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Quand son nom gigantesque, entouré d'auréoles,
Se dresse dans mon vers de toute sa hauteur.

Là, je le vois, guidant l'obus aux bonds rapides,
4 Là, massacrant le peuple au nom des régicides,
Là, soldat, aux tribuns arrachant leurs pouvoirs,
Là, consul jeune et fier, amaigri par des veilles
Que des rêves d'empire emplissaient de merveilles,
Pâle sous ses longs cheveux noirs.

8

Puis, empereur puissant, dont la tête s'incline,
Gouvernant un combat du haut de la colline,
Promettant une étoile à ses soldats joyeux,

12 Faisant signe aux canons qui vomissent des flammes, De son âme à la guerre armant six cent mille âmes, Grave et serein, avec un éclair dans les yeux.

Puis, pauvre prisonnier, qu'on raille et qu'on tourmente, 16 Croisant ses bras oisifs sur son sein qui fermente, En proie aux geôliers vils comme un vil criminel, Vaincu, chauve, courbant son front noir de nuages, Promenant sur un roc où passent les orages

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Qu'il est grand, ià surtout ! quand, puissance brisée,
Des porte-clefs anglais misérable risée,

Au sacre du malheur il retrempe ses droits,

24 Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine, Et, mourant de l'exil, gêné dans Sainte-Hélène, Manque d'air dans la cage où l'exposent les rois !

Qu'il est grand à cette heure où, prêt à voir Dieu même,
Son œil qui s'éteint roule une larme suprême !

Il évoque à sa mort sa vieille armée en deuil,
4 Se plaint à ses guerriers d'expirer solitaire,
Et, prenant pour linceul son manteau militaire,
Du lit de camp passe au cercueil !

II.

A Rome, où du sénat hérite le conclave,

8 A l'Elbe, aux monts blanchis de neige ou noirs de lave, Au menaçant Kremlin, à l'Alhambra riant,

Il est partout ! Au Nil je le retrouve encore.
L'Égypte resplendit des feux de son aurore;

12 Son astre impérial se lève à l'orient.

Vainqueur, enthousiaste, éclatant de prestiges,
Prodige, il étonna la terre des prodiges.

Les vieux scheiks vénéraient l'émir jeune et prudent;
16 Le peuple redoutait ses armes inouïes;
Sublime, il apparut aux tribus éblouies
Comme un Mahomet d'Occident.

Leur féerie a déjà réclamé son histoire. 20 La tente de l'Arabe est pleine de sa gloire. Tout Bédouin libre était son hardi compagnon ; Les petits enfants, l'œil tourné vers nos rivages, Sur un tambour français règlent leurs pas sauvages, 24 Et les ardents chevaux hennissent à son nom.

Parfois il vient, porté sur l'ouragan numide, Prenant pour piédestal la grande pyramide, Contempler les déserts, sablonneux océans. 4 Là, son ombre, éveillant le sépulcre sonore, Comme pour la bataille y ressuscite encore Les quarante siècles géants.

Il dit: Debout! Soudain chaque siècle se lève, 8 Ceux-ci portant le sceptre et ceux-là ceints du glaive, Satrapes, pharaons, mages, peuple glacé;

Immobiles, poudreux, muets, sa voix les compte ; Tous semblent, adorant son front qui les surmonte, 12 Faire à ce roi des temps une cour du passé.

Ainsi tout, sous les pas de l'homme ineffaçable,
Tout devient monument; il passe sur le sable,
Mais qu'importe qu'Assur de ses flots soit couvert,
16 Que l'aquilon sans cesse y fatigue son aile!
Son pied colossal laisse une trace éternelle
Sur le front mouvant du désert.

III.

Histoire, poésie, il joint du pied vos cimes. 20 Éperdu, je ne puis dans ces mondes sublimes

Remuer rien de grand sans toucher à son nom; Oui, quand tu m'apparais, pour le culte ou le blâme, Les chants volent pressés sur mes lèvres de flamme, 24 Napoléon! soleil dont je suis le Memnon!

Tu domines notre âge; ange ou démon, qu'importe ?
Ton aigle dans son vol, haletants, nous emporte.
L'œil même qui te fuit te retrouve partout.

4 Toujours dans nos tableaux tu jettes ta grande ombre; Toujours Napoléon, éblouissant et sombre,

Sur le seuil du siècle est debout.

Ainsi, quand, du Vésuve explorant le domaine, 8 De Naple à Portici l'étranger se promène,

Lorsqu'il trouble, rêveur, de ses pas importuns Ischia, de ses fleurs embaumant l'onde heureuse Dont le bruit, comme un chant de sultane amoureuse, 12 Semble une voix qui vole au milieu des parfums;

Qu'il hante de Pæstum l'auguste colonnade,
Qu'il écoute à Pouzzol la vive sérénade

Chantant la tarentelle au pied d'un mur toscan;
16 Qu'il éveille en passant cette cité momie,
Pompéi, corps gisant d'une ville endormie,
Saisie un jour par le volcan;

Qu'il erre au Pausilippe avec la barque agile 20 D'où le brun marinier chante Tasse à Virgile; Toujours, sous l'arbre vert, sur les lits de gazon, Toujours il voit, du sein des mers et des prairies, Du haut des caps, du bord des presqu'îles fleuries, 24 Toujours le noir géant qui fume à l'horizon !

LES ORIENTALES. Décembre 1828.

5.

LORSQUE L'ENFANT PARAÎT.

Le toit s'égaye et rit.

ANDRÉ CHÉNIER.

LORSQUE l'enfant paraît, le cercle de famille

Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,

4 Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,

Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre 8 Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher,

12

Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère

Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poëtes, de l'âme

Qui s'élève en priant ;

16 L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie Et les poëtes saints! la grave causerie S'arrête en souriant.

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure 20 Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,

L'onde entre les roseaux,

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