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Aussitôt l'Archevêque ordonne qu'on applique une échelle contre la fenêtre indiquée, et propose deux mille écus de récompense à celui qui sauvera cette infortunée créature. Personne n'ose s'exposer à un danger aussi imminent : mais la vraie charité ne connaît point de péril. Le saint Prélat s'entoure d'un drap mouillé, fait le signe de la croix, monte à l'échelle, pénètre au travers des flammes, reparaît portant l'enfant sous son bras, et le remet à sa mère au milieu des acclamations et des bénédictions du peuple : les parents se prosternent à ses pieds. « Mes amis, leur dit» il gaiement, j'ai gagné les deux mille écus; il est bien juste que l'enfant que j'ai sauvé et qui par-là est devenu celui de mon adoption, en jouisse. Je les place sur sa tête, et tout de suite il s'éloigna pour se soustraire à leurs remerciments.

La vénération publique s'étendait à juste titre sur tous les membres de cette famille, et le comte d'Apchon, lieutenant-général des armées du Roi, et frère de l'archevêque d'Auch, la méritait personnellement par grands services militaires et par des vertus

de

qui ne s'étaient jamais démenties. Son mérite si généralement connu, sa naissance et la place qu'il avait eue de gouverneur d'un Prince du sang, place ordinairement récompensée par le cordon bleu, tout semblait lui assurer une distinction aussi flatteuse. Mais il n'était pas courtisan, et ignorait l'art de solliciter des grâces. Cependant le premier janvier 1784, le Roi nomma vingt-un chevaliers des ordres, promotion la plus nombreuse qui eût été faite jusqu'alors. On en lut publiquement la liste à la porte de la chambre du Roi selon l'usage.Elle fut écoutée dans le plus grand silence. Mais quand on vit que M. d'Apchon n'y était pas compris ce fut un murmure unanime d'improbation, dont il était impossible que le bruit ne parvînt pas jusqu'à Sa Majesté. Le lendemain, tout Paris (pour ainsi dire) se porta chez le comte d'Apchon, pour lui faire un compliment bien plus flatteur que s'il eût été pour şa nomination, puisque chacun aspirait à être l'interprête du vœu et des regrets publics. Enfin, l'affluence fut si grande à son hôtel, et l'enthousiasme général si vivement exprimé, qu'il n'y eut pas un des nouveaux chevaliers qui n'eût préféré d'être oublié à ce

prix-là.

prix-là. La modestie du comte d'Apchon ne se démentit pas dans une occasion aussi délicate. Le Roi lui-même lui en témoigna sa satisfaction, en lui promettant de réparer bientôt cet oubli involontaire; et trois mois après il fut nommé chevalier des ordres par une promotion particulière.

LE parallèle s'établit naturellement entre la famille d'Apchon et celle de la Féronays, qui s'est également distinguée par les services militaires et les vertus apostoliques.

De quatre frères, trois connus par des talents supérieurs, sont devenus officiersgénéraux, et l'autre placé dans l'état ecclésiastique, a passé successivement à l'évêché de Bayonne et à celui de Lisieux.

L'abbé de la Féronays annonça dès sa plus grande jeunesse cette simplicité naïve et gaie qui, jointe ensuite à la plus grande instruction de son état, lui a concilié l'estime et la vénération de tous ceux qui l'ont connu, soit en France soit dans les pays étrangers, où la persécution la plus cruelle l'a forcé d'aller terminer sa carrière.

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Etant au collège, chargé à son tour de

Tome I.

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faire la lecture pendant le repas il trouva ces mots on lui coupa le col, et prononça comme cela était écrit. Le préfet du réfectoire lui cria, recommencez, et lisez comme s'il y avait un u: on lui coupa le cul, le cul, reprit

le jeune homme.

A l'âge de quatorze ans, faisant un voyage avec son frère aîné, beaucoup plus âgé que lui, et qu'il respectait comme un père, ils s'arrêterent pour coucher dans une auberge. Le lendemain matin il entre dans la chambre de son frère, et voyant qu'il était encore endormi, il allait se retirer, quand il apperçut au travers des vitres une pie sur un arbre. Il ne peut résister à l'envie d'exercer son adresse, ôte ses souliers, s'empare doucement d'un fusil qui était au chevet du lit, ouvre la fenêtre avec les plus grandes précautions, mét en joue et tire. Le comte de la Féronays se réveille en sursaut, en s'écriant : «Qu'estD ce done que cela? Ah, mon frère, » répond naïvement l'Abbé, je vous demande

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pardon c'est peut-être moi qui vous ai » réveillé ? j'ai cependant fait bien douce

» ment.

Etant séminariste, et passant sur le pont Notre-Dame à Paris, il fut abordé par un

recruteur qui, voyant un jeune homme de cinq pieds sept à huit pouces, avec une physionomie fort simple, imagina que c'était pour son métier une proie aussi avantageuse que facile, lui proposa de s'engager, et le pressa d'entrer avec lui dans une chambre particulière d'un café voisin. L'Abbé, qui reconnut à l'instant l'uniforme du régiment dont le comte de la Féronays était colonel, se prêta d'autant mieux à ses instances, que l'idée de la méprise lui parut plaisante, et qu'il espéra, au moyen de cette espiéglerie, attrapper sept ou huit louis à son frère, qui serait obligé de rendre le prix de son engagement. Il fit nombre de questions sur le régiment, et particulièrement sur le colonel. Mais le recruteur lui parla avec tant d'enthousiasme de ce digne chef, lui en fit de si bonne foi les plus grands éloges, lui disant qu'il n'était que l'écho du sentiment de tous les soldats français, qui le regardaient comme leur modèle, leur père et leur ami : il s'étendit enfin avec une si véritable effusion de cœur sur un sujet aussi intéressant, qu'il ne ne fut pas possible à l'Abbé, de pousser plus loin son projet de plaisanterie. En versant des larmes d'attendrissement, il avoua

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