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que

tenants autrefois à sa famille, cherchait à l'en faire dédommager amplement par quelconcession du Grand-Seigneur; et parmi les sociétés crédules dont il s'était entouré de préférence, il trouvait aisément des gens de bonne foi qui, sur cet espoir, lui faisaient des avances pour le soutenir dans le rang qu'il s'était arrogé.

Ayant soin de voir régulièrement les ministres, il ne manqua pas de se présenter avec beaucoup d'assurance chez M. de Malesherbes dès qu'il fut en place, et en fut reçu avec honnêteté. Mais un ancien valetde-chambre de ce ministre, l'ayant examiné attentivement, le reconnut pour le maître d'école auquel il avait confié l'éducation d'un de ses neveux, et se hâta d'en prévenir son maître qui, irrité de l'impudence d'un tel homme, fit demander à la police tous les renseignements qu'on pourrait avoir sur son compte. Par le moyen de quelques Italiens, témoins à Rome de son départ précipité et des informations faites à son égard, il fut facile de remonter à son origine, et de connaître toute sa vie. M. de Malesherbes, bien sûr alors qu'il ne se trompait pas, ne voulut cependant pas faire un éclat qui

aurait divulgué la facilité trop confiante de la cour. Il se contenta de lui faire enjoindre par la police de quitter les faux titres qu'il avait pris, ainsi que les décorations qu'il avait arborées, et de sortir tout de suite de Paris, en l'avertissant que partout où il se trouverait, il serait exactement surveillé. Le prétendu prince de Scio, redevenu Justin Sciol, exécuta d'autant plus promptement cet ordre, qu'il pouvait craindre d'être traité plus rigidement, et que la nécessité de son éloignement favorisait celle où il était de se mettre à l'abri de plusieurs créanciers qui, le voyant dépouillé de son titre, n'auraient pas manqué de réclamer sévèrement les sommes qu'ils lui avaient prêtées pour l'aider à le soutenir.

Le plus fameux danseur de l'opéra, Vestris le père, qui se laissait appeler le Diou de la danse, qui disait hautement : « Je ne connais que trois grands hommes en Eourope, le roi de Prousse, Voltaire et moi », et dont les ridicules surpassaient encore les talents, Vestris répondait à quelqu'un qui le louait sur le bonheur d'obtenir les suffrages una

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n'est pas roses dans mon état. En vérité, il est des moments où je préférerais celui de simple capitaine de cavalerie au mien.» Et l'on sait qu'à cette époque les plus grands seigneurs se faisaient honneur d'obtenir l'agrément d'une compagnie de cavalerie.

Vestris avait eu de mademoiselle Allard, danseuse à l'opéra, un fils qui fut long-temps connu sous le nom de Vestrallard, et qui, élevé avec beaucoup de soins dans l'art que ses parents possédaient si parfaitement, a fini par surpasser ce qu'on croyait inimitable. Son père, voulant récompenser et encourager le talent par lequel il se distinguait déjà à l'âge de dix-huit ans, crut l'honorer beaucoup en lui

permettant, pour ses étrennes au jour de l'an, de porter dorénavant són nom, et célébra cette adoption avec la plus grave solennité. Il était si enthousiasme de son fils, qu'il disait en le voyant danser: «s'il ne s'élève pas plus haut, c'est pour ne pas trop humilier ses camarades: car s'il se laissait aller à son élan, il s'ennuyerait en l'air, faute de conversation.>>

Il fut très à la mode pendant un temps de gâter par de ridicules cajoleries les chanteurs, les comédiens et artistes mercénaires de toute espèce. C'était à qui les aurait chez soi: on les comblait de petites attentions, et ces gens-là qui en général avaient reçu la plus mauvaise éducation, n'en devenaient que plus impertinents.

Le Maréchal duc de Brissac qui, malgré sa tournure et son esprit chevaleresque, ne les regardait pas comme les anciens Troubadours, se prêta cependant à la fantaisie générale. Il invita à souper Jeliot, le plus célèbre acteur de l'opéra, en le prévenant qu'il désirait le faire entendre à sa société. Celui-ci ne manqua pas de se rendre à l'heure prescrite. Une nombreuse compagnie était rassemblée : tous les yeux étaient fixés sur l'acteur, et le Maréchal, après quelques moments de repos, le pria de chanter. Jeliot s'excusa, en assurant que cela lui serait impossible, en disant d'une voix très-claire, qu'il était fort enrhumé. On insista; il refusa opiniâtrément. A la fin le Maréchal impatienté, s'adressant à lui: «Mons Jeliot, quand un homme comme moi fait tant que d'inviter chez lui un homme de votre

espèce, sachez

que c'est pour jouir de ses ta

lents, et non pas pour en faire sa société. Vous chanterez, où je vous ferai traiter par mes gens comme vous le méritez. » Jeliot fort étourdi d'un genre d'incartade auquel il n'était point accoutumé, chercha à s'excuser du mieux qu'il put, et chanta en tremblottant une petite ariette. « C'est bon, mon ami, dit le Maréchal, et se tournant vers un valet de chambre, qu'on donne deux louis à cet homme et qu'on le renvoie. » On assure que cette leçon corrigea le chanteur de ses impertinences.

M. le Texier, qui a eu quelques moments de vogue à Paris, n'était point dans la classe des histrions salariés; mais une naissance commune, l'emploi subalterne qu'il exerçait en province sous l'autorité de la ferme générale, semblaient devoir l'éloigner de toutes. liaisons intimes avec la bonne compagnie, dont il se rapprocha néanmoins pas le talent inoui qu'il avait pour la lecture des pièces de théâtre. Il fut én conséquence recherché, fèté, applaudi; et se croyant malheureusement une importance proportionnée à l'empressement dont il était l'objet, il ne tarda pas

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