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passé rapidement sous mes yeux, et dont le souvenir m'étant déjà cher par l'intérêt avec lequel vous en avez souvent écouté le récit, me le devient bien plus encore par l'hommage que me dictent la tendre amitié, la reconnaissance, et la réunion de tous les sentiments qui près de vous font le charme de ma vie.

PRÉFAC E.

Er moi aussi, j'ai dit comme le bon

La Fontaine,

Eh! que faire en un gîte à moins que l'on ne songe ?

J'ai donc songé qu'éloigné du tumulte du monde par des circonstances impérieuses, que je n'ai pu ni prévoir, ni empêcher, le plus grand des malheurs serait de me livrer aux regrets et à l'ennui. Il me fallait dans ma retraite une occupation qui me remit, pour ainsi dire, en société avec les époques les plus heureuses de ma vie; et j'ai cherché dans le souvenir du passé tout ce qui pouvait écarter la froide monotonie de ma situation actuelle. J'ai reporté mes idées sur une multitude de faits qui avaient excité ma gaîté, mon admiration, ou ma sensibilité. Les relations particulières que j'ai eues avec des personnages respectables, possédant les places les plus

importantes, m'ont fourni des notices précieuses sur leur caractère, leur conduite et leur vie privée. Les détails qu'eux-mêmes m'ont transmis sur l'exercice de leurs fonctions, sur la politique secrette et intérieure de la Cour, sont venus successivement se retracer à mon esprit. Je ne me suis pas rappelé sans plaisir plusieurs de ces petits évènements éphémères, qui, se pressant avec rapidité sur la scène du monde, ont fixé un moment l'attention du public, soit dans la capitale, soit dans les provinces, ont été oubliés presqu'aussitôt, et servent, peut-être plus que des faits historiques, développer les différentes nuances des mœurs sociales.

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C'est ainsi que feuilletant les cahiers de ma jeunesse, je recommençais le songe de ma vie; ou plutôt je renouvelais mon existence, en rétrogradant vers ce temps de bonheur où l'habitude générale de l'ordre, la facilité dans les vertus, et le tact si

délicat des convenances faisaient le charme

de la société.

Mais les plus doux souvenirs ne peuvent offrir que des regrets dans la solitude, et la seule manière de les convertir en jouissances est de les communiquer. Je déposais les miens dans le sein de l'amitié : bientôt elle me représenta que, l'intérêt général se portant plus que jamais sur le siècle qui vient de s'écouler, la publicité d'un grand nombre d'anecdotes qui en feraient connaître l'esprit pourrait être également agréable et utile. L'amour-propre se livre facilement aux conseils flatteurs de l'indulgence, et nonseulement j'ai cédé, mais j'ai encore osé faire mes conditions, en déclarant que je ne me soumettrais point à la tâche laborieuse de classifier péniblement mes souvenirs, et que je les donnerais tels qu'ils se présentent ( épars) à mon imagination.

Ainsi l'on ne trouvera dans cet ouvrage ni ordre chronologique, ni série précise

d'évènements tenant au même sujet, ou au même individu. La mémoire est un théâtre mouvant qui nous offre sans cesse des scènes décousues et de nouveaux acteurs; et je me suis permis de m'abandonner entièrement à ses écarts, n'ayant d'autre prétention que d'exposer à la curiosité des fragments de Mosaïque avec le sincère désir que quelque main plus habile les réunisse aux monuments dont ils ont été détachés.

Les anecdotes sérieuses ou plaisantes politiques, ou littéraires paraîtront donc ici comme jetées au hasard, et j'espère qu'on ne me blâmera pas de m'être arrêté sur quelques ridicules auxquels l'indulgence même ne peut s'empêcher de sourire. J'ai voulu peindre la société comme je l'ai vue; et malheureusement des hommes tels que le maréchal de Biron, l'archevêque d'Auch, M. de Vergennes, M. Lenoir, etc. ne sont pas les seuls qui la composent. La mono

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