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La gloire est fou qui la désire :
Le sage en dédaigne le soin.
Heureux qui recèle en un coin
Sa foi, ses amours et sa lyre !
Petit grillon, n'ayons ici,
N'ayons du monde aucun souci.

L'envie est là qui nous menace.
Guerre à tout nom qui retentit!
Au fait, plus ce globe est petit,
Moins on y doit prendre de place.
Petit grillon, n'ayons ici,

N'ayons du monde aucun souci.

Ah! si tu fus ce que je pense,
Ris du lot qui t'avait tenté ;
Ce qu'on gagne en célébrité,
On le perd en indépendance.
Petit grillon, n'ayons ici,
N'ayons du monde aucun souci.

Au coin du feu, tous deux à l'aise,
Chantant, l'un par l'autre égayés,
Prions Dieu de vivre oubliés,

Toi, dans ton trou, moi, sur ma chaise.
Petit grillon, n'ayons ici,

N'ayons du monde aucun souci.

FONTAINEBLEAU, 1836.

III.

LAMARTINE. .

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1.

LE LAC.

AINSI, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour?

O lac ! l'année à peine a fini sa carrière,

Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes

Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

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Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos;

Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :

"O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices, Suspendez votre cours!

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours!

“Assez de malheureux ici-bas vous implorent :
Coulez, coulez pour eux;

Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;
Oubliez les heureux.

"Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit;

Je dis à cette nuit: Sois plus lente; ' et l'aurore
Va dissiper la nuit.

"Aimons donc, aimons donc de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons!

L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive; Il coule, et nous passons!"

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,

S'envolent loin de nous de la même vitesse

Que les jours de malheur?

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Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passés pour jamais? quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,

Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?

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O lac! rochers muets! grottes ! forêt obscure!
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,

Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux !

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés !

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise: "Ils ont aimé !"

PREMIÈRES MÉDITATIONS.

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