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avait empêché le Ministre d'en parler au Roi.

Tel était l'état des choses lorsque M. de Calonne passa en Lorraine. Cependant M. de Fourqueux, qui n'avait accepté qu'avec répugnance une place que sa modestie, très-fondée, lui faisait regarder comme bien au dessus de ses forces, voulait au moins la remplir avec l'exactitude la plus scrupuleuse. Ayant reçu du Roi un état des fonds déposés en numéraire au trésor royal, il en demanda également un au caissier général; et, se hâtant de les comparer ensemble, il fut effrayé au dernier point, de trouver dans le second une différence de trois millions en moins; et sans se donner le temps d'entrer avec le caissier dans une explication qui l'aurait parfaitement rassuré, il courut chez sa Majesté lui faire part de son effroi. Le Roi, fort étonné voulut savoir tout de suite la cause d'une différence aussi considérable entre l'état que lui avait donné son Ministre, et celui que présentait le caissier. Il fit venir ce dernier qui expliqua bien naturellement ce léger imbroglio, et démontra que les trois millions de déficit şe trouvaient compensés, et au-delà, par

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les effets qui y avaient été substitués. Mais le Roi, irrité d'une contravention si formelle à ses ordres, ne douta plus de la vérité des imputations qu'on renouvelait sans cesse contre son ministre depuis son absence, et envoya aussitôt un courrier en Lorraine lui demander la restitution de la décoration de l'ordre du Saint-Esprit, et lui porter la défense de reparaître à la Cour.

M. de Calonne dès ce moment sortit de France, passa en Hollande, sous le nom du chevalier Palamède, de là en Angleterre, et n'a cessé, jusqu'à la fin de sa carrière, de se montrer zélé partisan du Roi et de ses véritables intérêts.

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Sa retraite fut pour lui le livre de la postérité. Les haines se tûrent, parce qu'elles n'étaient plus alimentées par la jalousie et les cabales. On rendit presque généralement justice à ses grands talents, quoiqu'on ne put s'empêcher de convenir des défauts qui les obscurcissaient; et la calomnie, qui l'avait si souvent accusé de s'enrichir aux dépens de l'Etat, fut réduite au silence, quand on le vit sortir du ministère moins riche qu'il n'y était entré, et madame d'Harvelay l'épouser pour avoir le droit

de liquider ses dettes qui auraient absorbė sa fortune.

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J'AI dit que le marquis de Vérac, ambassadeur de France en Hollande, avait été chargé de la partie diplomatique relative à l'arrangement projeté avec cette république. Il manqua d'être cruellement victime de la suite de cette négociation.

Le roi de Prusse voulait avoir l'air de soutenir le Stathouder; mais craignant de faire de cet objet le prétexte d'une guerre, il se contentait de menacer les Hollandais, en cas qu'ils fissent quelques mouvements ceux-ci, bien instruits de ses intentions, ne demandaient à la France de faire paque raître sur leurs frontières, du côté de la Flandre, quinze mille hommes, qui même n'entreraient pas, mais dont la présence suffirait pour arrêter tout secours étranger, On le leur avait promis, c'était la base du traité, et cependant les troupes ne parais+ saient point. M. de Vérac, qui sentait tout le danger du retard, pressait d'un côté avec instance l'exécution de cette promesse, et, de l'autre côté, cherchait à ranimer, sous

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différents prétextes l'espérance du parti dont il s'était entouré. Mais au moment de la disgrâce de M. de Calonne, il apprit que M. de Loménie, archevêque de Toulouse qui lui succéda et eut le titre de premier ministre, se montrait absolument opposé au plan adopté par ses prédécesseurs; qu'il avait annoncé hautement que la France ne fournirait aucun secours à la Hollande ; qu'il avait même fait donner contr'ordre aux troupes qui commençaient à s'avancer en Flandres, et que les Prussiens, avertis qu'ils n'avaient plus à craindre aucune opposition étrangère, étaient en pleine marche pour soutenir le Stathouder. La position de l'Ambassadeur, à cette nouvelle, devint d'autant plus pénible, qu'il avait dû, selon ses instructions, se mettre dans la plus grande évidence, et qu'attaché vivement à l'honneur et à son Roi, il sentait plus que personne l'indignité d'une conduite qui blessait aussi essentiellement la majesté de son souverain. Il voulut du moins en pallier la honte et en adoucir autant qu'il serait possible l'amertume auprès des Hollandais, dont une grande partie avait déjà pris les armes et n'attendait que le signal pour s'emparer des arsenaux.

Il écrivit en conséquence aux différents chefs et officiers sur lesquels il avait compté, aux particuliers les plus accrédités qui étaient entrés dans le projet, pour les engager à suspendre l'exécution d'un dessein que la France ne pouvait seconder en ce moment autant qu'elle le désirait, mais auquel elle était bien éloignée de renoncer. II passa trois jours et deux nuits à écrire près de cent lettres, pour la plupart desquelles il ne pouvait pas s'en rapporter à des secrétaires, et commençait enfin à se livrer à un repos bien nécessaire, lorsqu'il fut averti que de tous côtés on prenait les armes, et que l'insurrection se dirigeant particulièrement contre lui, il n'avait pas un moment à perdre pour échapper à l'irritation d'un peuple furieux qui l'accusait de l'avoir livré à ses ennemis, et qui en voulait à sa vie. Ne pouvant douter de la vérité de cet avis, il monta tout de suite en voiture, partit à quatre heures du matin, et à six heures on tira en effet plus de deux cents coups de fusil dans son jardin, où il avait coutume de se promener à cette heure-là. Les soins des magistrats, et son départ qui fut bientôt connu calmèrent le tumulte, qui ne cessa

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