Page images
PDF
EPUB

»neurs. » Les Anglais tirent, et il reçut sept balles dans le corps. Heureusement aucune de ses blessures ne fut mortelle, et, ce qu'il y eut d'extraordinaire, c'est qu'après sa guérison, sa constitution, faible et valétudinaire jusqu'alors, changea totalement, et qu'il a vécu jusqu'à l'âge de près de quatre-vingts ans sans jamais avoir été malade.

C'est à tort qu'on a attribué à d'autres personnes sa sublime répartie à un officier qui, détaillant les fortifications de Maestrecht, disait : «< cette ville est imprenable. — Mon» sieur, répondit le comte d'Anterroche, » ce mot là n'est pas français.

>>

N'ayant reçu d'autre éducation que celle des camps et de la Cour, il était d'une simplicité et d'une ignorance profonde sur tout ce qui ne tenait pas directement à la valeur et à l'urbanité française.

Devenu capitaine aux gardes, il était le père, l'ami et le soutien de ses soldats, qui, très-mal disciplinés à cette époque, se livraient à des excès que la faiblesse de la police, alors mal organisée, ne pouvait réprimer.

L'un d'eux, attaché à sa compagnie, avait imaginé, pour gagner quelqu'argent, de

commettre journellement le sacrilége le plus affreux. Il prenait tous les matins un habit ecclésiastique, et allait dire la Messe en différentes églises éloignées l'une de l'autre. Il était difficile qu'un tel crime ne fut pas bientôt découvert. Le faux prêtre fut arrêté et mis au cachot. Le bon M. d'Anterroche, apprenant la détention de son soldat, et ce dont il est accusé, va aussitôt le voir dans la prison, bien résolu à lui faire une sévère réprimande. Mais ne connaissant pas de crime plus grâve que les fautes militaires : « Malheureux, lui dit-il, ne savais» tu pas qu'il t'était défendu de quitter ton >> uniforme? Mon capitaine, j'ai toujours >>> eu sous ma soutane ma veste uniforme. »

Ah! cela est différent, répliqua le bon capitaine, qui, muni d'un argument aussi solide, et regardant dès lors le cas trèsgraciable, alla de bonne foi solliciter la liberté du soldat, et resta très-étonné des rires qu'excitait le motif dont il appuyait sa demande.

JE ne peux me refuser au plaisir de raconter ici une anecdote, peut-être bien

connue, puisqu'elle a puisqu'elle a eu le public pour témoin, et qu'elle se trouve, m'a-t-on dit, insérée dans plusieurs recueils, mais qui m'a frappée par son originalité et par le noble sang-froid de celui qui en est le sujet. Je veux parler du marquis de Tenteniac, qui servait aussi dans le régiment des Gardesfrançaises, et qui méritait d'ètre mis en parallèle avec le comte d'Anterroche, pour la bravoure et la politesse française.

Descendant de ces héros bretons du même nom, si connus dans l'histoire, à la valeur chevaleresque dont il avait hérité de ses ancêtres, il joignait une superbe figure et la taille la plus avantageuse. Se trouvant à la Comédie française, dans le temps où il était du bon ton parmi les jeunes gens les plus élégants de remplir les coulisses, et de s'avancer tellement sur la scène qu'ils génaient le jeu des acteurs, M. de Tenteniac se faisait remarquer plus particulièrement en avant de tout le monde. Le parterre, à qui cela déplut, se mit à crier dans un entr'acte : « Annoncez, annoncez, l'homme à l'habit

[ocr errors]

gris de fer, annoncez. » M. de Tenteniac, après avoir regardé de côté et d'autre, ne pouvant plus douter qu'il ne fut l'objet du

[ocr errors]

tumulte devenu général, s'avance d'un pas grâve au bord du théâtre, fait une profonde révérence, qui à l'instant produisit le plus grand silence, et dit d'un ton élevé : Messieurs, j'aurai l'honneur de vous donner demain l'insolence du parterre corrigée, pièce en autant d'actes qu'il vous plaira, L'auteur demeure rue, etc., » et il se retira respectueusement, accompagné des applaudissemens unanimes, à la place où il était auparavant. Il en fut quitte pour attendre fort patiemment le lendemain ceux qu'il avait provoqués si hautement : aucun ne se présenta.

[ocr errors]

A la première représentation de Sémiramis, le théâtre se trouva tellement obstrué par la foule, qu'à peine les acteurs avaientils une fort petite place sur l'avant-scène. Au moment de l'ouverture du tombeau de Ninus, placé sur le côté du théâtre, la sentinelle se mit à crier très-haut: « Mes» sieurs, place à l'ombre, s'il vous plaît,

[ocr errors]

place à l'ombre. » Cette naïveté excita les éclats de rire dans toute la salle, et peu s'en fallut qu'elle n'occasionna la chûte de la pièce.

Je m'étais promis d'écarter de cet ouvrage toutes les épines de la méchanceté; mais voulant parler de quelques personnes qui ont été chargées des plus importantes fonctions dans l'Etat, j'aurais à me reprocher une basse dissimulation, si je ne citais une partie des traits saillants de la conduite privée du malheureux étranger, dont l'orgueil, bien plus encore que l'incapacité dans sa carrière ministérielle, a vidé sur nous et sur l'Europe la boîte de Pandore, et qui par son charlatanisme a le premier aiguisé le fer sous lequel ont péri les plus illustres victimes. Les gens en place, et leurs actions, même les plus secrètes, dès qu'elles servent à dévoiler leur caractère, appartiennent à l'opinion publique ; et j'ai pensé que ces détails si long-temps cachés, ou déguisés par la flatterie et la crainte du pouvoir, ne seraient pas inutiles à l'histoire de la fin du dix-huitième siècle. C'est d'après ces motifs que je me permettrai de parler librement sur la moralité du trop célèbre Genevois, qui a été le premier mobile des malheurs et des crimes de la France, et que

« PreviousContinue »