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les conjonctures les plus embarrassantes, avec toute la prudence et le zèle qui avaient caractérisé ses précédentes administrations. Il y fut remplacé par M. le duc de Castries, qui se fit honneur de suivre les excellents principes sur lesquels ce département se trouvait dirigé.

Au moment où la révolution sembla menacer les jours de tous ceux qui avaient été honorés de l'estime publique dans les grandes fonctions administratives, M. de Sartines dût croire sa vie en danger: cependant se confiant au calme d'une conscience irréprochable, il ne voulait point quitter sa patrie; mais il céda enfin aux instances de ses amis, et se réfugia en Espagne, bien sûr d'y trouver des ressources que ce gouvernement ne pouvait refuser aux services que sa famille avait rendus à ce pays. Quelques années après il y termina sa carrière, regretté de tous ceux qui se font gloire de rendre justice à la réunion des talents et de toutes les vertus solides et aimables qui en augmentent l'éclat.

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ON a de la peine à concevoir comment M. Lenoir, avec l'ame la plus sensible, l'esprit le plus doux et le moins porté à croire au mal, a pu exercer aussi dignement les fonctions les plus sévères de la magistrature, celles de lieutenant criminel au Châtelet, et de lieutenant général de police, dans lesquelles il a succéde immédiatement à M. de Sartines.

Obligé, dans cette dernière place, de donner tous ses soins à la découverte des crimes et de leurs auteurs, il regardait comme le premier de ses devoirs celui de les prévenir, et se considérait avec raison comme le protecteur nécessaire de la tranquillité des familles. Il lui arrivait souvent d'être consulté par des parents inquiets, sur le sort de leurs enfants, au sujet de mariages proposés, dans lesquels se réunissaient les convenances d'état et de fortune, mais où il s'agissait de trouver celles de mœurs et de 'caractères; et par les renseignements qu'il était à même de donner en très-peu de temps, il favorisait ou empêchait des unions dont les conséquences ne pouvaient échapper à sa sagacité. Par plusieurs détails secrets de son administration on peut juger de la confiance

générale qu'il inspirait, et de la prudence par laquelle il la justifiait. J'en citerai ici quelques traits peu connus et qui méritent de l'être.

Un jeune officier aux Gardes - Suisses, M. Biss, qui apportait de sa patrie cette candeur, dont tant d'aventuriers dans la capitale savent si bien abuser, et qui malheureusement avait la passion effrénée des jeux de hasard, avait été recommandé particulièrement à M. Lenoir, qui ne négligea rien pour lui faire contracter des liaisons honnêtes et le mettre dans la meilleure compagnie. Cependant ce jeune homme s'échappait souvent pour aller jouer dans des tripots, où la fortune le traitait tantòt bien, tantôt mal; et le magistrat, . qui le faisait surveiller avec attention, lui en faisait de sévères reprimandes, que M. Biss écoutait avec respect, mais dont il profitait peu, quoiqu'il promit beaucoup de se corriger. Un jour M. Lenoir le fait appeler dans son cabinet, et lui reproche d'avoir passé la nuit au jeu dans une de ces maisons qu'il avait promis de ne plus fréquenter. M. Biss avoue sa faute, mais assure qu'il n'a pas joué, « Je suis faché, lui dit M. Lenoir,

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de voir que votre passion pour le jeu » vous entraîne à une dissimulation indigne → de votre caractère, et que mon amitié » pour vous n'aurait pas dû mériter. Vous avez joué au milieu d'une société d'es» crocs; vous y avez perdu deux cents louis >> que je me suis fait rapporter, et que je vous rends dans l'espérance que ceci vous » servira de leçon et que vous fuirez doré¬ >> navant une compagnie que ma place m'oblige de tolérer, et qui n'est pas faite » pour un homme de votre état. »

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La bonté du magistrat fit une impression vive sur le jeune officier, qui dès cet instant promit de ne plus jouer, et tint exactement sa parole.

Des gens sévères, en lisant le trait que je vais rapporter, pourraient reprocher à M. Lenoir une morale trop relâchée, si les devoirs de son état ne justifiaient et n'exigeaient même quelques formes d'indulgence, auxquelles il se trouvait forcé par la nécessité de prévenir des crimes que la grande connaissance des passions humaines lui faisait prévoir.

Une femme d'un rang honnête lui fait demander une audience particulière. Introduite dans le cabinet du Magistrat, elle se jette tout en larmes à ses pieds, et lui expose sa situation. Mariée à un homme jaloux, emporté, et capable de tous les excès, elle se trouve dans le cas d'éprouver les plus justes effets de son ressentiment. Il est absent depuis plus d'un an, et doit revenir sous peu de jours: elle est enceinte et près d'accoucher. Le désespoir de cette malheureuse femme rendait toutes remontrances inutiles. Il s'agissait de la secourir, et d'épargner à son mari un crime affreux. M. Lenoir ne pouvait manquer de saisir toutes les conséquences que lui présentait un tel exposé. Il accueille la coupable avec bonté, avec commisération, convient de la nécessité de cacher une faute dont elle montre le plus amer repentir, et lui propose de se rendre en secret dans le faubourg St.-Antoine, chez une sagefemme qui, à sa recommandation, aura le plus grand soin d'elle, et où elle sera d'autant plus en sûreté, que les commissaires de police ont seuls le droit d'entrer dans ces sortes de maisons, en grand costume, et en se faisant accompagner de la garde. La

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