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L'humble tombeau qui sied à sa dépouille
Est par nous tous un tribut à payer.
Près de sa fosse un ami s'agenouille :
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

Mon cœur lui doit ces soins pieux et tendres.
Voilà douze ans qu'en des jours désastreux,
Sur les débris de la patrie en cendres,

Nous nous étions rencontrés tous les deux.
Moi, je chantais; lui, vétéran d'Arcole,
Sourit au luth vengeur d'un vieux laurier.
Grâce à vos dons, qu'un tombeau me console :
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

L'ambition n'effleurait point sa vie ;

Mais, même aux champs, rêvant un beau trépas,
Il écoutait si la France asservie,

En appelant, ne se réveillait pas.

Contre la mort j'aurais eu son courage,

Quand sur son bras je pouvais m'appuyer.
Ma voix pour lui demande un peu d'ombrage :
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

Contre un pouvoir qui de nous se sépare
Son éloquence a toujours combattu.
Ce n'était pas la foudre qui s'égare ;
C'était un glaive aux mains de la Vertu.
De la tribune on l'arrache; il en tombe
Entre les bras d'un peuple tout entier.
La haine est là; défendons bien sa tombe:
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

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Tu l'oublias, peuple encor trop volage,
Sitôt qu'à l'ombre il goûta le repos.
Mais noble esquif, mis à sec sur la plage,
Il dut compter sur le retour des flots.
La seule mort troubla la solitude
Où mes chansons accouraient l'égayer.
Pour effacer quatre ans d'ingratitude,
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

Oui, qu'un tombeau témoigne de nos larmes.
Assistez-moi, vous pour qui j'ai chanté
Paix et concorde au bruit sanglant des armes,
Et sous le joug espoir et liberté.

Payez mes chants doux à votre mémoire :

Je tends la main au plus humble denier.
De Manuel pour consacrer la gloire,
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

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LE VIEUX VAGABOND.

DANS ce fossé cessons de vivre ;
Je finis vieux, infirme et las.

Les passants vont dire: Il est ivre ;
Tant mieux ! ils ne me plaindront pas.
J'en vois qui détournent la tête ;
D'autres me jettent quelques sous.
Courez vite; allez à la fête.

Vieux vagabond, je puis mourir sans vous.

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Oui, je meurs ici de vieillesse,

Parce qu'on ne meurt pas de faim.
J'espérais voir de ma détresse
L'hôpital adoucir la fin;

Mais tout est plein dans chaque hospice,
Tant le peuple est infortuné !

La rue, hélas ! fut ma nourrice :
Vieux vagabond, mourons où je suis né.

Aux artisans, dans mon jeune âge,
J'ai dit: Qu'on m'enseigne un métier.
Va, nous n'avons pas trop d'ouvrage,
Répondaient-ils, va mendier.
Riches, qui me disiez: Travaille,
J'eus bien des os de vos repas;
J'ai bien dormi sur votre paille.
Vieux vagabond, je ne vous maudis pas.

J'aurais pu voler, moi, pauvre homme;
Mais non mieux vaut tendre la main.
Au plus, j'ai dérobé la pomme
Qui mûrit au bord du chemin.
Vingt fois pourtant on me verrouille
Dans les cachots, de par le roi.
De mon seul bien l'on me dépouille.
Vieux vagabond, le soleil est à moi.

Le pauvre a-t-il une patrie?
Que me font vos vins et vos blés,
Votre gloire et votre industrie,
Et vos orateurs assemblés?

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Dans vos murs ouverts à ses armes,
Lorsque l'étranger s'engraissait,

Comme un sot j'ai versé des larmes.
Vieux vagabond, sa main me nourrissait.

Comme un insecte fait pour nuire,
Hommes, que ne m'écrasiez-vous?
Ah! plutôt vous deviez m'instruire
A travailler au bien de tous.
Mis à l'abri du vent contraire,
Le ver fût devenu fourmi.

Je vous aurais chéris en frère.
Vieux vagabond, je meurs votre ennemi.

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