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et des ministres avaient seules le droit de pénétrer, on mit avec empressement la tète à la fenêtre, et l'on fut fort étonné de voir la livrée du Cardinal, et un inconnu descendre de voiture avec Barjac qui, s'appercevant de l'attention avec laquelle on examinait tous ses mouvemens, affecta de causer avec l'air du plus grand intérêt, et remonta ensuite dans la voiture, comme pour attendre un dénouement auquel il prenait une grande part. Les miseurs consternés ne doutèrent pas, au premier moment, que celui dont ils virent les pas se diriger de leur côté ne fut un prête-nom du Cardinal, qui sans doute voulait avoir lui-même l'adjudication des Fermes, et contre lequel ils ne pouvaient lutter.

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Cependant quelques têtes plus tranquilles représentèrent que peut être cet inconnu n'était qu'un homme protégé par le Ministre, ou même par Barjac, et dont on voulait faire la fortune, en le mettant à la tête de quelque société rivale de la leur; que, dans ce cas là, il serait possible de le désintéresser par des offres avantageuses, et cet apperçu, qui calma les esprits, ayant été adopté unanimement, on se hâta de

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convenir du taux auquel on pouvait porter les offres. Le comte de Flamarens entra dans le moment où ce plan venait d'ètre conclu, et s'assit modestement dans un coin de la salle. Mais il fut bientôt entouré de plusieurs de ces Messieurs, qui, sous différens prétextes, cherchaient à savoir quel était le motif de sa présence. Il répondit à toutes les questions d'un air mystérieux et préoccupé, qui ne laissa plus de doute sur les intentions qu'on lui supposait. Alors on crut que c'était le cas d'agir franchement par les grands moyens. L'un des associés sur le signe approbatif des autres, le tire en particulier, et après quelque préambule sur le peu de profits qu'on pouvait espérer des fermes, ne lui cacha pas que, s'il était ici, comme on pouvait le présumer d'après la manière dont il y était arrivé, l'organe d'une autorité supérieure, on la respectait trop pour vouloir la combattre; mais que si, 'sous une aussi grande protection, il ne paraissait que pour son intérêt personnel, il était chargé de lui offrir cent mille écus pour se retirer. Le Comte ne balança pas à avouer que c'était uniquement son intérêt personnel qui l'avait amené en ce lieu. Le marché fut

bientôt conclu, et il se retira emportant une somme qui le mit en état d'acheter une grande charge à la Cour, et d'y établir sa famille, qui s'est constamment distinguée par ses services militaires et par la dignité avec laquelle plusieurs de ses membres ont rempli les premières fonctions de l'Eglise.

CE même Barjac, si attaché à ses maîtres, disposant par la faveur du Cardinal des premières places de l'Etat, et voyant, pour ainsi dire, à ses pieds les plus grands Seigneurs du royaume, avait conservé sa première simplicité, et n'avait jamais oublié sa médiocre origine.

Passant un jour par une ville de province, un ancien militaire, décoré de la croix de Saint-Louis, et portant le même nom, se crut, ou feignit de se croire son parent, et se présenta à lui en réclamant l'honneur de ce titre. << Monsieur, lui dit Barjac, êtes» vous gentilhomme ? Oui, Monsieur;

» et même d'une ancienne maison.

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En ce

» cas, je n'ai pas l'honneur d'ètre votre >> parent; car je suis roturier autant qu'on » peut l'être : mais le désir que vous voulez

D

» bien me témoigner d'ètre de ma famille, quoiqu'il ne m'appartienne en aucune » manière d'y prétendre, me donne celui de vous être utile autant qu'il sera en mon pouvoir; et si j'en trouve l'occasion, je » la saisirai avec plaisir. » Peu de temps après il vaqua un petit commandement qui lui parut parfaitement à la convenance de cet officier, étant près du lieu qu'il habitait, et Barjac le lui procura; mais en le priant de nouveau de ne pas se mésallier en réclamant sa prétendue parenté avec lui.

Nous nous sommes écartés trop longtemps d'une classe intéressante, celle des Ministres, dont quelques uns fournissent aux souvenirs des anecdotes dignes d'être recueillies.

M. de Laverdy, nommé contrôleur-général par la protection de la marquise de Pompadour, devant être présenté au Roi en cette qualité, et ne pensant pas que sa Majesté dût lui parler de tout autre objet que de celui des finances, avait préparé toutes ses réponses de manière à ne pouvoir être em→ barassé, et se croyait aussi ferme qu'un

écolier qui va soutenir thèse. Au moment où on le nomme, le Roi, qui ne voulait lui dire quelques mots que pour lui donner un signe d'attention, se tourne de son côté, et après l'avoir considéré fixement, selon son usage, lui demande si les boiseries du sallon au contrôle général sont dorées. C'était de toutes les questions possibles celle à laquelle M. de Laverdy s'attendait le moins. Il fut déconcerté et répondit en balbutiant: « Sire, » je ne le sais pas, je n'y ai pas pris garde ;» et le Roi parla à une autre personne.

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La Marquise, furieuse de ce qu'elle appelait l'ineptie de son protégé, le gronda très-sérieusement de son ridicule embarras de la sottise qu'il avait eue de croire que le Roi allait lui parler publiquement de finances, et de la réponse niaise qu'il avait faite et qui heureusement n'avait pas été entendue. << Sachez, Monsieur, lui dit-elle, » que le Roi examine les affaires dans son >> cabinet avec ses Ministres, qu'il les fait » discuter en sa présence dans son Conseil, » et qu'en public il ne parle aux personnes qui ne sont pas dans sa familiarité que » pour leur donner une marque de préféa rence. Dans ce cas là, il vaut mieux

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