les allusions fugitives qu'un siècle emporte avec lui, étaient saisis et personnifiés sur ce théâtre. Dame-Pragmatique y était aux prises avec le légat, et Peuple-Italique y déplorait le gouvernement de Mère-Sotte déguisée en robe d'église. Une telle liberté provoqua souvent la répression. Les rois, le parlement autorisèrent, suspendirent, prohibèrent tour à tour ces dangereuses représentations. François Ier établit la censure théâtrale et proscrivit les farces et les soties. Une autorité plus puissante encore leur donna le coup de grâce; le goût du public les abandonna pour les tragédies et les comédies qui prétendaient imiter le théâtre antique. On touchait à la Renaissance. Mə~ rot fut l'un des Enfants sans souci.

CHAPITRE XXI.

QUINZIÈME SIÈCLE: AGE DE TRANSITION.

Littérature populaire; les prédicateurs, Menot, Maillart et Raulin. Le poëte Villon.

Littérature populaire; les prédicateurs, Menot, Maillart et Raulin.

A partir du quatorzième siècle tout sort de l'Église, tout se sécularise et s'émancipe. Le moyen âge tombe en ruines. La chevalerie française est frappée à mort par la flèche plébéienne des archers anglais, aux plaines de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt. L'invention de l'artillerie va déplacer la force et achever la ruine du pouvoir féodal. D'un autre côté la théocratie a renoncé elle-même à ses magnifiques rêves. Les papes ne songent plus à l'empire universel, mais à la souveraineté temporelle de l'Italie. La petite ambition tue la grande. Boniface VIII est souffleté par un légiste de Philippe le Bel; Clément V rampe jusqu'au saint-siége, et laisse brûler les templiers, les restes de la chevalerie sainte! Le grand schisme éclate. Le concile de Pise proclame la nécessité d'une réforme. Le pieux Gerson, le docte Clémengis font déjà pressentir Luther1.

En face des deux pouvoirs qui meurent, il en est un, bien faible encore, qui s'élève et se prépare de loin à de grandes destinées. C'est la bourgeoisie, c'est le peuple. Il apparaît aux états de 1357 avec Robert le Coq et le prévôt Marcel: il se montre plus redoutable encore en 1413, quand il assiége une première fois la Bastille et coiffe déjà le roi (c'était alors

4. Jean Charlier, né à Gerson, diocèse de Reims, en 1363, chancelier de l'Université de Paris, mourut à Lyon, en 1429. On a de lui une soixantaine de traités en latin et quelques discours en français. On lui attribue, mais sans preuve certaine, l'Imitation de J. C.-Mathieu de Clémengis, né vers le milieu du quatorzième siècle, fut recteur de l'Université, et mourut vers 1440. Le plus remarquable de ses traités a pour titre : De corrupto Ecclesiæ statu.

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