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son ancien et fidèle domestique, Claude Anet, qui ne voulut jamais l'abandonner et qui herborisait pour fournir à sa subsis

tance.

Dans le nombre de ceux qui vinrent implorer ses bontés à Annecy, se trouva J. J. Rousseau. Il lui fut adressé par M. de Pontverre, respectable ecclésiastique, comme un jeune homme qui, persuadé des vérités de la religion catholique, quittait Genève sa patrie, pour faire abjuration. Elle l'accueillit avec le zèle de la piété, le garda quelque temps chez elle pour s'assurer de la sincérité de ses dispositions, et lui fournit l'argent nécessaire pour se rendre à Turin où il abjura en effet publiquement. Il revint à Annecy, se plaça dans le séminaire comme aspirant à l'état ecclésiastique, dont il se dégoûta bientôt, entra chez un maître de musique, le quitta pour voyager, vint retrouver à Chambéry madame de Warens, prit auprès d'elle le goût de l'herborisation qui était alors sa passion dominante, se sépara d'elle pour entrer dans une maison de commerce, et tout-à-coup partit de Chambéry, emportant l'herbier de Claude Anet, ainsi que l'argent que madame de Warens lui avait

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généreusement prêté, et dont elle n'entendit

plus parler.

Rousseau n'a

Comment retrouver celle que pas craint de diffamer si cruellement, dans une femme qui, à Annecy, l'a accueilli avec tous les sentiments religieux que pouvait inspirer un intéressant néophite, et qui, en le confirmant dans ses pieuses résolutions, lui fournissait les secours nécessaires pour les aller accomplir loin d'elle? Pensera-t-on qu'elle ait changé totalement de mœurs et de conduite à Chambéry, celle qui, âgée alors de près de cinquante ans, regardait Rousseau comme son fils, lui permettait de l'appeler maman, l'entretenait de lectures de piété, dont elle occupait uniquement ses loisirs, et composait avec lui cette sublime prière, qu'elle récita tous les jours de sa vie, dont tout le monde voulait avoir copie, et qui eût été l'arrêt de sa condamnation, si elle eût été prononcée dans le crime et l'hypocrisie ?

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<< Souveraine Puissance de l'univers, être >> des êtres, sois-moi propice. Jette sur moi un œil de commisération : vois mon cœur ; » il est pur, il est sans crime. Je mets toute » ma confiance en ta bonté infinie, tous » mes soins à m'occuper de ton immensité,

» de ta grandeur, de ton éternité. J'attends sans crainte l'arrêt qui me séparera des » humains. Prononce, termine ma vie, et

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je suis prête à paraître aux marches de ton » trône pour y recevoir la destinée que tu » m'as promise en me donnant la vie, et » que je veux mériter en faisant le bien, en accomplissant ta loi.

>>

Sont-ce là les expressions de la femme coupable? Et ces mots si simples, et sur lesquels la sensibilité s'arrête involontairement ; vois mon cœur, il est pur, il est sans crime; ces mots si touchants, ne sont-ils pas le cri de l'innocence, qui n'a aucun doute sur sa félicité ?

MADEMOISELLE de Tr.***, étant au couvent à l'âge de quatorze ans, demanda ce que signifiait l'épithète hermaphrodite, qu'elle avait remarquée dans ses lectures? Soit par simplicité, soit pour éluder une réponse précise, la bonne religieuse, à laquelle elle s'adressait, lui dit que ce mot servait à désigner une personne qui n'était ni laide, ni jolie. Peu de temps après sa mère vint la voir, accompagnée d'un jeune homme qui était

son parent, et qu'on lui destinait pour époux. Le galant militaire s'extasia sur la charmante figure de sa cousine, et la loua excessivement. «Oh! mon cousin, lui répondit-elle, d'un air modeste, je ne mérite pas tous ces éloges; je suis hermaphrodite.

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MONSIEUR de Cypierre, fils de l'intendant d'Orléans, devait épouser Mademoiselle de L***, âgée de douze à treize ans. Quand on eut fait part à la jeune personne de la décision de ses parents, elle alla bien vîte raconter cette nouvelle à ses petites compagnes, et confondant tout ce qui lui avait été dit, elle assurait qu'elle épousait M. D'Orléans, intendant de Cithère. Immédiatement après la cérémonie, elle ne trouva point étonnant qu'on la fit rentrer au couvent, ainsi que les parents en étaient convenus, jusqu'à ce qu'elle fut nubile ; mais en faisant ses adieux à son mari qui l'avait accompagnée : << Monsieur, lui dit-elle, vous » n'oublierez pas de me faire sortir pour mes » couches. >>

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LE Comte de Charolais, prince du sang, avait conservé toute la vivacité de ses passions dans un âge déjà avancé ; mais il savait les modérer, dès que la réflexion venait à son secours. Ayant apperçu chez madame de Lassone sa maîtresse un jeune mousquetaire, qu'il lui avait défendu de recevoir, il le poursuivit l'épée à la main. Le mousquetaire arrêté au haut d'un escalier par une porte fermée, mit à son tour l'épée à la main, en lui disant Monseigneur, vous me forcez à défendre ma vie : je serais au désespoir de mettre la vôtre en danger. » Le Prince, qu'on ne pouvait certainement pas accuser de lâcheté, sentit en ce moment toute sa faute et s'écria « j'ai tort, Monsieur, et je veux le réparer en cherchant l'occasion de vous être utile. Acceptez mon épée pour gage de ce désir et de la satisfaction qui vous est due. Epargnez-moi, je vous prie, le pénible souvenir de ma vivacité, en ne reparaissant plus dans cette maison; mais veuillez m'en dédommager en venant me voir. » Le mousquetaire profita avec reconnaissance des avantages qui lui étaient offerts si loyalement; et le Comte de Charolais, qui trouva en lui un sujet susceptible

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d'avancement,

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