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à dîner trois ou quatre de ses amis, lorsqu'on lui remit une lettre qui lui parut fort singulière. Elle était d'un notaire bien connu dans la capitale, qui le pressait de se rendre chez lui, ayant à lui communiquer une affaire très-importante pour sa fortune. Il montra cette lettre à ses amis, en leur annonçant qu'il n'irait point à ce rendezvous; que ne faisant son commerce que sur ses propres fonds, achetant toujours comptant, ne vendant point à crédit, il n'avait aucune affaire, et que s'agissant probablement d'objets de spéculation, dans lesquels il ne voulait pas entrer, il ne se mettrait pas même dans la possibilité d'être tenté. Ses amis lui représentèrent, qu'ignorant ce dont il s'agissait, ses conjectures pouvaient être fausses; qu'il ne risquait rien de se présenter chez ce notaire; et que si les propositions qu'on lui ferait ne lui plaisaient pas, il serait toujours à même de les refuser et de se retirer. L'un d'eux lui offrit de l'accompagner, et on le pressa tellement, qu'enfin il céda. Le notaire lui demanda s'il était M. N. D'Albepierre, né à Lyon, demeurant à Paris dans telle rue, parent de M. Rollin, fermier - général. Sur les

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réponses affirmatives, il lui annonça que son oncle était mort, et que par son testament le nommant son héritier, il lui laissait une fortune de plus de cinq cent mille livres, déposée en ses mains, grevée d'environ quatre-vingt mille livres de legs. M. D'Albepierre accepta avec reconnaissance cette succession bien inattendue; et fidele à sa résolution de n'avoir d'autres affaires que celles de son commerce, il pria le notaire de se charger de tous les détails de la liquidation. Enfin il en tira plus de quatre cent mille francs. Quelques années après, il quitta son commerce, réalisa ses fonds, qui lui produisirent une somme aussi considérable, et avec une fortune d'environ neuf cent mille livres, il revint s'établir dans sa patrie, qu'il n'avait pas revue depuis plus de quarante ans. Il n'y trouva que des parents fort éloignés, mais dans la détresse, et sur lesquels il se fit un plaisir de répandre ses bienfaits, ne se réservant pour lui-même que ce qui lui était nécessaire pour vivre dans l'état de médiocrité dont il avait pris l'habitude.

La société avec laquelle il était lié, l'ayant conduit par hasard dans une partie de cam

ainsi lui dit : « Monsieur, voudriez-vous >> bien vous tourner de l'autre côté ?

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Pour

» quoi donc, Monsieur? - Puisque vous me » forcez de l'avouer, Monsieur, c'est que je » suis peintre, et mon camarade qui est dans » la tribune à gauche, chargé par une jolie » dame de faire votre portrait, me fait signe sur l'attitude dans laquelle il voudrait vous saisir.» M. de L'Etorrière doute d'autant moins de la vérité de cette assertion, qu'il apperçoit en effet en haut un homme qui avait les yeux sur lui, et auquel il crut voir un crayon en main. A mesure qu'il se sent touché, il a grand soin de prendre la position qu'il croit lui ètre indiquée. Quelques minutes après, son voisin lui dit : « Monsieur, je vous suis obligé ; ne vous gêneż plus c'est fait.

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Ah! Monsieur, réplique le Marquis, on » ne peut être plus leste. » Le prétendu peintre s'esquive dans la foule, et M. de L'Etorrière, fouillant dans ses poches, s'apperçut que l'histoire du portrait n'avait été qu'une ruse pour lui voler sa bourse, sa montre, sa boîte, et tout ce qu'il avait de bijoux sur lui.

DEUX jeunes personnes, cousines germaines, intimément liées ensemble, et toutes deux établies à Tours, se trouvaient bien malheureuses, l'une auprès du sieur Donat, son mari, homme avare, brutal et extrèmement jaloux; l'autre, nommée Lucie auprès de ses parents qui voulaient la forcer d'épousér un homme du même genre. En se racontant mutuellement leurs peines, leurs petites têtes nourries d'idées romanesques s'exaltèrent; et trop étourdies pour réfléchir sur le scandale et les conséquences de leur conduite, elles résolurent de prendre ensemble la fuite. Elles partirent en effet munies de tous les papiers qui pouvaient constater leur existence civile, sans oublier de prendre chez elles l'argent .nécessaire, soit pour leur voyage, soit pour leur établissement,et prirent la route de Nantes, sur laquelle elles étaient bien sûres qu'on ne viendrait pas les chercher. Mais à peine arrivées dans cette ville, la jeune Lucie tomba dangereusement malade, et succomba en peu de jours, malgré les soins vigilants de sa cousine. Celle-ci, tout en regrettant vivement son amie, crut trouver dans ce malheureux évènement une occasion de se mettre encore

mieux à l'abri des poursuites que son mari ne manquerait pas de faire contre elle. Elle s'empare des papiers de sa parente, met dans les poches de la defunte les siens, avec son contrat de mariage, et la fait inhumer sous son propre nom, comme épouse de Donat, ayant grand soin de déposer, d'après un inventaire en règle, le contrat de mariage, avec les effets qui pouvaient aider à sa supercherie; et sûre que le tout, accompagné de l'extrait mortuaire, sera envoyé à son mari, immédiatement après son départ, elle s'embarque pour S.t-Domingue. A son arrivée, elle s'établit au Cap en qualité de marchande de modes, sous le nom de sa défunte cousine Lucie, et y fait en peu de temps une fortune considérable.

Cependant, quelques années après, des affaires de commerce forcent le mari, qui se croyait bien veuf, à aller dans ce même pays, et il est fort étonné d'y retrouver sa femme très-brillante. Il veut la réclamer; mais préférant encore sa liberté au cri de sa conscience, qui la rappelait à l'indissoluble engagement qu'elle avait contracté, elle lui soutient avec effronterie qu'il prétendrait inutilement la faire passer pour sa malheu

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