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à abuser maladròitement des adulations qu'on prodiguait à son art, et que l'amour-propre lui fit regarder comme dues à son mérite personnel.

M. le due d'Orléans (Louis) qui avait établi chez mad. la comtesse de Montesson une comédie de société, ayant entendu M. le Texier, ne douta pas qu'il ne dût jouer aussi-bien qu'il lisait, et l'engagea à être un des acteurs de son théâtre, ce qui fut accepté avec respect. Mais bientôt on s'apperçut qu'il prétendait dominer toute la société, et on le traita d'autant plus froidement que l'on vit que son talent sur la scène était beaucoup inférieur à celui qu'on lui reconnaissait pour la lecture. Cependant on convint de ne pas paraître faire attention aux tons qu'il affectait, par égard pour le Prince, et dans l'espérance de le faire renvoyer après la représentation de la pièce, dans laquelle il devait jouer un des principaux rôles.

Il s'agit un jour d'une répétition, que la maîtresse de la maison indiqua, avec le consentement de son Altesse, pour le lendemain à quatre heures après midi. M. le Texier promit de s'y rendre, demandant seulement la permission d'y paraître en déshabillé, ayant,

disait-il beaucoup d'affaires ce jour-là. Mad. de Montesson se contenta de répondre « Monseigneur y sera » et le Prince sembla l'approuver en gardant le silence: mais il ne fit pas semblant d'entendre ce que cela voulait dire, et répéta hautement la même demande. « Je vous ai déjà dit, Monsieur, répliqua mad. de Montesson, que Monseigneur y sera.»> Et elle prononça ces mots de manière à ne lui laisser aucun doute sur son indiscrétion. Il eut néanmoins l'impertinence de se présenter le lendemain en bottes et en redingotte; mais on avait prévu ce dont il était capable, et les ordres étant donnés en conséquence, porte lui fut refusée, et le suisse lui signifia de ne pas revenir.

la

Louis XV ayant entendu parler de ce talent extraordinaire, voulut en juger par lui-même, et fit dire à M. le Texier de se rendre le soir chez mad. Du Barry pour y faire une lecture en sa présence. Malheureusement le Roi, fatigué de la chasse, s'endormit profondément dès les premières scènes. Le lecteur piqué de cette indifférence, à laquelle il n'était pas accoutumé, donna sur la table un grand coup du plat de la main pour ranimer l'attention du Monarque, qui, se réveillant en sursaut, demanda,

demanda, qu'est-ce que cela ? Sire, répondit mad. Du Barry, c'est un geste un peu violent du lecteur. C'est bon, répliqua Sa Majesté; en voilà assez, en lui montrant la porte.

que

L'inconduite de M. le Texier dans la régie lui avait confiée la ferme générale, ayant éclaté de manière à compromettre sa liberté, il fut obligé de se refugier en Angleterre. Mais il sut y tirer parti de son talent avec assez d'adresse pour réparer avantageusement les torts précédents de la fortune. Dès qu'il crut être suffisamment connu à Londres pour exciter la curiosité de l'entendre, il annonça trois lectures par semaine, à une demie guinée par tête. Quelques prôneurs dont il s'était assuré le firent valoir avec chaleur, et ses séances furent suivies avec un empressement qui ne se ralentit point pendant plusieurs hivers consécutifs.

N'ayant plus rien à craindre des poursuites de ses anciens supérieurs, qui avaient tous été victimes de la révolution, il revint à Paris il y a quelques années, espérant que le souvenir de sa réputation lui procurerait les mêmes avntages qu'à Londres. Il ananonça des lectures publiques, eut d'abord des auditeurs ; Tome I.

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mais l'enthousiasme n'existait plus; son âge de plus de soixante ans, sa voix rauque et cassée ne présentaient plus les mêmes agréments, et son talent, devenu plus commun, surpassé même par beaucoup de lecteurs connus, ne servit qu'à jeter sur ses prétentions un ridicule que les journalistes ne manquèrent pas de publier.

Mademoiselle Clairon, qui avait été trèsconnue sous le nom de Fretillon, par la vie la plus licencieuse, et qui fit ensuite les délices de la capitale par ses sublimes talents sur la scène française; gâtée également par les applaudissements publics et les adulations de la société, se croyait entièrement indépendante de toute subordination. Elle fit un soir manquer le spectacle annoncé, en refusant de paraître sur le théâtre, parce que les gentilshommes de la chambre du Roi, chargés de la police des spectacles, n'avaient pas voulu renvoyer un acteur qui avait le malheur de lui déplaire. Elle fut en conséquence condamnée à passer un mois au fort l'Evêque, L'inspecteur chargé de la conduire, lui ayant présenté cet ordre : « Monsieur, lui dit-elle

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avec une dignité théâtrale, je ne peux me dispenser de me soumettre à l'autorité du Roi; il peut disposer de mes biens, de ma liberté ; de ma vie même; mais il apprendra qu'il ne peut rien sur mon honneur. Mademoiselle,

vous avez raison, répliqua l'inspecteur : où il n'y a rien le Roi perd ses droits.

Madame Bertier de Sauvigni, dont le mari occupait à Paris une charge importante de magistrature et d'administration, se donna maladroitement en spectacle dans cette occasion, en accourant toute en larmes chez l'actrice pour l'accompagner à la prison. Elle la fit monter dans sa voiture qui était un vis-à-vis, la mit sur ses genoux, parce qu'il y fallait une place pour l'inspecteur, et la mena ainsi en triomphe au fort l'Evêque.

POINCINET, connu dans la littérature par le succès de sa comédie du Cercle, celui de quelques opéras comiques, la chûte de plusieurs autres, et plus encore dans la société par les mistifications dont il fut l'objet, avait des réparties aussi vives que saillantes par leur gaîté, dès qu'animé par la présence de plusieurs personnes, il désirait mériter

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