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des mémoires de son père, se plaint amèrement d'ètre née vingt ans trop tard, et d'avoir été privée, par cette erreur de la nature, du bonheur de l'épouser.

Une des œuvres les plus extraordinaires de monsieur et madame Necker est en effet madame de Staël qui, aspirant à tout prix à la célébrité, a cru se distinguer dans la république des lettres, au moyen de quelques productions inintelligibles, ou immorales dont tous les journaux se sont accordés à faire la justice la plus éclatante.

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On peut d'ailleurs juger de son esprit par la tournure de celui qu'elle affectait dans la société, et de sa morale par les principes philosophiques qu'elle se faisait gloire d'adopter hautement.

Peu de jours après son mariage, se trouvant chez sa mère vis-à-vis d'un cercle nombreux : « Eh bien, ma fille, lui dit

madame Necker, comment va l'amour ? >> - Ah, maman, vous savez bien que Vous » m'avez fait le cœur en pain de sucre; la >> base est pour l'amitié, il n'y a que la pointe pour l'amour. Cette dame, dit le » chevalier de Boufflers présent à ce dialogue, >> finira par prendre des amans à mi-sucre. »

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Tome I.

2

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Un jeune homme, qui avait l'avantage d'être admis dans sa société, la rencontrant

au moment où elle allait monter le grand escalier de Versailles, s'avance avec empressement, en disant : «< Madame, permettez » que j'aie l'honneur de vous offrir la main. Monsieur, répondit-elle en se retirant » avec dignité, je refuse l'honneur ; puis se rapprochant avec un sourire aimable, et » j'accepte le plaisir.

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Plusieurs petits traits de ce genre peuvent donner quelqu'idée de l'esprit de madame de Staël; mais pour juger de son génie philosophique, il faut la voir sur un plus grand théâtre.

En 1789, M. de la Fare, évêque de Nancy, chargé de faire un discours chrétien à la cérémonie de l'ouverture des états-généraux, remplit les vœux de son auguste auditoire, en démontrant, avec l'éloquence digne d'un aussi grand sujet, la nécessité et les avantages de la religion pour le maintien de l'ordre public dans les empires. Ce même jour M. Necker avait invité à dîner M. le cardinal de la Rochefoucault, M. l'évêque de Luçon, plusieurs députés des deux autres ordres, et les convives, au nombre de vingt-.

quatre,

Ah!

étaient depuis quelque temps à table, quand M. Mounier, fort lié avec le Ministre, arriva dans la salle. Après les excuses ordinaires sur son retard, il se plaça au bout de la table en face de madame Staël, qui, profitant du moment de silence qui avait succédé à ce petit dérangement, lui adressa ainsi la parole : « Monsieur Mounier, » vous avez sûrement écouté avec attention » le discours de M. l'Evêque de Nancy; com»ment l'avez-vous trouvé? - Madame, tel qu'il devait être, aussi fondé en principes » que bien adapté à la circonstance. » vous ne dites pas ce que vous en pensez. Quoi, l'orateur a voulu nous persuader » que la religion est la première, la plus » sûre et mème l'unique base des Gouver» nemens! oh, nous sommes trop déniaisés » dans ce siècle-ci pour donner encore dans » de pareilles chimères. » A ces mots, tous les yeux se baissèrent, et l'on dut être étonné que l'auteur des opinions religieuses n'imposât pas silence à sa fille. Le Cardinal extrêmement sourd, eut le bonheur de ne pas entendre ce propos, qui l'eut forcé de quitter à l'instant la maison du Ministre ; et M. l'évêque de Luçon eut la prudence

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de ne pas le relever, afin d'éviter le scandale trop public qui en aurait résulté. Mais on put juger dès lors quel rôle important jouerait une telle femme dans les projets des factieux.

A ne considérer madame de Staël que relativement aux ridicules qu'elle, portait en société, on la trouvera parfaitement dépeinte dans l'épigramme suivante par M. de Champ

cenetz.

Armande a pour esprit l'horreur de la satyre
Armande a pour vertu le mépris des appas,
Elle craint le railleur que sans cesse elle inspire:
Elle évite l'amant qui ne la cherche pas.
Puisqu'elle n'a pas l'art de cacher son visage,
Et qu'elle a la fureur de montrer son esprit,
Il faut la défier de cesser d'être sage,
Et d'entendre ce qu'elle dit.

Après le tableau des opérations cupides de M. Necker; après le récit des ridicules absurdes de sa femme et de sa fille, on se reposera sans doute avec quelque plaisir sur le détail des hasards heureux qui ont établi la fortune d'une famille intéressante par elle-même, et recommandable services qu'elle a rendus à l'état.

par

les

Le comte de Flamarens, après avoir rempli avec honneur sa carrière militaire, s'était retiré dans sa province, ou une honnète aisance lui permettait de soutenir avec économie la dignité de son nom. Un procès qu'il avait déjà gagné dans plusieurs tribunaux, porté au Conseil par sa partie adverse, le força de faire le voyage de Paris. Il marchait à petites journées avec ses chevaux. Passant par la forêt de Fontainebleau, il vit beaucoup de gens à cheval, qui, tous prenant une route de traverse, paraissaient avoir la même destination. La curiosité le porta à les suivre, sauf à s'écarter un peu de son chemin. Après avoir marché quelque temps, il arriva dans un grand rond, appelé le Fort de la Biche, où il trouva plusieurs hommes assez mal vêtus qui, ayant mis pied à terre, avaient attaché leurs chevaux à des branches d'arbres. Sa première idée fut de se croire au milieu d'une bande de voleurs, et la fuite lui paraissant impossible, parce qu'il voyait beaucoup de monde arriver encore par la seule allée qui put lui servir de retraite, il imagina que le meilleur moyen de se tirer d'affaire serait d'agir comme les autres, et de paraître ainsi être de leur

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