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de la maison Jecker, qui a mis fin à l'alliance, et nous a politiquement isolés, Cette vérité ressort de tous les documents.

« En résumé, messieurs, a dit M. Billault, ce n'est pas l'affaire financière qui a amené la rupture. » J'ai démontré, je l'espère, combien ces paroles doivent peu être prises dans un sens absolu. Que penser du magnifique horizon que l'imagination du ministre a découvert à la nation mexicaine délivrée, et de ces promesses de liberté que nos soldats vont lui porter à la pointe de leurs baïonnettes? Que penser de ces bras qui nous sont ouverts dans toutes les provinces mexicaines, de ces opinions qui n'attendent que la prise de Mexico pour se prononcer librement? Il faut avouer qu'un tel langage produirait sur nous une singulière impression, si quelqu'un en Europe se permettait de nous l'appliquer à nous-mêmes, en nous promettant le vote libre après l'occupation de Paris. La résistance fort inattendue que nos troupes ont rencontrée au Mexique devrait, ce semble, dans l'intérêt même de notre amour-propre national, être expliquée autrement que par la coalition de quelques bandes de pillards avec un ramassis de mercenaires.

D'après les informations mêmes que M. Dubois de Saligny a transmises au gouvernement français, l'armée mexicaine était, au moment où l'expédition a été résolue, tout à fait hors d'état de nous arrêter un seul instant sur le chemin de Mexico. Il résulte d'un tableau estimatif que ce diplomate a fourni, sur les données d'un officier général mexicain, que l'armée active était à cette époque composée d'un peu moins de six mille hommes; et le même rapport évalue à neuf mille hommes les forces de la garde nationale. Est-ce avec de tels éléments qu'on a pu organiser une résistance aussi sérieuse que celle qui nous a été opposée? Non, sans doute, et il suffit de lire les évaluations du général de Lorencez, relativement à la garnison de Puebla, pour s'en convaincre, Où donc se serait recrutée la défense, si elle n'avait pas trouvé d'appui dans le sentiment national? Il ne sert de rien de voir les choses autrement qu'elles ne sont, cela ne les change pas.

On ne doit plus se dissimuler que, dans la conduite de l'affaire du Mexique, de graves fautes ont été commises, dont les plus apparentes ne sont pas les plus répréhensibles. Ce n'est qu'à force de prudence et de modération qu'elles peuvent être réparées, et il est malheureusement difficile pour nous de revenir à ces règles si simples, après les engagements de tout genre que nous avons pris. Le plus fâcheux de tous, peut-être, est celui de ne jamais traiter avec le gouvernement actuel du Mexique. Une telle gageure est de nature à nous coûter très-cher, si nous voulons la soutenir avec toutes les conséquences qu'elle implique. Il faut espérer que les vues de la politique française

se modifieront à cet égard, après une plus saine appréciation des difficultés de l'entreprise.

Le seul point de départ équitable de cette politique nouvelle serait pour le gouvernement français de reconnaître loyalement qu'il a été égaré par de faux rapports, au sujet de la situation réelle des opinions et des partis au Mexique; que la plupart des accusations qu'il a accueillies contre le gouvernement de Juarez doivent être retournées contre les étranges alliés qui y sont accourus se joindre à nous, tels que Marquez, Cobos, Miranda et consorts; enfin, qu'il se considère comme engagé d'honneur à soumettre à un contrôle sévère et rigoureux les réclamations qui ont été dénoncées dans les deux mondes par un cri de réprobation unanime. A ces conditions, les difficultés de la question mexicaine sont, pour ainsi dire, résolues d'avance; mais si l'on persiste dans les errements suivis jusqu'ici, nul ne peut prédire où ces difficultés nous mèneront.

Lorsqu'on a une telle affaire sur les bras, il faudrait avoir l'humeur terriblement conquérante et être bien sûr de soi pour aller de gaietéde cœur se jeter dans de nouvelles complications, ainsi qu'une partie de la presse française en émettait le vœu ces jours derniers, à propos des récents épisodes de la guerre des États-Unis. C'était bien, en effet, une déclaration de guerre contre l'Union que proposaient, sous le nom de médiation, ces belliqueux publicistes; car, le Sud et le Nord n'étant résignés ni l'un ni l'autre à modifier en rien des prétentions inconciliables, le seul résultat possible de cette prétendue médiation eût été une reconnaissance des États confédérés, et, par suite, une rupture avec l'Union. Rien n'eût manqué à cette belle équipée, pas même les encouragements ironiques de l'Angleterre, qui nous poussait à nous mettre en avant, comme dans l'affaire du Mexique, sauf à nous laisser plus tard tous les honneurs de l'entreprise. Selon le Times, la seule base de cette négociation était l'établissement d'une république nouvelle, et nécessairement rivale, et l'Angleterre était prête à appuyer ce résultat de toutes ses forces; mais c'était « à la France seule de prendre l'initiative, » en raison des sentiments de défiance et d'hostilité que depuis longtemps le peuple des ÉtatsUnis nourrit contre la nation anglaise. Des arrière-pensées si maladroitement déguisées n'ont rien appris aux inventeurs de cette profonde conception, et ils n'y ont renoncé provisoirement qu'en présence d'une manifeste impossibilité créée par des circonstances qu'ils n'avaient pas prévues. A quoi bon chercher des occasions de rupture avec les États-Unis? elles ne se présenteront peut-être que trop tôt !

