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nuellement au sein de leur patrie. Il s'égayait particulièrement sur la morgue des plus pauvres habitans qui se croyaient autant de souverains. Un jour qu'il avait chez lui une nombreuse assemblée de Genevois, on le vit revenir de ses jardins extrêmement ému. On s'empressa de lui demander ce qu'il avait? « Je viens, répondit-il, de faire chasser à coups de fouet cinq ou six petits rois tout déguenillés qui me volaient mes pommes. >> Voltaire semblait être né avec un tempé

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rament très-faible cependant il a poussé sa carrière jusqu'à un âge fort avancé. Mais à la fin il était sujet à des maladies aiguës, que lui-même croyait être le terme de ses jours. On assure qu'en ces moments-là, la crainte du redoutable avenir, qu'il n'avait que trop mérité, le ramenait à des sentiments religieux bien opposés à ceux dont en santé il se glorifiait d'être l'apôtre. C'est sans doute dans une de ces crises, qu'il écrivit une profession de foi, à la vérité fort ambigue, qui fut trouvée après son décès dans un tiroir de son bureau, à Ferney. Elle est conçue en ces termes :

Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition. VOLTAIRE.

Chacune des expressions de ce petit écrit, serait susceptible de grands commentaires, soit relativement à elles-mêmes, soit relativement à leur liaison avec les principes trop connus de l'auteur. J'abandonne cette discussion à la sagacité du lecteur, et me contenterai de dire, que ce morceau original, non daté, mais écrit et signé de la main de Voltaire, et qui, par le rapprochement des circonstances de sa santé, paraît avoir précédé de peu de temps son voyage à Paris, où il mourut, existe à présent dans un cabinet particulier, où il est soigneusement encadré, non, certes, comme monument religieux, mais comme objet précieux par sa singularité.

LES plaisanteries de Voltaire sur la souveraineté individuelle des Genevois, rappellent le mot de M. le comte de Bauteville qui avait été envoyé par le Roi de France pour appaiser par le raisonnement, s'il était possible, sinon par les menaces, et même par la force des armes, les dissensions qu'avaient fait naître parmi eux les prétentions des différentes classes de ces républicains.

Une troupe de comédie s'étant établie à cette époque à la Châtelaine dans un local dépendant de la France, et à un quart de lieue de la ville, les Genevois, d'autant plus affamés de spectacles, qu'ils étaient défendus chez eux, y couraient en foule. M. de Bauteville s'y présenta, et se plaça sur un fauteuil qu'on lui avait préparé à la première place à côté du théâtre. Cette distinction déplut au parterre, presque tout composé des natifs, c'est-à-dire, de la portion du peuple la plus tumultueuse, et aux prétentions de laquelle le Ministre s'était montré le plus opposé dans sa mission. On cria A bas le fauteuil à bas M. de Bauteville. Alors celui-ci se lève, et regardant le parterre avec hauteur et fermeté : « Magnifiques Seigneurs, s'écria-t-il, (c'était » la qualification qu'on donnait au rassem»blement des citoyens genevois) vous oubliez » que vous êtes ici sur le territoire de France. » Le premier d'entre vous qui trouble l'ordre public, je le fais mettre au cachot. »>< Dès ce moment, le bruit cessa, tacle fut tranquille.

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J.-J. Rousseau a été quelque temps secrétaire de M. de Montaigu, ambassadeur de France à Venise. Il était encore bien éloigné de la grande réputation que lui ont procurée depuis ses sublimes et dangereux écrits. Mais il annonçait déjà ces écarts d'un caractère fantasque, par lequel lui-même s'est rendu si malheureux. M. de Montaigu, qui avait servi dans le régiment des Gardes-Françaises, ayant appris à Venise que M. le duc de Biron venait d'ètre élevé à la dignité de maréchal de France, et voulant lui en faire compliment, ordonna à son secrétaire de lui faire pour son ancien chef une lettre telle qu'elle convenait de la part de celui qui avait eu l'honneur de servir sous ses ordres, et qui par ses fonctions actuelles, se trouvait à présent en quelque sorte rapproché de lui. Soit que Rousseau se laissât dominer par les idées serviles de la carrière qu'il avait parcourue jusqu'alors, soit qu'il n'écoutât que le caprice de son imagination, il composa la lettre la plus soumise, la plus basse, et vint la présenter à la signature de l'Ambassadeur qui, après l'avoir lue, la déchira, en le grondant fort de son ineptie, et lui en demanda une autre plus digne de son

caractère public. Rousseau fit une seconde lettre, mais si haute, si impertinente, que, bien loin de l'admettre, M. de Montaigu s'emporta, et renvoya l'auteur comme un homme dont il était impossible de faire quelque chose.

Tel est le vrai motif pour lequel Rousseau s'est laissé aller à son humeur irascible contre M. de Montaigu, et en a parlé défavorablement dans ses Confessions.

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Quelques années après, M. de Montaigu, de retour à Paris, se trouva à l'opéra un jour qu'on représentait le Devin de village. Enthousiasmé de cette pièce, il demanda quel en était l'auteur? «< « Vous devez bien >> le connaître lui répondit - on; c'est » Rousseau, votre ancien secrétaire : il a >> fait les paroles et la musique. — Quoi, » cet imbécille, répliqua M. de Montaigu?» Ne le jugeant que d'après ce qu'il en avait vu chez lui, il ne se doutait guères que cet imbécille occuperait sous peu le premier rang

dans la littérature.

Je ne craindrai point de tracer ici le portrait de cet écrivain célèbre, qui, par la chaleur de son éloquence, s'est presque élevé à la hauteur de Bossuet, mais dans une

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