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occupations à aller faire répéter ses acteurs; et son assiduité à cet amusement était aussi connue par ses confrères que celle qu'il portait aux travaux de son cabinet. Venant de plaider dans une cause intéressante, il sortait en hâte du palais pour se rendre à une répétition, lorsque le premier président, qui crut sa présence nécessaire à la réplique du défendeur, dit : << Où va donc » M.e Legouvé? »

Il va donner une heure aux soins de son empire, répondit l'avocat adverse, en lui faisant malignement l'application de ce vers de Zaïre.

Linguet, qui était fort piqué d'avoir été rayé honteusement du tableau des avocats, comme ayant avili la dignité de son état, en plaidant contre M. le duc d'Aiguillon, pour un supplément d'honoraires, avait inséré dans son journal, intitulé annales politiques et littéraires, une critique fort amère sur la pièce de M. Legouvé, et la terminait par la plus cruelle ironie, en disant : On a bien tort de se plain>>dre de ce qu'il n'y a point de tableaux » dans cette tragédie, puisque tous les ac»teurs sont du tableau. C'est M. Legouvé

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» qui fait le principal rôle, sa femme joue » l'héroïne; c'est M. Desfontaines qui fait » le tyran, sa femme joue la confidente; » c'est M. un tel, etc. etc. »

M. l'abbé May était le plus célèbre jurisconsulte canoniste de Paris; et dans les causes douteuses on était accoutumé à voir son avis former presque toujours la décision des juges. Aussi était-il fréquemment consulté dans les grandes affaires, et ses consultations généreusement payées, quoiqu'il ne taxât jamais ses honoraires.

Un bon curé de campagne vient un jour le trouver, et après beaucoup de compliments sur la juste réputation dont il jouissait, lui expose qu'on lui fait sur son bénéfice un procès auquel il ne comprend rien, le prie de lui donner une consultation qui détermine s'il a tort ou raison, pour qu'il abandonne ou poursuive cette affaire, et lui laisse entre les mains un énorme paquet de papiers presqu'indéchiffrables. L'abbé May lui promet une réponse décisive dans la quinzaine; et pénétré de tout l'intérêt qu'inspire la candeur de ce brave ecclésiastique, il met de côté

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toute affaire, pour s'occuper exclusivement de celle-là. Le curé ne manque pas de revenir au jour fixé, reçoit sa consultation se retire dans un coin pour la lire, et est aussi étonné qu'enthousiasmé de la clarté avec laquelle tous ses droits sont développés. Dans l'effusion de sa reconnaissance, il serre dans ses bras M. May, et s'écrie: « Ah! « . » Monsieur, on ne peut être plus content » que je le suis; mais je veux que vous le » soyez aussi. En même temps jetant un petit écu sur la table, tenez, Monsieur >> prenez ce qu'il vous faut. » Le digne avocat, qui ne veut point humilier ce bonhomme, tire trente-six sous de sa poche, et les lui rend.

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L'abbé May se plaisait à parler de cette anecdote, et quand on lui répondait qu'il serait toujours dupe de son désintéressement": Comptez-vous pour rien, disait-il, le

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» plaisir de raconter cette histoire ? »

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UNE Paysanne lyonnaise, sans autre talent que celui de l'effronterie a occupé assez long-temps les personnages les plus distingués de la Cour.

Claudine Bouvier, simple servante chez un particulier de Lyon, avait toute la confiance de son maître qui, ayant un procès à Paris l'y mena et la chargea de suivre ses affaires tandis qu'il retournerait dans sa patrie. Cette fille, à qui il avait laissé de l'argent, qui, sans être jolie, avait une figure agréable, et était vêtue élégamment dans son costume villageois, eut envie d'aller à Versailles. Elle se trouva dans la galerie au moment où la Cour passait pour se rendre à la chapelle. La Reine, étonnée de cet habillement qu'elle ne connaissait pas, demanda ce que c'était. M. le duc de Villeroi, exerçant alors auprès de Sa Majesté ses fonctions de capitaine des gardes, s'empressa de répondre que c'était une Lyonnaise, et qu'en qualité de gouverneur de la province, il avait le droit de la lui présenter. La Reine la fit approcher, considéra toutes les parties de son ajustement, et s'amusa même à arranger sa coiffure qu'elle trouvait trop reculée du front. Au retour de la Messe, la Reine apperçut dans le même endroit cette même paysanne, lui fit signe de venir encore auprès d'elle, l'examina de nouveau, et s'éloignant avec cette fille et son capitaine des gardes de ceux qui l'entouraient, témoigna

le désir de se faire faire pour le bal masqué un habit pareil. La Bouvier offrit avec beaucoup de zèle de se charger de cette commission et de l'exécution de tout le costume demandant à Sa Majesté la permission de prendre ses ordres à cet égard. Une conversa. tion de quelques minutes, et l'ordre donné d'introduire cette fille chez la Reine quand elle se présenterait, suffirent pour exciter auprès d'elle l'empressement de toute la Cour. Elle imagina d'en profiter pour sa fortune se présenta avec effronterie chez les Ministres, les amusa par ses expressions populacières, par la vivacité de son babil contrastant singulièrement avec l'accent niais de son pays; affecta surtout d'aller beaucoup chez le comte de Maurepas, qui prenait plaisir à en faire son jouet, et obtint ainsi une appa rence de crédit, qu'elle eut grand soin de faire valoir et d'exagérer auprès des gens simples qui, éblouis de cette faveur soudaine, accouraient du fond de la province pour réclamer et payer sa protection. Elle les accueillait avec l'air de l'intérêt, promettait beaucoup, indiquait les démarches à faire, les secondait dans les bureaux où elle s'était procuré un accès facile; et si elles réussis

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