La grande manifestation ecclésiastique organisée à Rome a pris fin

sans avoir justifié ni les craintes, ni les espérances dont elle a été l'objet. Annoncée bruyamment, hardie et menaçante dans ses conciliabules, timide et circonspecte dans ses actes publics, elle n'a eu d'autre éclat que la pompe traditionnelle des cérémonies romaines, et elle a été nulle comme effet moral. Si blasé que l'on soit sur le langage des manifestes de la cour pontificale, c'est avec un étonnement toujours nouveau qu'on lit ces étranges allocutions si loin de nous par la forme comme par le fond, et ce n'est pas sans un effort d'esprit qu'on en pénètre le sens, tant elles sont peu appropriées aux idées des hommes de notre temps. Elles ne peuvent avoir d'influence que sur les simples, et parce qu'ils ne les comprennent pas. A quel homme sensé fera-t-on accepter aujourd'hui cette proposition qui se lit dans l'allocution du pape, à savoir « que la science des choses philosophiques, des mœurs et des lois civiles ne peut, pas être séparée de l'autorité de l'Église? » Tout est écrit de ce style, et c'est avec de pareilles maximes que ces hommes, qui se disent les conducteurs des nations, prétendent faire le procès à tout le mouvement d'idées qui depuis la réforme a conduit la civilisation. Un seul mot peut qualifier dignement ce manifeste : c'est l'esprit moderne, défini et jugé par un clerc du huitième siècle.

L'adresse des évêques n'est qu'une répétition banale de tous les lieux communs que nous avons lus depuis deux ans dans les mandements de ces prélats. Ce n'était pas la peine d'aller à Rome pour si peu. Ils se sont vengés de ne pas oser désigner clairement les puissants adversaires qu'ils voudraient vouer à l'anathème, en outrageant, avec la violence dont les âmes dévotes ont seules le secret, le peuple dont ils étaient les hôtes. C'est maintenant à l'Italie de répondre. Le ministère Rattazzi sera-t-il à la hauteur de ce rôle ? nous ne le croyons pas. Il semble difficile d'admettre qu'un ministre italien ait consenti à accepter les humiliantes conditions qu'on dit avoir été le prix de la reconnaissance russe; mais ce qui est certain, c'est que cette acceptation a paru vraisemblable, et cela suffit pour condamner ce ministre.

P. LANFREY.

CHARPENTIER, propriétaire-gérant.

Droit de reproduction réservé.

Paris. Imprimerie P.-A. BOURDIER ET C2, rue Mazarine, 30.

PARIS EN AMÉRIQUE

ÆGRI SOMNIA.

CHAPITRE XII.

UNE CANDIDATURE EN AMÉRIQUE.

Toutes ces discussions m'avaient troublé. Certes, je n'avais pas la faiblesse de renier la foi politique que m'ont donnée les maîtres de mon enfance; j'ai l'horreur des renégats. Quand on est né dans l'erreur, si la conscience veut qu'on en sorte, l'honneur veut qu'on y reste; et c'est toujours l'honneur qu'écoute un Français. Je me serais fait hacher plutôt que d'avouer publiquement que ces Yankees n'avaient pas tort. Mais au fond de l'âme, je sentais que j'avais perdu ma première innocence; je m'étais servi de la presse, et je n'avais plus la force d'en rougir. Mécontent de moi-même, je dormis d'un sommeil agité; aussi, quand je m'éveillai, faisait-il encore nuit. Les sophismes de Truth et de Humbug m'étaient entrés dans l'esprit, comme des flèches dans la chair; j'y cherchais, dans mon lit, des réponses que je ne trouvais guère, quand, tout à coup, au milieu de l'ombre et du silence, j'entendis dans la rue une voix qui m'appelait. C'était la voix de ma fille, un père ne s'y trompe point.

Passer ma robe de chambre, courir à la fenêtre, ce fut l'affaire d'une seconde; je me penchai pour voir dans la nuit. Ma tète rencontra je ne sais quel obstacle qui craqua. Aussitôt un soleil splendide m'éblouit; des cris joyeux saluèrent mon apparition. La rue était pleine de monde, une immense affiche couvrait toute ma maison; et, ma tête engagée dans un O gigantesque, donnait aux passants un spectacle ridicule. « Papa, restez là, disait Suzanne, sautant sur

1. Voir les 38° et 39 livraisons.

Tome X.- 40o Livraison.

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ses pieds légers, et battant des mains: tout Paris lira l'affiche. » Green for ever, répétaient en courant les Yankees. A very good trick', ajoutaient-ils en riant du bout de leurs grandes dents.

Je m'habillai à la hâte et descendis dans la rue; Paris n'était plus qu'une immense affiche; des candidats de toutes les couleurs : bleus, rouges, blancs, jaunes, verts, roses étalaient sur les murs leurs services et leurs vertus. Ma maison était vouée au vert. Le nom de Green s'y allongeait en majuscules hautes d'un mètre; en face de moi l'imprimerie avait dressé jusqu'au ciel un immense tableau, sur lequel on lisait :

CITOYENS

DE LA PREMIÈRE VILLE DU MONDE

Point de banquiers!

Point d'avocats!

Point de sauteurs!

Nommez le fils de ses œuvres :

Le patriote généreux,

Le marchand héroïque,
Le bon père de famille,
L'enfant de Paris,

Nommez l'honnête et vertueux GREEN!!!

Cette farce démocratique amusait Suzanne; M. Alfred Rose était auprès d'elle, avec le vénérable apothicaire et ses huit fils. Henri dansait de joie comme un enfant qu'enchante le tapage; pour moi j'ai peu de goût pour ces orgies populaires; une phrase les résume: Beaucoup de bruit pour rien.

Voisin, me dit le pharmacien, voilà notre capitaine qui va au feu; j'espère que vous nous donnerez un coup de main; la brigue est puissante; nous ne l'emporterons qu'à force de paroles et d'action.

-Cher monsieur Rose, lui répondis-je, avec votre permission, je resterai chez moi. En tout ceci je n'ai aucun intérêt. Je suis un grand seigneur, qui a pour gérer ses affaires un certain nombre

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