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M. de S.t-Marc se vantait chez Voltaire d'avoir une mémoire tellement familiarisée avec la littérature, qu'on ne pourrait pas lui citer deux vers de suite du théâtre moderne qu'il ne dit de quelle pièce ils étaient. On fit en effet plusieurs essais dont il se tira très bien. Madame Denis, nièce de Voltaire, crut l'embarrasser en lui en citant deux qu'elle composa à l'instant. Il réfléchit un moment, et dit : « Ah! je les recon»> nais; ils sont de la Chercheuse d'esprit. » ( petit opéra-comique sous ce titre. ) La confusion de madame Denis ne laissa plus de doute sur la découverte de l'auteur.

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MADAME la duchesse de Penthièvre étant à Seaux, et le curé du lieu étant venu lui faire sa cour, elle le fit asseoir sur un fauteuil à côté d'elle. Le bon curé, en baissant les yeux, apperçoit un morceau de linge qui lui parait sortir de sa culotte, et croit que c'est sa chemise. Il s'empresse de le renfoncer en couvrant bien ses mains avec son

grand chapeau. Le moment d'après il voit encore la même chose

:

et recommence

jusqu'à ce qu'il ne parût plus rien. Un jeune page, qui n'avait pas perdu de vue ce petit manége, et qui s'en était fort amusé, voyant la princesse tourner la tête de côté et d'autre, lui dit : «< Votre Altesse cherche-t-elle quelque >> chose? Oui c'est mon mouchoir que je croyais avoir à côté de moi. - Madame, il » était sur ce fauteuil, et monsieur le Curé » vient de le mettre dans sa culotte. » L'embarras du bon vieillard, qui s'apperçut alors de sa méprise, et ne savait comment l'expliquer, fut égal aux ris immodérés de la Princesse.

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LE Chevalier de Courten, officier-général et lieutenant-colonel des Gardes-Suisses, était recherché dans toutes les sociétés de Paris et de Versailles, qu'il amusait par une gaîtét aimable, et par une quantité d'histoires originales, dont il semblait qu'il eut un recueil intarissable. Il se plaisait surtout à raconter les naivetés de ses compatriotes.

Il disait, que faisant faire l'exercice à feu à sa compagnie, et ayant donné à chaque

homme une douzaine de cartouches à tirer un de ses soldats avait un fusil en si mauvais état, que ce ne fut qu'à la septième charge que le feu prit. La violence du coup fut telle, que l'homme tomba d'un côté, et l'arme de l'autre. Des soldats relèvent leur camarade et le sergent va pour ramasser le fusil. — Ah! » mon sergent, cria le bon Suisse, n'y touchez » pas, il a encore six coups à tirer. »

Le jour de la Fête-Dieu, les tapisseries des Gobelins étant tendues à Versailles le long d'une rue pour le passage de la procession, depuis dix heures jusqu'à midi, M. de Courtèn, pour empêcher que des indiscrets les touchassent, dit à un Suisse de sa compagnie : « Promène-toi depuis ici jusqu'à l'église. » Voilà une baguette que tu tiendras à la » main : tu ne feras semblant de rien, et » tu la remueras toujours. Mais il ne crut pas » nécessaire de lui dire que lorsqu'on aurait » enlevé les tapisseries, il pouvait se retirer. » Passant par hasard dans cette même rue, après neuf heures du soir, la retraite » ayant été battue depuis long-temps, il ар>> perçut son Suisse qui continuait de se pro» mener, remuant toujours sa baguette. » Eh! qu'est-ce que tu fais là, un tel, lui

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» demanda-t-il? Mon colonel, je fais » semblant de rien. » Faire semblant de rien en se promenant, et remuant sa baguette; avait paru au soldat l'essentiel de sa consigne.

Il racontait, qu'ayant amené à Versailles. un domestique de son pays tout fraîchement arrivé de ses montagnes, et qui avait la plus grande envie de voir le Roi, il lui permit de prendre un habit bourgeois, et le plaça lui-même dans la galerie au moment du passage pour la Messe. Au retour, il lui demanda s'il avait bien vu le Roi?« Ah! parfaitement, » Monsieur. Et à quoi l'as-tu reconnu ?

-Oh! cela n'est pas difficile : à sa calotte >> rouge, » Le bon Suisse n'avait pas imaginé qu'un Monarque pût être habillé comme les Seigneurs de sa cour; et ayant vu le cardinal de Rohan distingué par sa calotte rouge et sa belle figure, il n'avait pas douté que ce ne fût le Roi, et avait tenu constamment les yeux attachés sur lui.

M. de Courten ne s'épargnait pas lui-même dans ses narrations. Il se plaisait à montrer un passeport portant son signalement, qui avait été dicté à la frontière par un officier suisse, et écrit bien littéralement par un secrétaire qui ne sayait pas mieux le français

que son maître. Voici le terme de ce signalement, dont l'orthographe était proportionnée au style. «Grand, pas tant grand, gros, pas » tant gros, laid de fisage, oulcéré de petit » ferole, mal fait de quilotte, pardon,

>> Monsié. >>

Le Chevalier de Courten était accueilli très-familièrement chez madame la comtesse de Brionne. Cette princessse s'était crue obligée d'engager à dîner un personnage fort singulier. C'était un gentilhomme Breton, de S.t-Malo, si taciturne, qu'il ne faisait jamais de questions, et répondait à peine par des monosyllabes à celles qu'on lui adressait. La Princesse défia le Chevalier de le faire parler, et il accepta le défi. Il se mit à table à côté de cet original, affecta de lui faire les honneurs. << Quel potage

» mangerez-vous ? Riz. Quel vin >> préférez-vous ? Blanc.» Dix questions de ce genre obtinrent des réponses. à peu près pareilles. Il commençait à se décourager, quand il imagina qu'il réussirait mieux en lui parlant de sa patrie. << Monsieur, vous êtes de S.t - Malo? Oui. -Est-il vrai que cette ville est gardée par des chiens? Oui,

>>

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-Oh! cela est bien

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